Herbauts Anne, Une Histoire grande comme la main,
Casterman, 2017, 36 p. 15€90
Anne Herbauts poursuit son œuvre
poétique, en creusant un peu plus le sillon des mots, les traits du dessin et
la matière des peintures. Sa dernière œuvre peut être lue de plusieurs manières :
littéralement, elle s’adresse aux petits enfants, mais elle est aussi une
propédeutique à la littérature. Son thème majeur est le reflet. L’exploration
des mots et de leurs sens enfouis en est la méthode d’exposition. Sous couvert
des cinq doigts qui forment la main, la composition repose sur une mise en
abyme des histoires. Mais entrons dans le l’album.
D’où viennent les
histoires ? Question mal posée : les histoires proviennent du rêve d’un enfant ; elles s’enracinent dans la
perception enfantine du monde. Grâce au dessin et aux peintures, la littérature
s’y livre, forme sensible de la pensée.
La littérature décrit-elle le
monde ou bien raconte-t-elle des histoires ? La littérature description,
figuration par mise en images ou bien narration, mise en intrigue des choses de
la vie ? Le genre de l’album répond : les deux. D es histoires
viennent se révéler de l’intérieur des illustrations et c’est autant de
possibles du réel que la fiction met ainsi à jour. La spécificité du geste
littéraire est d’illustrer une attitude. Pourquoi est-ce une caractéristique
définitoire de la littérature ? Parce qu’il n’y a pas de sens unique de la
présence humaine au monde. Et c’est pourquoi, aussi, il faut laisser vagabonder
l’imagination. Si Une Histoire grande comme la main propose cinq histoires, c’est
parce qu’il ne peut pas n’y avoir qu’une interprétation des choses. Il y a cinq
histoires rattachées les unes aux autres comme les doigts d’une main, parce
qu’elles ont la même source, c’est-à-dire les élans de l’interprétation qui
cherche à donner unité à des éléments hétéroclites, ce que le graphisme d’Anne
Herbauts explore en permanence.
Mais ceci est aussi l’œuvre du
lecteur, de la lectrice et lire un album d’Anne Herbauts à un enfant c’est
faire l’expérience que l’enfant voit bien d’autres choses insues de l’adulte et
qu’il jouit du sens à offrir au livre, à lui-même peut-être, à l’adulte lecteur
ou lectrice aussi.
Alliant rhétorique, art de la
signifiance, invitation au commentaire narratif, ce nouvel opus d’Anne Herbauts
apporte une pierre supplémentaire à une œuvre qui ne cesse d’approfondir le genre
de l’album comme aussi le genre de la poésie. Car, en effet, ce livre n’est-il
pas avant tout un recueil poétique ?
Cassany Mia, Voyage
au pays des rêves, illustrations d’Ana de Lima, Nathan, 2017, 40 p. 14€95
L’ouvrage de grand format
emprunte à Lewis Carroll le goût de l’imaginaire et la voie des rêves pour
parler de l’enfance. Il se fait parfois livre de devinettes où l’enfant doit
identifier les animaux et rétablir leur pelage. On y rencontre une ondine
enfantine qui joue avec des bateaux en papier remplis de friandises, une
baleine qui telle une Jangada vernienne porte sur son dos une ville entière.
Ici le monde se met à l’envers et
il se met à pleuvoir des poissons, la racine des montagnes est univers de vies
nouvelles. Au pays des rêves, les phares ne servent point aux pêcheurs mais aux
étoiles pour se guider, les volcans fabriquent des chewing-gums, les villes
sont envahies par les plantes tant les humains leur parlent et les papillons
servent à soigner les chagrins des villageois, car au pays des rêves règne
l’harmonie du vivant. Rien ne se perd tout se retrouve : les objets perdus
traînent dans les déserts et il suffit d’un désir pour les aller chercher,
parce que c’est ainsi au pays des rêves. Les illustrations douces de De Lima
qui usent des points et des lignes, des traits et de la géométrie pour composer
un espace onirique viennent donner une première vie à un texte généreux de
Cassany ouvrant ainsi un peu plus le livre à la liberté d’imaginer de l’enfant.
Philippe Geneste