Anachroniques

25/02/2018

Une revue, Diérèse, un poète, Pierre Dhainaut

Diérèse n°72, Hiver-printemps 2018, 282 p. 15€ (Diérèse-D.Martinez 8 avenue Hoche 77 330 Ozoir-la-Ferrière, daniel.dierese24@yahoo.fr)
Cela fait vingt années que la revue Diérèse animée par Daniel Martinez poursuit sa route : informer sur la poésie contemporaine, s’ouvrir aux domaines étrangers, rendre compte des publications qui paraissent dans un secteur circonscrit, à bien des égards confiné car peu relayé par les revues littéraires généralistes. Ce numéro 72, qui n’est en rien, modestie de son animateur probablement, un numéro anniversaire, commence par des poèmes de Nuno Jύdice traduit du portugais par Béatrice Bonneville-Humann et Yves Humann, et se poursuit avec une vingtaine de poètes français, dont Daniel Martinez qui offre un extrait d’un recueil en préparation, Isabelle Lévesque et sa poésie au heurtoir qui cherche à faire dire aux mots ce qu’ils se retiennent à dire, à moins que ce ne soit nous qui ne sachions qu’insuffisamment les écouter. Plus de trente pages de chroniques d’ouvrages closent la livraison de cet hiver.
C’est l’intérêt de Diérèse de présenter de nombreux travaux poétiques et auteurs ou autrices. On lit une belle tribune libre et migrante de Patrick Argenté. Comme l’écrit Daniel Martinez, Diérèse crée « sa mesure du nouveau en époussetant les officialités » auquel le domaine de la poésie est soumis. La revue est diverse, éclectique diraient certains, peut-être. Mais elle est vivante. Dans ce numéro 72, nous avons plus particulièrement retenu pour les lecteurs du blog lisezjeunessepg un long poème de Pierre Dhainaut écrit en regard d’aquarelles de Caroline François-Rubino :

Poétique de la déponence, à propos d’un poème de Pierre Dhainaut
En secret, à l’air libre

Dhainaut Pierre, En secret, à l’air libre, dessins de Caroline François-Rubino, Diérèse, n°72, Hiver-printemps 2018, pp.37-47 (Diérèse-D.Martinez 8 avenue Hoche 77 330 Ozoir-la-Ferrière 15€, daniel.dierese24@yahoo.fr)

En secret, à l’air libre est un poème inspiré de dessins de Caroline François-Rubino. Le titre rassemble deux expressions qui, au niveau du sens, semblent s’opposer. Il invite ainsi à une lecture en tension, attentive aux nuances, aux passages des mots et à leur positionnement sur l’espace de la page.
Le poème silhouette furtivement un paysage intérieur qui recourt, en silence, à une problématique du langage. En secret à l’air libre est une contribution poétique au rapport intime du sujet avec sa parole, rapport où se joue une part de sa liberté.

Le langage est une vision, un « voir de lucidité » dirait le linguiste Gustave Guillaume. La voix en est un support, pas l’unique, mais l’essentiel. Or, le geste vocal oublie le corps qui pourtant fait du voir un savoir. L’articulation sonore s’appuie sur le silence du corps et des « lèvres » en mouvement. Le corps parlant suit l’impulsion du sens par la modulation de l’expulsion de l’air. La prononciation s’essaie à l’expression d’une signification qui se construit ainsi à l’ombre du sujet. Le propre du langage poétique est de trouver l’harmonie entre la visée de l’écrire / dire et l’effet du sens à dire / écrire. Il y a là, nous confie le poète, « des chemins pluriels » parce que le poème vaut par le sens non encore dit, par l’inouï du sens, si l’on veut. Il s’agit d’amener l’à-dire sur le foirail des discours. Mais le poète, libre, laisse venir les mots, se laisse guider par eux, selon le principe de la poétique de la déponence qui caractérise l’œuvre contemporaine de Pierre Dhainaut (1) :
« Ce que nous ne savons pas dire
il [le poème] le dira pour nous ».

Le propre de la poésie est de saisir la présence du sens sous l’expression du sentiment de soi ou de l’autre, sous l’expression de l’émotion. La poésie rend sensible la mise en œuvre de la mécanique signifiante toute enfantine que constitue une langue. Nous disons toute enfantine, parce qu’elle est partagée par tous. Certes, c’est dans la singularité de sa mise en action que s’affirme l’ouvrage poétique, mais ce dernier nous fait éprouver, que dans cette singularité, s’ouvre, non pas l’universalité du geste poétique -cette formule creuse de l’orgueilleux occident-, mais le partage d’une expérience commune de dire et de peindre, d’exprimer et de représenter.
Le langage poétique est comme le chant que le promeneur en forêt perçoit sans jamais voir les oiseaux dans les frondaisons denses :
« Nous n’apercevons pas
l’alouette qui chante,
nous la saluons par l’écoute ».
N’est-ce pas là une autre illustration de ce silence du corps évoqué précédemment ? Entre l’articulation du sens et la stimulation des sens existe un lien étroit de dépendance. Ce lien, de recueil en recueil, d’œuvre en œuvre, s’affirme parce que la poésie de Pierre Dhainaut progresse vers l’évidence c’est-à-dire vers la simplification, l’évidement du superflu, de tout ce qui ne porterait pas à l’inouï. C’est probablement pour cela que le poème En secret à l’air libre n’abonde pas en images, n’use pas du trait rhétorique. C’est que, de la même manière que le propre de la langue est la lucidité, selon la rigoureuse observation de Gustave Guillaume, le propre de la poésie est la clairvoyance. Les mots en sont les grains, le discours la poussière mais une poussière murmurante. Pourquoi murmurante ? Parce que, comme dans ce poème, l’écriture et la parole, le silence scriptural et la sonorité orale, se livrent en conflit :
« Pour sillage un bruit d’aile
au-dessus de la houle
ou d’un champ que l’on a ensemencé ».

Le sens trouve sa plénitude, c’est-à-dire, au fond, se trouve, dans la déponence, dans les mots qui viennent, l’écriture ne faisant que suivre le mieux possible la volonté de la voix qui dit, de cette voix qui a à dire. Mais qu’est-ce que la voix en poésie ? Elle est l’écho du dialogue d’où elle est naît résonnante
« aucun arbre n’est seul ».
La voix poétique est donc traversée par un partage. Comme l’exprime En secret à l’air libre, la poésie, qui s’en réclame, ne recherche pas à prendre possession des mots mais prend racine en eux :
« Prendre racine (…)
enfin possible
l’emploi du verbe “prendre” »

La voix, ainsi comprise, porte la poésie contemporaine de Pierre Dhainaut loin d’une poésie du je –qui sature le champ contemporain des écritures- et au plus près d’une poésie du nous, d’un nous « tellement plus que nous ». La poétique déponente de Dhainaut va donc accueillir comme constitutive de sa définition le tâtonnement, l’essai, l’erreur et les partager avec le lecteur, avec la lectrice. En secret à l’air libre abonde en reprises. Le mot « variante » est inscrit au début de plusieurs strophes. Attentif à ce qui vient et à ce qui survient, En secret à l’air libre invite à comprendre que l’œuvre n’est jamais achevée,
« interdit de croire
qu’existe un dernier moment »

« la lettre ultime au contact
(…) de l’infini
(…) se prolonge »
Le poème n’a donc d’achèvement provisoire que dans la lecture qui en est faite. Il a besoin de la constitution à chaque fois nouvelle du nous d’un dialogue, écho de l’origine même du langage. Et c’est pourquoi la poésie est vivante ; vivante parce qu’inachevée et pourtant offerte car lue en un moment qui échappera à jamais au poète mais qu’il aura su susciter :
« Tout ce qui respire
respire au bout d’une phrase
Au milieu du gué »
Et à chaque fois, un silence fait signe, une voix s’entend et un cheminement du sens s’ouvre.
Philippe Geneste

(1) Voir Philippe Geneste, « La déponence comme attitude poétique », Diérèse, n°68 été-automne 2016, pp.250-256


18/02/2018

Cobain, Levi, Voltaire et Molière

Mastragostino Matteo, Primo Levi, illustrations par Alessandro Ranghiasci, Steinkis, 2017, 128 p. 16€
Ce bel album est né de l’admiration de Matteo Mastragostino pour Primo Levi (1919-1987). Loin de la biographie, le livre se concentre sur les années du fascisme, les premiers engagements de Primo Levi chez les partisans, puis sur Auschwitz. Le texte est pétri d’une lecture attentive et scrupuleuse de l’écrivain et les dessins de Ranghiasci entrent dans le détail des lieux décrits. L’album cherche à mettre en avant la relation humaine qui, chez Primo Levi est ce qui permet de croire encore au lendemain quand tout pousse à sombrer dans la nuit du temps.
Les jeunes lecteurs et lectrices verront s’ouvrir devant leurs yeux des scènes du camp de concentration, ils devront s’interroger sur les actes des uns et des autres, par eux-mêmes. Les auteurs de cette bande dessinée ont choisi de faire intervenir Primo Levi, quelques mois avant sa mort, devant les élèves d’une école primaire de Turin, celle-là même qu’il a fréquentée enfant. Un album très riche et de belle facture graphique.

Coblence Jean-Michel, Molière, illustrations d’Elléa Bird, Casterman, 2017, 64 p. 13€95
La vie de Molière connaît bien des ouvrages qui se sont penchés dessus. Cette bande dessinée, n’innove pas particulièrement, mais nous la recommanderons au jeune lectorat. La commission jeunesse l’a, unanimement, retenue parmi les ouvrages biographiques récents. La bande dessinée fait entrer dans le siècle de Louis XIV, retrace la vie riche en épisodes du dramaturge et fait connaître de nombreuses pièces de son répertoire. Le scénario intègre parfois des répliques des pièces retracées. Molière est un ouvrage de bout en bout maîtrisé, un ouvrage qui s’imposera dans les centres de documentation comme dans les bibliothèques pour la jeunesse.  

Chartier Henry, Kurt Cobain, du Nirvana à l’enfer, Oslo éditions, collection Osaka, 2014, 103 p.
Voici une excellente biographie. L’auteur se donne pour axe de différencier ce qui relève de la légende de ce qui relève du réel. S’il présente avec un intérêt non dissimulé l’œuvre de Kurt Cobain (20/2/1967 – 05/04/1994), en revanche, il ne la noie pas dans les histoires fantasmatiques qui l’entourent. Ce que cette biographie démontre c’est le paradoxe des musiciens rebelles qui se trouvent confrontés à la gloire, à l’adulation et donc livrés à l’industrie du disque et du marketing. Kurt Cobain a recherché cette gloire, comme tous les membres de son groupe Nirvana, mais en même temps, il était conscient du paradoxe que sa musique et les paroles de ses chansons actualisaient à chaque nouveau concert, à chaque nouvelle sortie de single ou d’album.
Le biographe montre la vie du junkie, les impasses où le mènent la drogue, les ravages que celle-ci provoque dans ses relations humaines et affectives. D’autre part, si Henry Chartier dépeint les périodes d’errance, il ne fait pas de Kurt Cobain un enfant de la rue et reste au plus près de la vie réelle du musicien et chanteur. Il fut oisif, réalisa de multiples petits boulots, mais eut une enfance qui n’était pas celle du révolté comme le voudrait l’image conventionnelle de la presse à sensation. Chartier ne masque pas non plus les tentations du conformisme le plus conservateur : mariage, famille…Aussi, la biographie permet de comprendre ce à quoi la pop musique soumet ses musiciens : la nécessité de se conformer à des règles dictées par les magnats de l’industrie du disque et des tubes, les difficultés pour s’en détourner sans se retrouver à la case de départ.
Cette biographie devrait figurer dans toutes les bibliothèques et centres de documentation car elle permet de poser des problématiques de la vie d’artistes sans les édulcorer.
Philippe Geneste

wlodarczyk Isabelle, Voltaire, écraser l’infâme, oskar, 2015, 123 p.
Cet ouvrage raconte sous le genre du documentaire-fiction l’affaire du chevalier de La Barre. L’autrice nous porte dans l’intimité de Voltaire qui, au départ, peu enclin à se lancer dans un nouveau combat contre l’église et le pouvoir judiciaire, va être troublé par ce que sa nièce lui rapporte des événements survenus à Abbeville. On est en 1765. Voltaire décide qu’il vaut mieux « se hasarder à sauver un coupable qu’à condamner un innocent » et qu’il faut donc savoir, il faut « établir la vérité » : « c’est l’infâme que je poursuis, le fanatisme qui n’a de cesse de peser sur notre siècle ». La liberté est une conquête fragile qui exige persévérance, obstination. Menant sa propre enquête depuis Ferney où il se trouve en exil, Voltaire va démêler les inimitiés locales, les ambitions municipales, les raisons institutionnelles qui poussent les notables de la ville à salir le chevalier de La Barre, qui sera condamné à mort après avoir subi la question, à salir son ami Gaillard d’Etallonde qui s’enfuira et pour qui Voltaire obtiendra de Frédéric II de Prusse qu’il le prenne sous sa protection, et salir le plus jeune Moisnel (15 ans) qui échappera au bûcher mais non à la prison.
Le livre résonne dans notre actualité du vingt et unième siècle : les jeunes gens sont condamnés pour blasphème, la justice est rendue sur la base de la délation, les juges et les notables de la ville œuvrent dans la corruption pour leurs réélections, Le fanatisme est encouragé. Le 18/07/1766, Voltaire écrit à d’Alembert cette phrase essentielle contre toutes les menées gouvernementales visant à la répression et au renforcement de l’ordre au mépris des droits des individus : « et la barbarie, devenue plus insolente par notre silence, égorgera demain qui elle voudra publiquement ». En accord avec Beccaria, il est contre la peine de mort, que notre monde contemporain ne cesse de remettre à l’ordre du jour.
Cette affaire est la dernière grande affaire dont va s’occuper Voltaire (1694-1778). Ecrit avec brio, le récit d’Isabelle Wlodarczyk est à la fois un plaisir de lecture et une offrande didactique pour la jeunesse, à une époque où la littérature du dix-huitième siècle tend à disparaître des classes du collège.

Philippe Geneste

13/02/2018

Eléments d’histoire des arts

Augustin Marion, L’Histoire de l’art en BD : de la préhistoire à la Renaissance, dessins de Bruno Heitz, Casterman, 2016, 96 p. 14€95 ; Augustin Marion, L’Histoire de l’art en BD : de la Renaissance à l’art moderne, dessins de Bruno Heitz, Casterman, 2017, 96 p. 14€95 ;
Composé intelligemment, inséré dans un récit, chaque ouvrage rejoint l’usage didactique de la bande dessinée avec bonheur. Il s’adresse aux enfants de 8 et surtout 9/12 ans. Il sera d’une aide certaine et pour tout dire une propédeutique au collège, où l’histoire des arts est inscrite sur l’ensemble de la scolarité. Le premier volume se consacre plus spécifiquement à la sculpture, à la peinture et à l’architecture, le second approfondit davantage le domaine de la peinture sans négliger les autres. Cette Histoire… est une mine de renseignements et a le souci d’insérer l’art dans le cadre de l’histoire : des pages sont entièrement consacrées à cette situation. La scénarisation propre à la bande dessinée permet aussi d’introduire le jeune lectorat à l’univers artistique par les relations humaines, les relations entre artistes, entre maître et disciple, mais aussi entre les artistes et le pouvoir politique. Les deux tomes soulignent que des œuvres résistent au temps, que d’autres tombent dans l’oubli et ils tentent de mettre à jour les mécanismes sociaux, historiques qui peuvent expliquer ce phénomène. Ces deux ouvrages, très instruits et faciles à lire, sont indispensables dans les bibliothèques des écoles, dans les CDI des collèges et des  lycées.

Alice Fabienne (textes choisis et présentés par), Le Goût du blanc, Le Mercure de France, 2017, 123 p. 8€
Encore une très belle anthologie proposée par cette collection au format de poche. L’introduction de Fabienne Alice donne les clés de la composition de ce volume. Symbolisme du blanc (paix, pureté, innocence, lumière...), le blanc comme qualificatif d’atmosphère (bonheur…), comme attribut des revenants, couleur de créatures fantastiques (blanche bête, taureau, baleine, cheval, ver). Puis vient le blanc dans les arts, en peinture bien sûr, mais aussi au cinéma. Remarquable par l’ouverture érudite qu’il propose, le volume intéressera aussi en ce qu’il permet de redécouvrir ou découvrir des textes rares d’auteurs pourtant connus.

Chaine Sonia, Pourquoi l’art ? 50 questions pour comprendre l’art, Flammarion, collection castor doc, 2013128 p. 8€60
Tout concourt à faire de ce petit volume, certes ancien mais toujours disponible, une référence dès 11 ans. L’iconographie y est généreuse et explicitée par des légendes intelligentes. La formule d’une page de texte pour chaque question ne rate jamais sa visée de clarté et de simplicité. Les mouvements historiques de l’art sont présents, mais au fil des réponses apportées, et non de manière chronologique, même si la chronologie figure par ailleurs sous forme de synthèse. Des questions contemporaines ne sont pas éludées ; comme celle du marché de l’art et de son évolution, ou du fonctionnement des musées. La vie des artistes évite les stéréotypes. Des questions peu traitées dans ce type d’ouvrage destiné à la jeunesse sont abordées, comme celle de la signature des œuvres, celle du titrage. Un index, des pages de synthèse, un quiz pour vérifier ses connaissances, ajoutent encore à l’excellence du volume que l’on ne peut que chaudement recommander.

Dumontet Astrid, La Danse, illustrations de Sophie Lebot, Milan, collection Les grands docs, 2013, 48 p. 9€90
Cette collection est destinée aux 8/12 ans. Le documentaire est chronologique, avant de se faire sociologique puis anthropologique. Les encarts encyclopédiques sont entrecoupés de pages de questions où le lecteur peut mettre à l’épreuve sa lecture, ce qui renforce l’enrichissement documentaire de la lecture. Un index, un lexique, les solutions des jeux, sont donnés à la fin du livre.

Philippe Geneste

04/02/2018

Aux origines du récit des origines

PICQ Pascal, Premier Homme Les dernières découvertes scientifiques expliquées aux enfants, Flammarion, 2017, 48 p. 15€ ; PICQ Pascal, Premier Homme de Pierola à Homo erectus, Père Castor-Flammarion, 2017, 96 p. 9€20 ; PICQ Pascal, Premier Homme, Flammarion, 150 photographies, 144 p. 29€90
Les deux premiers ouvrages sont l’un de grand format et l’autre en format de poche. Ils sont illustrés par les images du documentaire diffusé sur la chaîne de télévision M6 au printemps 2017. Il s’agit d’un livre essentiel pour la jeunesse, à partir de 10/11 ans pour vraiment pouvoir s’approprier la richesse des informations contenues. Pascal Picq s’attache à remonter à la source de l’embranchement évolutif, il y a sept millions d’années, qui fait diverger la lignée des bonobos et chimpanzés d’un côté et celle qui aboutit à l’homo sapiens de l’autre. Après l’étude de Pierola, un grand singe hominoïde, vivant dans les arbres, où il marche en se suspendant aux branches avec ses bras, il y a treize millions d’années et découvert en Espagne, on va à la rencontre de Toumaï, hominidé d’il y a sept millions d’années, découvert sur les bords du lac Tchad. Toumaï possède des comportements propres à la mort, des rites. Cela n’en fait pas un humain pour autant puisque le chimpanzé aussi possède des rites funéraires. 
Le documentaire prend alors la branche qui porte les premiers hommes. On suit Homo Naledi qui possède la bipédie mieux que les précédents et un cerveau amplifié. Est-ce lui le premier homme ou bien est-ce homo habilis ? Pascal Pick donne les arguments pour les deux thèses mais souligne la filiation qui unit les deux. Le dernier chapitre est consacré à Homo Erectus, autrefois appelé Pithecanthropus erectus. Tout part d’Afrique, comme pour Homo Naledi et les Australopithèques qui ont succédé à Toumaï entre 4 millions et 1 million d’année. Il y a deux millions d’années, Homo Erectus est présent jusqu’en Chine. Il apprivoise le feu, la cuisson des aliments, la taille de son cerveau augmente ; ses outils deviennent plus efficaces et l’esthétique se déploie en même temps que le langage se fait un outil majeur pour développer des formes sociales de vie plus coopératives. Là s’arrête le documentaire à l’aube du règne ultérieur d’homo sapiens, mais aussi de l’apparition de l’homme de Neandertal (Europe) et de l’homme de Denisova (Asie). Le propos soulève des interrogations à la lumière des dernières découvertes en paléo-anthropologie comme par exemple celles du rapport entre les sexes. Les caractéristiques de la vie sociale, les modes alimentaires, les moyens de communication sont à chaque fois présentés. Pascal Picq, paléoanthropologue au Collège de France, travaille sur l'évolution morphologique et sociale de la lignée humaine dans le cadre des théories modernes de l'évolution. Pour s’adresser au jeune lectorat, il choisit toujours la nuance en évitant la fiction, même si la trame du documentaire est un récit des origines.
NB : Nous signalons aussi la sortie simultanée d’un beau livre de photographie sur toute l’évolution de la famille des anthropoïdes à laquelle singes et hommes appartiennent, livre qui ne s’adresse pas, aux enfants et qui est sobrement intitulé Premier Homme.

Sans oublier : La Grande Galerie documentaire des squelettes, Casterman, 2014, 96 p. 14€95
                Dès 8 ans

A l’heure d’Halloween, de la vogue des zombies, du culte de la mort dans les films d’horreur et autres jeux vidéo, voici un épais documentaire bien venu pour rétablir les jeunes dans la réalité évolutive et physique du règne du vivant. L’ouvrage procède par doubles pages, chacune consacrée à un animal (morue de l’Atlantique, Ara écarlate, Roussette, Chauve-souris, cheval…) ou à une famille (amphibiens, baleines et dauphins, rongeurs…). Le tout forme un festival d’animaux : batraciens, poissons, oiseaux, mammifères, reptiles… Le squelette est à chaque fois mis sur un fond noir, des images plus petites montrent l’animal ou ses proches dans l’environnement naturel, et le légendage est un trésor d’informations et une initiation à l’anatomie des squelettes, comment s’articulent les os, comment s’expliquent leurs singularités de déplacements et mouvements. Voilà qui suffirait à faire connaître l’ouvrage, mais il y a plus. Le livre souligne la continuité entre l’animalité et l’humanité non sans convoquer parcimonieusement les sciences traitant de la préhistoire. 
Philippe Geneste