Anachroniques

27/12/2018

Beaux livres en fêtes

Beaux livres

Les éditions pour la jeunesse proposent tant de beaux livres que la catégorie ici, n’en est point une… Voici un choix pour les fêtes réalisée par les membres animateurs du blog lisezjeunessepg dont la commission jeune.

Smith Mike, Hennesey Jonathan, Une Histoire de la bière en BD, dessins d’Aaron McConnell, Steinkis, 2015, 172 p. 15€
Selon le discours officiel, « l’abus d’alcool est dangereux pour la santé », vérité certes, et du coup, le seul discours sur les produits psychotropes empruntent le chemin de la morale et du civisme. Le problème, c’est que se trouve mis hors de portée des consciences les relations étroites tenues par nombre de peuples avec ces produits. Or, la transformation de fruits de la nature en produits cultuels ou culturels explore l’humanité au même titre que d’autres mœurs et transformations de la matière par lesquelles les civilisations se sont forgées. L’ouvrage de Smith, Hennesey et McConnell traite, sur un grand format et avec érudition de la naissance de la bière au sein de peuples, des cultes auxquels elle semble s’être rattachée, puis de son développement. Les procédés techniques qui en gouvernent y sont détaillés, en accompagnement de son histoire, y replaçant les mythologies afférentes. L’ouvrage détaille la domestication des levures de bière, l’évolution jusqu’à aujourd’hui en passant par les temps de la prohibition aux Etats-Unis. En explorant la place de la bière dans la vie quotidienne et les rites religieux ou les usages politiques qui en sont faits, les auteurs ouvrent aux esprits la voie d’un regard critique instruit sur la question d’un des psychotropes les plus communément bus.

Agard John, Je m’appelle Livre et je vais vous raconter mon histoire, illustrations par Neil Packer, Nathan, 2015, 143 p. 13€90
L’écrivain et poète John Agard se met dans la peau d’un livre qui raconte son histoire. On pourrait résumer l’ouvrage aux illustrations en noir et blanc stylisées sous la forme d’une devinette : Qu’est-ce qui, en son commencement, fut minéral ? Qu’est-ce qui devint végétal ? Puis se transforma en animal ? Et qui, aujourd’hui est digital ?
Réponse : le livre, bien sûr qui eut pour support l’argile,  puis le papyrus (byblos) avant de se trouver sur du parchemin et qui, aujourd’hui, est transporté sur liseuses numériques et e.book.
Autre devinette : qu’est-ce qui a commencé tablette et qui retourne aujourd’hui à la tablette, sous nouvelle forme ?
Le livre d’Agard entre dans le détail de la tablette (d’argile, heureuse coïncidence des mots), du rouleau, du codex, de l’imprimerie et de la rotative. Agard conte aussi les grandes étapes de l’écriture cunéiforme, hiéroglyphique, alphabétique.
Le poète et l’illustratrice content les mésaventures, les épreuves du feu qui commencèrent en Chine, se poursuivirent avec les bûchers du Moyen âge, les codex mayas brûlés au XVIème siècle, les bûchers nazis du XXème siècle, la bibliothèque de Bagdad ravagée par les flammes en 1991, celle de Sarajevo en 1992…
C’est un livre qu’on feuillette, qu’on bouquine (clin d’œil à l’écorce du hêtre, boc en ancien anglais devenu book et bouquin) feuille à feuille (de palmier en Inde, de mûrier au Japon, de bananier aux Philippines, de papier longtemps et encore.
Ce livre est un chef d’œuvre tout autant qu’un beau livre.

Zucchelli-Romer Claire, Les petits doigts dansent, Milan, 2016, 26 p. 13€90
Des formes simples aux couleurs fluo sont creusées dans chaque page. L’enfant les suit et figure ainsi des rectangles, des triangles, des cercles, des sinusoïdes, des traits… Le texte invite à une activité de l’adulte avec l’enfant et ce n’est d’ailleurs qu’à travers l’activité que le livre prend tout son sens. L’horizontalité, la verticalité, sont éprouvées, des rythmes se créent en sautant de forme en forme ou de couleur en couleur. Et toujours ce texte pour guider l’adulte ou lui suggérer un ordre d’actions à faire faire à l’enfant sur les doubles pages cartonnées et creusées. Il ne s’agit pas d’apprendre la géométrie, mais de développer la motricité chez l’enfant. Le dialogue avec les parents lui permettra de développer aussi son imagination, en cherchant à voir ce que sont ces formes. En général c’est l’adulte qui initiera l’enfant à des rapprochements figuratifs avec le réel. C’est une promenade graphique par le biais sensoriel.

Zucchelli-Romer Claire, Les petits doigts sur le chemin de l’école, Milan, 2016, 26 p. 13€90
Bâti sur la même conception que le précédent, ce nouvel ouvrage avec ses formes simples tracées en couleur fluo sur des aplats de couleurs douces, raconte une historiette qui est aussi un ensemble articulé de consignes. Si la motricité des doigts et celle de la main sont requises, c’est pour propédeutique à l’écriture, mais sans aucune contrainte sans aucun formalisme. L’enfant fait les gestes pour suivre le chemin de l’école, et ce faisant va droit, parcourt l’espace en boucles, fait un retour en arrière, monte, descend. Le graphisme épuré du livre laisse libre cours à l’imaginaire du petit, appuyé sur le texte simple et poétique à la fois, mais sans verser dans l’image ou la métaphore. C’est à nouveau un excellent ouvrage.

Mon Grand Imagier sonore illustré par Kiko, Milan, 2018, 24 p. 19€90
Chaque double page est consacré à un thème relevant de la vie quotidienne. Les objets et animaux etc. inclus dans la double page, selon le principe de l’imagier (une image portant en dessous un mot), font l’objet d’un son que l’enfant actionne en appuyant sur le bouton propre à la double page. Au final, le livre devient un espace visuel autant que sonore qui ravit les petits enfants et qui instruit par ces deux sens (vue et ouïe) l’univers de la désignation du monde environnant. Un bel instrument pour enrichir son langage. On utilisera l’ouvrage d’abord en accompagnant l’enfant dès 1 an. Plus tard, on laissera l’enfant seul explorer les doubles pages. Une belle réalisation des éditions Milan.
Philippe Geneste

Zücher Muriel, Terriens mode d’emploi, illustrations de Stéphane Nicolet, Casterman, 2017, 64 p. 11€90
Cet ouvrage se présente comme un roman. Sa lecture porte à le considérer comme une fiction d’anticipation prenant la forme du documentaire. Des extraterrestres viennent sur terre pour comprendre les mœurs, croyances et fonctionnements sociaux et économiques des terriens. Un terrienologue spécialisé dans les passions des créatures terrestres dresse un guide pour les explorateurs à venir et fait le point des découvertes scientifiques concernant les terriens : éthologie, psychologie, habitudes culinaires, les formes de regroupement - famille ou société- etc. Le guide fait aussi l’inventaire des outils nécessaires pour aller à la découverte de la planète Terre : droïdes traducteurs, conseils de base pour y vivre, gestes de survie face aux réactions émotives des terriens etc. Un ouvrage à lire dès 8/9 ans jusqu’à 11/12 ans voire plus.

Mc Gowan Anthony, J’ai tué le Père Noël, Ridell Chris, Milan, 2018, 80 p. 8€90
Prix modeste pour ce petit livre à la couverture cartonnée et à la tranche arrondie. L’histoire est facétieuse autour de la croyance au Père Noël. Les illustrations de Chris Ridell donnent un charme fantaisiste.

Commission lisez jeunesse

16/12/2018

Une vie d’après

LONG, Hayley, Nos vies en mille morceaux, Gallimard jeunesse, 2018, 327 p., 15,50 euros.
Résumé :
Première et deuxième parties du livre «  Partout et nulle part  » et «  Brooklyn  » :
            Dylan est un adolescent de 15 ans. Il est le narrateur de cette histoire, écrite à la première personne. Il vit avec ses parents et son petit frère Griff, âgé de 13 ans. Lorsqu'ils étaient enfants, leurs parents ne cessaient de voyager à travers le monde (Shangaï, Barcelone...) sans vraiment se poser. Après être partis en vacances, ils sont tous en voiture pour rentrer chez eux, à New-York cette fois, lorsqu'un accident survient : leurs parents décèdent. Dans un premier temps, les deux orphelins sont recueillis par Blessing, la principale de leur ancien collège (ils n'y retournent pas puisque c'est les vacances), collègue et amie de leurs parents (qui étaient tous les deux enseignants d'anglais). Ils écoutent de la musique, profitent de la compagnie des animaux de Blessing : Marlon le chien et Pudders l'horrible chatte, pour faire leur deuil. Dylan se réfugie souvent dans « un lieu si proche si loin », c'est-à-dire un lieu peuplé par ses propres pensées et sa propre imagination, où il revit des souvenirs où ses parents sont souvent présents. Le lecteur connaît ainsi les événements de son enfance, marquée par les déménagements et les différents lieux où il a habité, son premier amour avec Mathilda, une petite allemande dont les parents étaient très amis avec les siens.
Troisième et quatrième parties du livre « Aberystwyth » et « A jamais ici et là »  :
            Au bout d'un certain temps, Dee, une cousine de leur maman, souhaite récupérer les enfants (leurs parents n'étant pas très liés avec le reste de leur famille, les garçons ont juste reçu des cartes de condoléances). Elle habite au pays de Galles, à Aberystwyth. Les enfants déménagent une fois de plus pour s'y rendre. Dee et son mari Owen se montrent très patients, très attentifs envers eux. Griff, à contrecœur, finit par retourner au collège. Il a du mal à s'habituer à ce nouvel endroit, avec des paysages et une langue locale qu'il ne connaît pas, et à se confier à ses tuteurs, pourtant très gentils. Il rencontre une élève de son collège, Hari, et accepte, sans enthousiasme, de participer avec elle à un programme où des bénévoles doivent rendre visite à des personnes âgées. Griff, toujours accompagné de Dylan, s'occupe de Powell, un vieux monsieur très sympathique qui vit dans une maison de retraite. Il est seul depuis le décès de sa femme.
            C'est à ce moment de l'histoire seulement que je me suis rendue compte que certains détails me semblaient étranges... Dylan accompagne tous les jours son frère au collège... Puis repart, ne sachant pas trop où aller. Comment se fait-il que lui-même n'aille pas au lycée ? Il écoute des conversations entre Hari et Griff, qui sont de plus en plus complices. Pourquoi ne participe-t-il pas à la discussion ? Comment se fait-il qu'il reste là alors que son petit frère discute, en privé, avec une fille ? Et, un jour où il laisse Griff seul avec Powell, Dylan va l'attendre dans le jardin. Il rencontre alors la femme de Powell qui jardine. Mais les fleurs qu'elle coupe ne vont pas dans son panier et restent au sol... Le lecteur comprend alors que Dylan est décédé lui aussi lors de cet accident de voiture. Il veille sur son petit frère depuis tout ce temps, de même que la vieille dame veille sur son mari Powell.
            Dans la dernière partie du livre, Powell se confie à Griff en lui racontant son histoire : il vient d'une famille polonaise, son vrai nom est Pawel Ciechanowski. Lorsqu'il avait 7 ans, la guerre a éclaté. Pour protéger son enfant, sa maman l'a envoyé à  Aberystwyth chez une cousine à elle qui avait épousé un marin anglais. Pawel n'a plus jamais vu ses parents. Il a été adopté par cette cousine et a pris le nom de son mari : Roberts. Son prénom a également été modifié. Cette histoire bouleverse Griff qui s'effondre en pleurs dans les bras du vieil homme, un peu surpris. Plus tard, il arrive enfin à se confier à Hari sur l'accident et à parler de Dylan. Ce dernier s'en va alors, convaincu que son frère va mieux, a accepté sa nouvelle vie auprès de ses parents d'adoption et de sa nouvelle amie.

Mon avis :

J'ai beaucoup aimé ce roman dont la fin m'a vraiment surprise, je ne m'attendais pas du tout à la tournure fantastique du livre. Il faut le relire pour remarquer qu'en effet, la plupart des personnages ne s'adressent jamais directement à Dylan. Pourtant, certains le font, comme l'infirmier qui est à l'hôpital après l'accident, Angel (qui est sans doute comme lui), l'amie de Blessing, une vieille dame nommée Freda, qui est un peu une voyante et les animaux qui réagissent également à la présence de Dylan. Mais les deux premières parties du livre sont vraiment écrites de manière à ce que le lecteur pense que Dylan est bien là (il participe aux discussions (sauf qu'on ne lui répond jamais directement), il est à la table avec Dee, Owen et Griff...). Ce n'est qu'une fois au pays de Galles que certains soupçons apparaissent chez le lecteur, soupçons confirmés lors de la rencontre entre Dylan et la femme de Powell. J'ai aimé l'idée d'un « lieu si proche si loin » avec les souvenirs du personnage et le lien, « la connexion cosmique » entre les deux frères. Ce livre est écrit de façon assez poétique, avec beaucoup de références à la musique (il y a même une « playlist » à la fin du livre).

Milena Geneste-Mas

09/12/2018

Quand le monde fait écran

Cohen-Scali Sarah, Connexions dangereuses, Flammarion Jeunesse, 2018, 187 p. 10€
Cet ouvrage est la réédition d’un roman paru initialement en 2002. La place accrue prise par les nouvelles technologies de communication et d’information dans l’univers des adolescents ne fait que rendre plus actuel ce que met en scène Connexions dangereuses : le pouvoir des messages médiés par le mail et portant sur la vie relationnelle d’un groupe d’adolescents, ici des élèves d’une classe de troisième.
Une adolescente et son petit ami-amant jouent à pervertir les relations amoureuses ou de séduction entretenues par eux ou par d’autres élèves de la classe. Aux 34 courriels et lettres qui composent le roman, Sarah Cohen-Scali ajoute 5 extraits de journaux intimes de deux protagonistes, dont une, essentiellement. Le schéma de ce récit épistolaire reprend explicitement celui du roman Les Liaisons dangereuses de Choderlos de Laclos, paru en 1782.
La structure des liens entre les personnages en est très proche : une fille, Virginie, qui pilote le montage des relations, par le jeu pervers de la séduction ; Bastien, le complice mais aussi le rival, qui va réellement tomber amoureux, mais ne saura pas sortir des rôles dans lesquels il s’est enferré ; Audrey, une jeune fille atteinte de boulimie suite à un inceste. Repliée à l’intérieur de sa souffrance, .elle va naître à l’amour. Puis comprenant qu’il s’agit d’un leurre elle tenter de mettre fin à ses jours ; Delphine, une jeune fille arrivant d’une école privée d’Afrique du Sud, qui va se lancer aveuglément dans la coquetterie et la séduction. Ce sont les figures en reflet de Merteuil, Valmont, Tourvel, Cécile de Volanges, personnages du roman de Laclos. Francis, qui devient l’amoureux de Delphine, joue, lui, le rôle de Danceny dans le roman de Laclos : c’est lui qui poignarde mortellement Bastien qui a créé le scandale en affichant une photographie de Delphine nue dans le foyer des élèves.
Comme Les Liaisons dangereuses, Connexions dangereuses est un récit d’initiation pour tous les personnages et pas seulement Audrey et Delphine, une sorte d’éducation sentimentale des adolescents d’aujourd’hui. A travers Virginie, le machisme est dénoncé, mais cette dénonciation sombre dans une volonté d’emprise sur Bastien qui fleure un raffinement d’autorité. Le suicide d’Audrey, l’acte suicidaire final de Bastien, soulignent que les pièges des relations épistolaires par courriels et l’exposition des images des uns ou des autres sur les réseaux sociaux aliènent les individus, les victimes mais aussi les auteurs. Ici, le récit de Cohen-Scali s’émancipe de son modèle. La théâtralisation des relations intimes n’a pas une visée morale mais une volonté clinique de mettre les jeunes gens en face des faits construits par les correspondances. On peut définir Connexions dangereuses comme une fiction de non-fiction.
Pour souligner les risques de la domination du paraître sur l’être, l’autrice intègre le journal intime d’Audrey, écriture de vérité et seul moment d’écriture authentique pour Virginie dont c’est le dernier écrit dans le roman. Si on retrouve bien la mise en scène de l’interdit, de sa violation comme entrée en lice de la séduction, de la punition finale après les deux suicides et l’effondrement de la frivolité perverse ou sensualité niaise de Delphine, si on retrouve bien ce schéma issu du livre de Laclos, son dernier temps (la punition) se mue en une prise de conscience des protagonistes.
Ce qui le permet, c’est le dispositif épistolaire où s’entrecroisent la relation Virginie/Bastien, la relation Bastien/Audrey, la relation Delphine/Francis (un personnage rival de Bastien) qu’entravera Bastien sur ordre de Virginie. La lettre représente les événements, elle ne les raconte pas, mais l’entrecroisement des lettres prend fonction de narration sur laquelle le lecteur s’appuie pour construire l’intrigue. Connexions dangereuses n’est pas comme Les Liaisons dangereuses une tragédie mais un drame. La libération des sens de Micky, l’amie de Delphine restée en Afrique Sud, la mort laissée en suspens d’Audrey et Bastien, tous les deux dans le coma à l’issue inconnue quand on referme le livre, le repentir inscrit sur le journal intime de Virginie, sont autant de preuves que Cohen-Scali a voulu privilégier la prise de conscience, la réflexion du jeune lectorat quitte à sacrifier un peu de la logique propre de son récit. Elle inscrit ainsi un trait propre au naturalisme tempéré (1) né à la fin des années 1990 dans le roman d’apprentissage destiné à la jeunesse et dont Burgess fut une figure notoire.
Enfin, dernier clin d’œil aux Liaisons dangereuses de Laclos, les échanges de courriels et lettres racontent l’histoire du roman. La dernière lettre est celle du professeur de français de la classe, qui adresse à un éditeur le tapuscrit titré Connexions dangereuses, roman épistolaire écrit par les élèves de troisième durant un atelier d’écriture. Ainsi, « l’histoire du roman est l’histoire dans le roman » (2).
Philippe Geneste
(1) Voir Philippe Geneste, « Le roman d’apprentissage, une évolution difficile vers un naturalisme tempéré », L’Ecole Emancipée, hors-série mai 1999 p.30 (2) Todorov, Tzvetan, « Choderlos de Laclos et la théorie du récit », Tel Quel, 1966 n°27
NB : signalons aussi le roman de Cathy Cassidy, Les Filles en chocolat. Cœur Vanille, traduit de l’anglais par Anne Guitton, 2017.

Guiller Audrey, Les écrans, illustrations d’Andrés Lozano, Milan, 2017, 40 p. 8€90
Ce documentaire paru fin 2017 s’adresse aux enfants de 8 à 12 ans. Chaque double page traite d’une problématique liée à l’utilisation des écrans dans la vie quotidienne : pourquoi les écrans attirent mon regard ? Que fait mon cerveau quand je joue sur l’ordinateur ? D’où viennent les images que l’on voit à l’écran ? Pourquoi les télés étaient très grosses avant ? Qui fabrique les écrans ? C’est vrai, tout ce qu’on voit à la télé ? Pourquoi mes parents veulent que j’éteigne la télé ? Pourquoi on dit que les écrans fatiguent les yeux ? Est-ce que les écrans vont remplacer les livres ? Pourquoi mamie dit que c’est compliqué les écrans ? Est-ce qu’on a des écrans dans tous les pays du monde ? Pourquoi je ne peux pas aller tout seul sur internet ?
D’autres sujets sont aussi abordés : pourquoi l’écran ne captive pas l’attention du chien ? Où trouve-t-on des écrans ? C’est quoi internet ? Quelle mémoire est mobilisée quand on travaille à l’écran ?
Alors oui, cet ouvrage est bien fait et agréable à consulter avec son papier glacé.
Le seul bémol tient au parti pris courant en littérature de jeunesse : les questions liées à l’exploitation sont évacuées du documentaire. Ainsi, le livre mentionne bien les terres rares (terbium, cérium) utilisées pour fabriquer les écrans mais rien n’est dit sur les conditions de leur extraction. Pourtant, c’était l’occasion de montrer comment le travail des enfants sert les profits des entreprises du secteur. En revanche, il est bien dit que leur extraction est polluante : polluer n’est pas mis en relation avec exploiter. De même, l’ouvrage mentionne l’inégale répartition des écrans sur la planète, mais rien n’est dit de l’inégalitaire répartition des richesses entre les pays.

Commission lisez jeunesse

02/12/2018

Je préfèrerais n’en rien dire et pourtant…

DESHORS, Sylvie, Coup de talon, Editions Talents Hauts, 2013, 96 pages, 8 euros (ISBN : 978-2362661006)

Résumé :
Laure est une collégienne d'environ 15 ans, blonde, coquette et populaire. Sa sœur, Lucie, qui n'a que treize mois de moins qu'elle, est une petite brune. Les deux sœurs ont pour passion commune la natation... Un soir, tout bascule. Alors qu'elles attendent dans le métro, Lucie s'éloigne un peu de sa sœur pour discuter avec une copine. Mais lorsqu'elle revient, Laure est en train de se faire agresser par des garçons qui lui volent son sac à main. L'attaque est très rapide. Personne ne réagit, excepté Lucie. Les agresseurs se sont enfuis ; Lucie prend sa sœur dans ses bras. Laure lui confie que les garçons l'ont insultée et touchée. Elle se sent humiliée et salie. Elle fait promettre à Lucie de ne signaler à leurs parents que le vol du sac et de ne rien dire de l'agression. A personne. Lucie accepte.
Mais Laure se renferme de plus en plus sur elle-même. Elle, auparavant très coquette, ne s'habille plus qu'en jogging, elle ne va plus aux cours de natation, repousse l'aide de ses amies, ses résultats baissent au collège, elle parle mal à Lucie... Elle pense que c'est parce qu'elle est blonde et jolie que les agresseurs l'ont choisie pour cible. Un dimanche après-midi, leurs parents, qui ont remarqué son changement d'attitude, décident d'emmener leurs filles à la plage. Mais une fois installés sur le sable, ils se retrouvent sous la pluie et sont obligés de rentrer ! Alors qu'ils retournent tous à la voiture, Laure trouve un chaton abandonné et affamé. Ils décident de l'adopter, à condition que Laure améliore ses résultats au collège. Elle accepte, heureuse de s'occuper du petit animal mais ne parvient toujours pas à s'ouvrir à ses amies ou à ses parents.
Un samedi soir, le meilleur ami de Lucie, Timéo, l'invite à un repas de famille chez lui. Sa maman accepte en demandant à Lucie d'emmener Laure avec elle. Timéo a quatre sœurs présentes à la soirée qui s'entendent très bien avec elles. Le lendemain, Timéo décide de les laisser aller à la plage entre filles. Laure se confie alors petit à petit à ses amies. Alors qu'elles sont en train de se baigner, Laure plonge et remonte à la surface de l'eau et de sa propre vie, grâce à un "coup de talon".

Mon avis :
Si la personnalité des personnages n'est pas très complexe, ce livre reste efficace pour faire comprendre combien des insultes et des attouchements peuvent traumatiser une victime, même sans aller jusqu'au viol. Le fait que le style de l'auteur soit assez simple, que le livre soit très court et facile à lire (je l'ai lu en deux heures) permet à un jeune public, comme des collégiens, de le lire et de saisir, rapidement, le message de l'auteur. En effet, cette histoire fait bien comprendre le traumatisme qu'une agression peut causer et montre combien il est important d'en parler. C'est parce qu'elle préfère ne rien dire à personne de l'attaque dans le métro que Laure sombre petit à petit. Elle rejette même la seule personne au courant, Lucie. A la fin du livre, c'est grâce à la patience de sa petite sœur, à la complicité et à l'écoute des sœurs de Timéo, que Laure finit par se confier et va choisir de donner un "coup de talon" pour rejoindre la surface, pour pouvoir respirer et être elle-même de nouveau.
Milena Geneste-Mas

Brami Elisabeth, Le Courage d’être moi, Nathan, 2018, 112 p. 5€95
Le titre édulcore un peu l’histoire. Il s’agit d’un cas de harcèlement, comme il peut se produire dans les cours de récréation des collèges. On est en classe de quatrième. Un garçon timide subit les moqueries de ses pairs. La dépression guette. Une amie, Manon, va à sa rencontre et le motive pour qu’il ne se laisse pas faire. Les jeunes lecteurs et jeunes lectrices discutent âprement l’idée proposée par l’intrigue de répondre à la violence des harceleurs par la violence. Mais en même temps, il ressort bien de l’ouvrage que ce qui compte c’est de prendre courage, pour, moralement, être en mesure de répondre, non à coups de poings mais verbalement. Le livre montre également, que le harcèlement n’est pas le problème individuel du harcelé mais celui du groupe, de la classe. L’amitié, qui symbolise la solution solidaire au harcèlement, illustre avec intérêt cette affirmation : « Des fois, Personne c’est Quelqu’un. C’est alors que Manon est rentrée dans ma vie ».

La commission lisezjeunesse

25/11/2018

Un livre jeu pédagogique de haute rigueur

Caro Florine, Les Trois Petits Cochons. Livre-jeu pédagogique, Tom Pousse 2018 coffret avec livret pédagogique, magnets, album, 80€
Ce coffret intéressera en particulier les professionnels qui travaillent avec des enfants présentant des troubles du spectre autistique : troubles de la communication ; troubles des interactions ; troubles du langage ; déficit du traitement des informations sensorielles ; manque d’accès « à la théorie de l’esprit » ; manque d’accès à l’implicite ; difficultés à se repérer dans l’espace et le temps ; des centres d’intérêt restreints et répétitifs ; troubles des fonctions exécutives (capacité à s’adapter au contexte).
Mais le coffret sera très utile aussi à ceux qui sont confrontés à des situations pédagogiques avec des enfants présentant des troubles associés. Enfin, les enseignants des grandes sections maternelles et du CP y trouveront aussi des ressources. C’est donc un outil pédagogique que nous recommandons à l’achat par les instituts médico-éducatifs, instituts médico-pédagogiques, les Sessad, les écoles et les institutions publiques ou associatives où viennent consulter des enfants à besoins éducatifs particuliers.
Le livret propose des exploitations pédagogiques bien composées et très détaillées, pour les enseignants en école maternelle, pour les éducateurs spécialisés. Les séances sont détaillées, le matériel décrit. Des séances pour éducation sensorielle sont également à l’ordre du jour.
On trouve un travail sur l’oral à partir d’une manipulation des magnets que l’on peut mener en petite section, moyenne section et grande section.
On trouve le détail d’un atelier dans le cadre des objectifs de communication et créativité en lien avec le Système de Communication par Echanges d’Images (PECS). L’atelier repose sur une expérimentation réalisée en Institut Médico-Pédagogique et en Institut Médico-éducatif accueillant des enfants de 4 à 20 ans ayant des troubles du spectre autistique et des enfants présentant une déficience intellectuelle moyenne à profonde avec ou sans troubles associés : discrimination de pictogrammes, travail sur la compréhension de l’histoire à travers leur utilisation, généralisation des compétences , développement de la créativité de l’enfant.
On trouve une exploitation pour des séances de petits groupes dans le cadre d’ateliers interdisciplinaires (« psycho-éducatif », « psychopédagogique », « pédagogico-éducatif » selon les objectifs fixés pour chaque enfant). Ces ateliers visent en particulier le travail sur les émotions et leurs diverses expressions, mais aussi le travail sur la temporalité (chronologie de l’histoire).
Enfin, le livret donne une analyse précieuse du matériel qu’il renferme et donne des pistes pour l’augmenter pour des visées spécifiques. Un véritable outil qui offre des prolongements numériques dont une version audio-phonique du conte.

Philippe Geneste

18/11/2018

Contre la servitude volontaire

Robberecht Thierry, Le rapport Timberlake, Mijade, collection J zone, Mijade, 2018, 126 p. 6€
« Il faut toujours s’indigner et se rebeller contre l’injustice »
page 139
Voici un ouvrage qui joue sur les frontières du réalisme et de la science-fiction. Suite à la collision entre la planète Terre et un astéroïde, des terriens ont fui sur Cyrus pour survivre, y installant un processus de colonisation. La planète Cyrus est ainsi administrée par le pouvoir central terrien qui y mène une véritable guerre civile.
Régulièrement, des cyrusiens migrent toutefois sur la terre, car les conditions de vie sont terribles sur la nouvelle planète. Au départ acceptés, ces migrants sont désormais refoulés par un pouvoir dictatorial qui se nourrit de xénophobie : « on ne peut pas accueillir toute la misère de l’Univers » (p.11). dit le président nommé le Boss, paraphrasant le ministre Rocard des années 1980/1990 en France. On suit une jeune migrante, séparée de ses parents, expulsée de Terre et qui se retrouve sur Cyrus. On reconnaît aisément un croisement entre l’actualité déchirante de notre monde contemporain et la thématique imprimée durablement dans la science fiction par les Chroniques martiennes de Bradbury. Mais il s’avèrera que les Cyrusiens sont les ancêtres des humains, ayant un corps seulement adapté au milieu hostile de Cyrus et son climat torride, une adaptation qui a abouti à les faire ressembler à de gros insectes vivant, pour les moins fortunés, dans des cactus géants. Se jouera alors une bataille scientifique, médiatique et politique contre le pouvoir, bataille menée par une organisation que la répression force à la clandestinité.. La résistance s’organise dans la ville rebelle de Galeda dans la Province du Nord de Cyrus qui refusé le contrôle télépathique du pouvoir central de la colonie. Le Veilleur, ainsi se nomme le pouvoir sur Cyrus, y enverra l’armée pour anéantir toute résistance présente et à venir. La problématique du pouvoir est ainsi associée à celle de la surveillance et de la guerre. Comment ne pas entendre en échos l’univers dystopique de La Servante écarlate d’Elisabeth Atwood ?
La métamorphose évolutive de l’humanité sur Cyrus permet à l’auteur de poser nettement la question de la place de l’hospitalité et donc de l’autre pour penser l’avenir historique. Elle repose aussi sur la fiabilité des discours des politiques et des scientifiques : le roman est ainsi un récit contre les fausses preuves et l’idéologie qui maintient en ordre des sociétés par la haine et l’intolérance. Le livre s’ouvre alors à la thématique de la non-violence sans en faire un vecteur de l’intrigue : « où que j’aille, je ne rencontrais que violence et guerre » (p.109). Cette thématique s’articule avec celle d’un darwinisme explicitement convoqué et appliqué à la vie extra-terrestre. Dès lors, les êtres humains finissent par choisir des comportements d’empathie. C’est par l’engagement militant pour d’autres rapports sociaux, que leur société  trouve, dans l’altruisme, l’énergie qui la réalise : « On ne règle rien en se soumettant » (p.46).
Ainsi, Le Rapport Timberlake, du nom du scientifique, lanceur d’alerte, qui a réuni les preuves anthropologiques et scientifiques de la nature humaine des cyrusiens, est un roman ancré dans le contemporain. La fin de l’histoire se dégage des dystopies qui pourtant servent de références et forment donc l’intertexte de l’œuvre. On peut y voir la conformité au secteur de la littérature de jeunesse qui abuse des fins heureuses. Mais ce serait une erreur. En effet, le choix narratif est cohérent avec la composition du livre qui promeut l’engagement politique des personnages contre les formes diverses de la servitude volontaire.

Philippe Geneste

11/11/2018

Du livre-objet et du livre d’activité à la pratique de la lecture

David François, Le bout du bout, illustrations d’Henri Galeron, mØtus, 2018, 15€50
mØtus est dans l’édition de la jeunesse, un protagoniste rare du livre-objet. La dernière parution n’est pas un livre dont on tourne les pages, il n’est pas un livre dont on déplie les pages, il n’est pas un livre accordéon même si on s’en approche, non, il est un tire-lire, un livre dont on tire les pages emboîtées les unes dans les autres. Et pour combler de plaisir le jeune lecteur, une fois les pages remisées les unes dans les autres, on recommence pour mieux apprécier les illustrations un rien pataphysiciennes d’Henri Galéron. La première histoire est d’abord et surtout l’histoire d’un tire-lire, soit un commentaire, facétieux François David, de l’acte même de lecture. Mais le plaisir de lire va encore s’augmenter parce qu’en retournant Le bout du bout on tombe sur Le bout du bout du bout en lieu et place d’une quatrième de couverture… Alors, on a compris, on va tirer, sauf que là, il y a une histoire de langue, une langue au chat appelle le travail d’illustration, une langue pendante de bavards invétérés. Et on tire et on tire, pour obtenir, ou espérer d’obtenir cinq minutes de silence. Et puis on remise la langue dans la gueule d’oiseau de laquelle elle sort. Et tout peut recommencer. Le bout du bout et Le bout du bout du bout ou Le bout du bout du bout et Le bout du bout sont un seul et même tire-lire, un tire-lire infini. Un livre-objet, on ne s’en sépare jamais, parce qu’un livre-objet défie l’âge quand défilent les pages.
Zucchelli-Romer Claire, Petit rond rouge devient grand, Milan, 2018 16 p. 13€90
Voici un nouveau livre d’activité de l’innovante Claire Zucchelli-Romer. Comme les précédents, il s’agit d’approfondir les capacités motrices de l’enfant par le livre et donc par la lecture, une lecture motrice pour les petits. Ici, la lecture se comprend comme un dialogue avec l’enfant car le livre ne prend toute sa dimension d’apprentissage que si une verbalisation accompagne la manipulation de l’enfant : pencher le livre, le tourner, le renverser et le retourner, le faire zigzaguer. Ce qui est travaillé, insciemment, bien sûr, c’est le mouvement d’approche et le mouvement d’éloignement, avec tout ce que ce mouvement comporte de significations affectives possibles pour l’enfant. Ce qui est mis en acte c’est le mouvement d’avant en arrière, de gauche à droite et vice versa.
Par les personnages qui bougent (carré bleu, triangle vert, losange orange, ovale violet) l’enfant se familiarise avec les couleurs et les formes, sans autre métalangage, juste par induction.
Sanders Allan, Mon ABC à jouer, Milan, 2018, 56 p. 14€90
Si le retour des discours sanctifiant le B.A.ba, discours émanant des soi-disant spécialistes cognitivistes payés par le ministre de l’éducation Nationale, relèvent d’une blanquérisation c’est-à-dire d’une régression de la conception de l’apprentissage, les parutions d’abécédaires qui s’égrènent dans les catalogues des éditeurs sont souvent une joie pour apprendre. Ce dernier venu, chez Milan, exige la présence de l’adulte. Il est conçu comme un livre de devinette pratique : où trouver dans un fouillis les objets mis dans la marge droite ou à l’intérieur de chaque double page accompagné par le mot qui le désigne.
Il y a un peu mélange des genres, entre l’abécédaire à proprement parler qui ne concerne que les thèmes-titres de chaque double page et l’imagier (les mots accompagnés de leur image en plus petit à l’intérieur de la double page). On peut penser que ce mélange est contre-productif en termes d’apprentissage de l’alphabet. En revanche le livre plaît aux enfants qui jouent à rechercher les mots-objets imagés.
Deneux Xavier, Brique à brique, Milan, 2018, 56 p. 15€90
Si nous ne mentionnons pas le nombre de pages de ce livre, c’est parce qu’il s’agit d’un livre puzzle qui rend compte de la fabrication d’une maison. C’est donc l’histoire d’un chantier jusqu’au foyer achevé. Le tout, dans l’ordre des pages à voir, constitue ainsi une histoire. C’est une belle réalisation qui convient aux enfants petits, et qui invite les petites mains à s’emparer de l’ordre de la fiction.
Loupy Christophe, Suis le chemin des fourmis, Milan, 2018, 26 p. 12€90
Voici un livre inventif. L’histoire est racontée sous la forme de motifs géométriques. Un rhodoïd que l’on glisse sur la page anime cette dernière c’est-à-dire anime la procession des fourmis au travail inlassable. Carré, triangle droite, cercle, sinusoïde, guirlande, et autres figures composées se révèlent pleines de vie. Il faut accompagner le petit enfant afin qu’il n’en reste pas à la magie des images fixes qui s’animent grâce au glissement du rhodoïd plastique sur la page mais saisisse l’articulation entre les doubles pages. Un album inventif, instructif, ludique par la manipulation qu’il exige. Remarquable.

Philippe Geneste

04/11/2018

Confettis bibliographiques de naguère

Gautier Théophile, Le Capitaine Fracasse, édition abrégée par Patricia Arrou-Vignod, notes et carnet de lecture par Philippe Delpeuch, Gallimard, Folio junior, 2014, 351 p. 6€30
L’adaptation du roman est respectueuse du style et de la structure de ce qui reste l’œuvre la plus connue de Théophile Gautier (1811-1872), celle aussi qui le fige dans un genre qu’il n’a pas épousé durant toute sa vie d’écrivain. Gautier est en effet un créateur en évolution permanente. En tout cas, pour ce travail de transmission patrimoniale, Patricia Arrou-Vignod pour l’intelligence de la version abrégée et Philippe Delpeuch pour la contextualisation du récit aident à la compréhension du mouvement général de ce fleuron du roman d’aventure de cap et d’épée.

Homère, L’illiade, traduit et adapté du grec ancien par Chantal Mouriousef, illustrations de Nicolas Duffaut, carnet de lecture par Chantal Mouriousef, Gallimard, Folio junior, 2014, 206 p. 6€30
Le travail de Chantal Mouriousef n’est pas en cause, loin de là car il est érudit. Mais qu’une œuvre, certes au programme des classes de sixième, fasse l’objet presque chaque année de nouvelles adaptations laisse un peu dubitatif. Au fond, qu’est-ce qui est recherché ? Rendre clair et compréhensible une œuvre inaccessible aux enfants de 10/12 ans ? Admettons, mais alors, la culture patrimoniale ne dit-elle pas ici combien, pour elle, valent mieux les références culturelles communes d’une nation à l’appropriation réelle dans toute leur complexité des œuvres du passé ? Le livre chroniqué n’est pas ici en cause, sinon par sa participation au marché scolaire. Ce qui est en cause, c’est les programmes scolaires eux-mêmes qui, en matière de littérature restent souvent si rébarbatifs et au fond si peu objectifs sur les capacités réelles de lecture des plus jeunes collégiens.

Godard Philippe, Une Poignée de riches… des milliards de pauvres !, Syros, 2012, 170 p. 12€
Il faut toujours revenir sur cet ouvrage exceptionnel de Philippe Godard. Il pose avec simplicité et finesse les enjeux de l’appréhension des sociétés contemporaines, débordant largement la vulgate sociologique pour emprunter le chemin réflexif sur la fibre internationale –nous aimerions dire internationaliste-. Il n’évite pas les points difficiles, comme par exemple essayer d’aborder l’aliénation dans les pays riches et scruter l’affaiblissement du sentiment de la révolte. Il décrit comment on est passé des années soixante-dix où la révolution se donnait comme horizon à la pensée critique au vingt-et-unième siècle où toute idée de révolution a sombré dans les dictatures bureaucratiques qui se l’ont appropriée. L’idée de révolution a été trahie par ceux-là même qui instauraient des régimes coercitifs avec de nouvelles hiérarchies sociales. Et c’est aussi le désir humain d’affranchissement qui l’a été jusqu’à voir la notion de liberté étriquée dans l’individualisme bourgeois conservateur, réactionnaire et toujours empreint de religiosité.

Constant Gwladis, L’étendard collégien est levé, Oscar, collection Court métrage, 2013, 70 p.
Cet ouvrage composé de dix chapitres décrit la vie horrible des collégiens. Décapantes, ces nouvelles s’organisent en quasi fictions documentaires. Les jeunes de 10/13 ans s’identifient aux récits jusqu’à souvent confondre la troisième personne du personnage au « je » qui rend compte du livre. C’est, de ce fait, un livre humoristique et réaliste qui comme le disait un des membres de la commission lisez jeunesse : « Si au quotidien c’est parfois difficile [le collège] voir ce que d’autres vivent et comment ils survivent sont des choses réconfortantes ».

Campbell L.A., Léo Sacrin, mémoires catastrophiques pour collégiens du futur, Gallimard jeunesse, 2013, 176 p. 9€50
Il ne s’agit pas d’un roman, à peine d’un récit, mais plutôt d’une encyclopédie farfelue de collégien. On y retrouve la quotidienneté des 11/14 ans, mais en même temps, un décalage comique dans les situations. On est proche du gag mais le texte est trop long pour appartenir à ce genre. On est donc dans un genre mixte où le journal intime et le gag s’interpénètrent pour créer un ovni littéraire
Commission lisez jeunesse
*
Patte Geneviève, Laissez les lire ! Mission lecture, Gallimard jeunesse, 2012, 350 p. 20€
Voici la réédition augmentée d’un ouvrage paru pour la première fois à la fin des années 1970. L’autrice est bibliothécaire, pionnière des bibliothèques pour enfants qu’elle conçoit comme des lieux d’échange, de rencontres et des lieux de paroles. A l’ère du numérique, ces principes n’ont rien perdu de leur pertinence et les nouveaux outils qui métamorphosent bien des bibliothèques peuvent s’intégrer à merveille dans leur réalisation pratique. C’est ce que tente de montrer l’ouvrage.

Delahaye Thierry, Petites Histoires des noms de rue, Flammarion jeunesse, 2015, 127 p. 5€70
Un livre alerte, sorte de cours d’histoire par le nom des rues avec une prédilection pour les personnages historiques, bien sûr, mais des regroupements par époque ou thème. La narration est assurée par le dialogue d’un grand-père et de son petit-fils. Agréable, instructif, bien que prenant le sentier des anecdotes. 

Philippe Geneste

27/10/2018

Les idéaux ne se commémorent pas

Force est de constater que l’euphorie éditoriale qui a entouré les cinquante ans de Mai 68 en France et dans la monde n’a pas eu son équivalent dans le secteur de la littérature destinée à la jeunesse. Mai 68 ne s’accommodait pas de la thématique à la mode de l’humanisme bourgeois ni de la pensée socialement anesthésiante du mouvementisme social. Trois ouvrages viennent contredire cette assertion, ce qui les rend d’autant plus remarquables à nos yeux.
A.M.&P.G.

pandazopoulos Isabelle, Trois Filles en colère, Gallimard collection Scripto, 2017, 335 p. 13€50
Partout désormais, des murs sont érigés, qu’ils soient faits de bétons, de lames, de barbelés, ou de clôtures grillagées, enlaidissant honteusement sur des millions de kilomètres les pays, les frontières, les mers et certaines îles, afin, selon les états concernés et incriminés ici, de se protéger d’éventuels dangers et d’êtres humains stigmatisés, rejetés souvent aux périls de leurs vies, et que l’on nomme « migrants ».
Le mur de Berlin dont il est question dans ce roman fut construit en 1961 et détruit en 1989. Il fut construit afin de séparer les pays de l’Est et les pays de l’Ouest -les états communistes des états capitalistes-, divisant la capitale de l’Allemagne vaincue, séparant en quelques jours les deux populations. Nombre d’êtres humains furent tués en tentant de franchir celui qui fut nommé « le Mur de la Honte ».
Au fond d’une valise nouvellement acquise, datées des années 1966 à 1968, des lettres éparpillées (soixante dix-neuf lettres) aux différentes écritures se mêlent au plan de Berlin Ouest et Berlin Est, à la carte de la Grèce en y incluant des îles-prisons, à des photographies anciennes, à des extraits de journaux d’époque, à des pages de journaux intimes et un très beau poème de prisonniers politiques grecs. La personne qui a acheté cette valise, mettant très consciencieusement et respectueusement en ordre chronologique tous ces documents et toute cette correspondance, va permettre de dévoiler l’histoire de trois jeunes filles, Cléomèna, Magda, Suzanne, toutes trois nées en 1949.
Cléomèna a du fuir son pays, la Grèce, qui subit la dictature des généraux. Le père de la jeune fille, opposant au régime, a été torturé, rendu fou avant de mourir. Après bien des errances Cléomèna trouve refuge à Paris, auprès de la famille de Suzanne. Celle-ci est la cousine et amie de Magda qui, après la construction du mur de Berlin en 1961 jusqu’en 1966 a vécu chez elle, puis est retournée en Allemagne, auprès de sa famille meurtrie.
Au fil des pages les trois héroïnes du roman vont s’affranchir du joug de la société bourgeoise et militaire, tandis qu’en ce printemps devenu mythique les murs du pouvoir se lézardent, elles vont se forger des idéaux affranchis de l’esprit d’oppression, de compétition, esprit animé de diktats de la société machiste et bourgeoise qui sévit toujours…
Ces trois héroïnes qui vivent leur jeunesse en 1968, ont des traits que l’on peut retrouver chez des jeunes filles de 2018 : c’est Cléoména, en exil, intelligente, fière, d’abord effacée puis militante courageuse dans les actions de mai pour, comme ses lettres le disent, choisir ce que nous ne révélons pas ici ; c’est Suzanne, exaltée, sensible, sa haine du mensonge et qui étouffe dans sa famille, Suzanne avec son désarroi face à son corps, à sa sexualité, s’épanouissant dans ses rencontres avec des étudiants rebelles ; c’est Magda si emplie d’empathie, cherchant à comprendre ce que les apparences taisent, Magda si fine, subtile dans ses relations et meurtrie par son enfance douloureuse où les blessures de son pays se mêlent.aux siennes. Mais c’est aussi dans la pénombre du roman les visages de leurs mères qui se dessinent, celui de Stavroula, la mitèra de Cléomena, emprisonnée politique, elle dont le mari a été torturé et rendu fou par la dictature des colonels, elle dont le fils est tué par cette même dictature ; le visage de Sibylle, la Mutter de Magda, avec sa jeunesse brisée par la guerre, avec la folie et la mort de son premier enfant conçue en ces temps de guerre, avec ses années perdues à l’ombre de la Stasi, étouffée par ce lourd secret de famille qu’on les oblige à défendre, elle et Ilse, son amie et belle-sœur, face aux questions de leurs filles et leur demande de vérité. C’est la silhouette d’Ilse, la maman de Suzanne, lorsqu’à la Libération on l’imagine sur les chantiers de la ville en ruine, toute démunie avec son petit garçon au père inconnu, puis à trente neuf ans donnant naissance à un enfant qu’elle n’a pas désiré, Ilse qui dévoile le lourd secret familial, s’en affranchit et se libère de son mariage tout en prenant une part active aux révoltes de mai 68.
Il est question, dans ce roman magnifique, d’émancipation, du droit des femmes à disposer de leur corps, de contraception, d’amour libre et de ce qu’il signifie, d’amour romantique revendiqué, de passion, d’amitié, de réalisation de soi et de sexualité.
S’il est des valises coffre-fort où sont gardés argent, pouvoir, domination, s’il en est de calfeutrées, de douloureuses, fragiles comme « un vieux truc informe, tout ratatiné et poussiéreux », il en est que l’on ouvre comme l’on ouvre un livre…avec exaltation, comme pour ce roman érudit et sensible, féministe, qui émeut aux larmes quel que soit l’âge de nos yeux et de nos sourires. Tel est le roman d’Isabelle Pandazopoulos, Trois filles en colère, dont chaque page affirme qu’il est interdit d’interdire de penser, qu’il est interdit d’interdire d’aimer.

DU BOUCHET, Paule, 68 Année Zéro, Gallimard collection Scripto, 2018, 196 pages, 9€90
Autre beau roman sur les événements de 1968, 68 Année Zéro laisse parler sa narratrice Maud, âgée de seize puis dix-sept ans. C’est une parole sensible, certains diraient naïve d’une jeune fille qui découvre le monde ; une parole qui questionne, prend parti, se positionne ; une parole qui s’envole pleine d’humour, de gaité. Maud comme le montre le plan de Paris, habite au cœur des émeutes, des barricades, des fumées et lancers de pavés, des violences policières et répressions du pouvoir. Maud se raconte avec précision, finesse, drôlerie s et l’on ne peut fermer le livre avant la fin, on ne peut ne plus l’écouter. Elle nous dit de ne pas se décourager, ne pas renoncer, de rester intègres, de rester rebelles et que les idéaux ne se commémorent pas, ne s’enterrent pas dans du marbre mais qu’ils permettent des axes de pensée, de conscience, d’engagement. Et ainsi de respecter, d’écouter les belles utopies… « Soyons réalistes, demandons l’impossible ».
Annie Mas

Ohayon Danièle, Fillioud Patrick, Mai 68 e A à Z. 100 mots pour comprendre le bouleversement de la société, oskar, 2018, 143 p. 12€95
10 millions de grévistes, usines, lycées et universités occupées, la France de 68 à l’instar d’autres pays dans le monde est bousculée par une contestation sociale qui met en cause les modes de vie conformistes, les modes d’organisation militantes, les formes d’organisation de la vie en société, les schémas idéologiques qui s’étaient imposés après la seconde guerre mondiale, les comportements de la consommation de masse. Pour paraphraser Elvio Frachinelli, les désirs dissidents se défont de leurs oripeaux de peur et entrent au plein jour de la scène sociale,
Mai 68 a été ce « grand commutateur planétaire » (1) dernière convulsion révolutionnaire reliée au XIXème siècle, pour certains, ou clé d’entrée dans la modernité par l’émancipation, pour d’autres. En tout cas, par tous ses aspects, « le Mouvement de Mai 68 a présenté des caractéristiques nouvelles, comparé à ses prédécesseurs de notre vieille société industrielle. Il se situe à la charnière entre le “vieux mouvement révolutionnaire” et de nouvelles formes qui devraient jaillir des nouveaux dispositifs de domination que le capitalisme est condamné à mettre en place, dans cette société autant “de classe” que jadis. Et en tant que précurseur, il est naturel qu’il n’ait pas débouché sur une structuration et une permanence politique »
Le livre d’Ohayon et Fillioud se présente sous la forme d’un dictionnaire. Evidemment, on peut regretter des oublis ou des silences. Par exemple, comment parler de l’anti-militarisme sans parler des réfractaires à la guerre d’Algérie et de l’action non violente, sans mentionner les objecteurs de conscience et le statut obtenu après la grève de la faim de louis Lecoin en 1963 ? On regrettera sûrement, que la dimension internationale bien que présente ne soit pas plus mise en avant. Pourquoi une entrée à Cohn-Bendit et pas à Duteuil ? Etc. Mais dans un ouvrage de dimension modeste, les deux auteurs réussissent là où la littérature de jeunesse, en général échoue : rendre compte de la dimension sociale de classe de Mai 68. Prenant le contre-pied de l’air du temps qui édulcore la notion d’engagement à partir du moment où elle jouxte la contestation sociale, les auteurs montrent que c’est dans la confrontation avec les idées dominantes que se construit un engagement. Le livre prenant à contre-poil l’idéologie dominante d’aujourd’hui, détaille entrée après entrée la notion d’émancipation inséparable des controverses et des luttes tant féministes qu’ouvrières, des combats des communautés de vie comme des combats des minorités opprimées homosexuelles et autres. Alors oui, ce livre de la collection Histoire société de chez oskar est un ouvrage riche pour les repères qu’il donne et honnête pour la présentation qu’il fait des acteurs, des actrices et des événements qui traversent mai 68 en France et en font un moment historique.
Philippe Geneste

(1) Balestrini Nanni, Moroni, Primo, La Horde d’or, Italie 1968-1977. La grande vague révolutionnaire et créative, politique et existentielle, traduit de l’italien et annoté par J. Revel et J.-B. Leroux, P6V Cresceri et L. Guilloteau, Paris, L’éclat, 2017, 671 p. – p.219
(2) Duteuil, Jean-Pierre, Mai 68 un mouvement politique, La Bussière, Acratie, 2008, 237 p - p200. Cet ouvrage devrait figurer dans tous les CDI des lycées tant il est complet et suggestif, stimulant la réflexion pour comprendre le mouvement d’alors et aussi le mettre dans la perspective contemporaine. 

16/10/2018

contes pictogrammatiques

Chaine Sonia, Pichelin Asrien, Raconte à ta façon Le Petit Chaperon rouge, Père Castor-Flammarion, 2016, 32 p. 10€50 ; Chaine Sonia, Pichelin Asrien, Raconte à ta façon Le Chat Botté, Père Castor-Flammarion, 2016, 32 p. 10€50 ; Chaine Sonia, Pichelin Asrien, Raconte à ta façon Boucle d’or, Père Castor-Flammarion, 2016, 32 p. 10€50

Les deux livres reposent sur un concept innovant où des pictogrammes signifient des personnages, des lieux, ou des actions. Un marque-page comprend la légende des différents pictogrammes, ce qui est une aide pour l’adulte qui invite l’enfant à se lancer, ensuite, seul dans la lecture. Par exemple, le ciseau représente le loup, le triangle rouge représente le petit chaperon.
Mais alors, qu’est-ce que lire ? A regarder procéder les enfants sur ces deux ouvrages, lire se définit comme un acte d’interprétation des images et de leurs relations à partir d’une identification des pictogrammes. Lire revient à mettre en relation, à de combiner des actions, des lieux et des personnages. Le truchement des pictogrammes installe la représentation au poste de commande de la lecture de fiction. Un personnage est une représentation. Quant aux images sur la page, l’enfant les interprète à sa façon, il s’amuse à raconter. La stylisation géométrique minimale ouvre l’imaginaire créatif. Et l’enfant, spontanément, touche, suit du doigt, désigne, montre, parfois stimulé par l’adulte. C’est durant cette période première de tâtonnement pour la mise en place de l’histoire que l’enfant est le plus actif.
Chaque conte initial est décomposé en 32 séquences qui sont notifiées au dos du marque page. Le livre comprend donc autant de pages que de séquences. Bien sûr, destiné à des enfants d’âge de l’école maternelle, on présuppose l’accompagnement d’un adulte, juste pour étayer la lecture. La stylisation des pictogrammes oblige l’enfant à faire entendre sa voix dans la voix traditionnelle du conte. Généralement, il le connaît . Il sera intéressant, à l’avenir, d’appliquer ce même procédé d’écriture pictogrammatique d’un conte à des histoires non connues des enfants. Car, ici, on s’assure la connaissance préalable par l’enfant du conte classique. La démarche créative s’en trouve moins ouverte, centrée qu’elle est –mais c’est déjà une richesse précieuse– sur la liberté de raconter. Avec un conte inconnu, on passerait de la liberté dans la modalité du racontage (de la narration) à la liberté dans la modalité de représentation des événements qui font l’histoire (diégèse).
Mais interrogeons, encore, notre observation des enfants racontant un conte avec un tel livre. La signification de l’histoire ne se révèle que par le discours enfantin. Ce discours se construit sur la relation des doigts et de l’œil en mouvement avec la page et les pictogrammes qui y sont figurés. Seule la cohérence de ce discours construit la signification du livre. L’enfant reprend dans une trame discursive parfois buissonnière la trace des contes anciens lus ou racontés par l’adulte. En même temps, il découvre d’autres savoirs parce que d’autres événements lui viennent à l’esprit, suggérés par l’interprétation en cours. La lecture s’élargit, alors par l’accomplissement de l’interprétation donnée qui s’avère être une interprétation recherchée. Et l’enfant trouve une satisfaction dans cet acte de sensification, terme de J.P. Lepri qui signifie la mise en sens du texte, ici de l’album. L’enfant ne répète pas l’histoire entendue, il la re-produit, la ré-invente si on veut. Par cette action de lecture, l’enfant affermit le mécanisme de la lecture qui, nous le voyons, exige et le sens à trouver et la cohérence du sens à suivre. Il devient ainsi malaisé pour l’enfant de discourir, de raconter, se raconter l’histoire sans mettre en relation toutes les pages ; Ce qui exige ce lien, c’est le discours qu’il tient, qu’il se tient. 
Contrairement aux albums ancrés sur l’illustration fictionnelle ou réaliste, ici, plus que l’œil qui observe, c’est l’imagination qui invente. L’imagination est suscitée, elle n’est pas sollicitée. Elle construit le sens. 

Philippe Geneste

07/10/2018

un conte écologique et d’abord humain

Giono Jean, L’Homme qui plantait des arbres, illustré par Olivier Desvaux, Gallimard Jeunesse, collection album junior, 2018, 60 p. 14€50 ; Giono Jean, L’Homme qui plantait des arbres, illustré par Olivier Desvaux, Gallimard Jeunesse, collection folio cadet, 2018, 64 p. 6€90 ;
Le récit de Giono (1895-1970) est un hymne au geste humain, à l’arbre et à la nature. Il fut publié en 1954 dans le magazine Vogue aux Etats-Unis. En France il faudra attendre en 1973 pour que le récit soit pris en compte.
Dans L’Homme qui plantait des arbres, Giono reprend des thèmes de ses premiers livres des années 1920 et 1930, notamment Un de Baumugne ou Colline. Le berger solitaire Elzéard Bouffier, personnage central, prend une dimension de sagesse en plantant, jour après jour, des glands de chênes. C’est ce geste qui est magnifié dans l’histoire, geste de la tension entretenue entre l’homme et la terre aride qu’il habite. Il en sortira un récit de merveilles, un conte si on veut.
On y retrouve un Giono militant pour une vie rustique et pacifique. Ce n’est pas un hasard si Elzéard Bouffier continue son œuvre durant la première guerre mondiale comme pendant la seconde. L’idéal pacifiste de l’homme aux arbres refuse toutes les guerres. Méprisé durant la plus grande partie de sa vie, le berger est à la source du bonheur des villageois des années 1950/1960, ceux qui ont pu réintégrer les villages en ruine de la Provence décrite entre Drôme et Durance. C’est que le simple geste d’Elzéard Bouffier à fait revenir l’eau et la vie. On peut donc lire L’Homme qui plantait des arbres comme un hymne lyrique à la vie qui prend, au vingt et unième siècle, une allure de signal de conduite humaine à réfléchir pour éviter le printemps silencieux qui s’annonce à grand pas. C’est un livre poétique, un conte, d’une grande actualité.
Gallimard double la version en folio cadet par une nouvelle édition sous la forme d’un album au format confortable (200 x 270) qui met en valeur les peintures d’Olivier Desvaux. Il s’agit d’un travail pictural réalisé in situ. Les images abondent et mènent l’enfant lecteur ou lectrice au cœur de la Provence. Elles doublent par la matière des couleurs exécutée au pinceau le récit de géographie physique de Giono. L’incipit, en effet, est d’abord une description, le personnage, « c’était un berger » arrive après et enserré au cœur de la description du paysage. Puis les descriptions vont se faire géographie humaine et ce sera « l’histoire d’Elzéard Bouffier ».
C’est peu dire que le travail d’Olivier Desvaux est déjà une narration en fusion avec la sensibilité de l’univers de l’écrivain. Ainsi, l’œuvre picturale fait éprouver la protestation silencieuse d’Elzéard Bouffier à la guerre : la forêt, seul objet de ses préoccupations et enclave de la vie renaissante de la terre d’un côté, et, de l’autre côté, le ton obscur des tranchées militaires, du paysage ravagé, blessé, troué par les obus d’une humanité déchaînée dans la barbarie. L’apaisement des tableaux qui closent l’album, tableaux lumineux et d’un vert de luxuriance, propose un message optimiste d’une humanité respectueuse de la nature, une terre de seigle et d’orge réconciliée avec l’humain. La nature vit des relations qu’entretiennent avec elle les habitants d’une région, d’un village, d’un territoire ; la terre est un visage des rapports humains.
L’album est un régal pour l’œil comme le récit est un régal pour la réflexion et un délice de réalisme merveilleux.
Philippe Geneste

NB : Toujours disponible, la version audiophonique du livre : Giono Jean, L’Homme qui plantait des arbres, lu par Jacques Bonnaffé, Gallimard Jeunesse, collection écouter lire, 2010, 1 CD 30 minutes, 990, (La voix chaude de Bonnafé donne vie avec vraisemblance au drame de Giono, en lui restituant son art de la parole conteuse.

30/09/2018

Les Contes africains de Souleymane Mbodj

Mbodj Souleymane, Contes d’Afrique. La magie, illustrations de Caroline Hüe, Milan, 2018, 64 p. 18€
Ce volume de contes est une anthologie des créations du conteur et musicien sénégalais Souleymane Mbodj (1967-). Tous les contes de Mbodj ont d’abord été racontés oralement avant qu’il ne les couche sur le papier. Cette genèse des livres explique que ceux-ci restent empreints d’une oralité qui permet aux jeunes enfants et moins jeunes d’entrer de plein pied dans l’univers de Souleymane Mbodj. La spécificité de l’œuvre audiophonique du conteur est qu’il ne s’agit pas de contes lus mais de contes joués : « Un conte d’Afrique noire sans musique est considéré comme un plat sans sel » déclare-t-il. Son œuvre est traversée par celles de Hampâthé Bâ, Birago Diop, Camara Laye, Césaire ou Senghor. Chaque conte est passeur d’idées et la fiction est la mise en chair de l’idée. Le récit est à proprement parler l’antichambre du savoir tout autant que l’énergie transmissive.
Ce qui rassemble les douze contes de ce volume, c’est le thème de la magie. Or, la magie est justement un état d’esprit dans lequel vivent les enfants. L’écoute du conte va ainsi directement entrer en résonnance avec la pensée enfantine mais en même temps, elle va porter celle-ci vers la réflexion notamment sur les valeurs et sur les relations humaines. Les illustrations de Caroline Hüe sont directes et simples à saisir pour l’enfant. Si elles laissent la place centrale aux textes, elles viennent accompagner discrètement leur compréhension par le jeune auditeur ou lecteur. Car les contes de Modj s’adressent certes aux petits mais aussi parlent aux plus grands.
Modj Souleymane, Diarabi et Mansa, illustrations de Judith Gueyfier, Milan, 2012, 48 p. 1450   
Voici un magnifique album illustré avec brio par Judith Gueyfier, privilégiant les aplats de couleurs sous une multitude de détails graphiques oniriques. Le conte de Souleymane Modj est emprunté à la tradition africaine. C’est une allégorie de l’amour qui ne meurt jamais. Le conte repose sur des métamorphoses incessantes d’une créature mi-femme mi-déesse. La fonction de la transformation est toujours de permettre une victoire de l’amour. Ce sont autant de points de vues différents à partir desquels l’amoureux doit considérer son aimée. Quand l’amour vaincra définitivement, la jalousie sombrera dans les entrailles de la terre. On peut aussi lire le conte comme une apologie de l’amour qui fait de l’être aimé un être d’exception. Le conteur d’origine sénégalaise réalise, ici, une œuvre nouvelle sur le sens à attribuer à la métamorphose dans un conte.
Modj Souleymane, Contes d'Afrique pour les tout-petits, illustrations de Hervé Le Goff, Milan, 2007, 40 p. + 1 CD, 15
C'est un ouvrage remarquable. Souleymane Modj est un conteur hors pair et les histoires qu'il conte sont empreintes de civilisation africaine. Elles ne sont pas colorées d'une atmosphère africaine, elles sont issues de la tradition du conte africain. Le CD qui accompagne le livre abonde en musiques traditionnelles et en chansons ce qui en fait non pas un complément du livre, mais une œuvre en plus du livre.
Modj Souleymane, Contes et sagesses d'Afrique, illustrations de Marie Lafrance, Milan, 2009, 56 p. + 1 CD, 1650
Un recueil de huit contes africains, dits, écrits, interprétés avec accompagnement musical. Que ce soit avec le livre, au bien avec le cd, le jeune public de quatre ans et le lectorat plus âgé plongent dans la sagesse africaine, avec des contes parfois cruels, mais éloquents. C’est un chef d’œuvre.
Philippe Geneste
Pour mémoire, rappelons du même auteur :
Mbodj Souleymane, illustrations de Guérin Virginie, production et réalisation, Wilde Laurent, Contes d’Afrique, Milan jeunesse, 2005, collection “De bouche à oreille”, 1 livre 1CD, 2005 16

Voici un remarquable recueil de contes africains, dits par le conteur Mbodj. Chaque conte est précédé d'une musique qui installe une attente de fiction puis, à la fin du conte, parfois, un chant reprend en partie l'histoire ou y fait un clin d'œil. Les animaux ont une grande place (calao, éléphant, gazelle, lièvre, lion, tortue) dans ces récits qui tous portent à une “morale“ d'humanité. Si on ajoute à l'excellence du ton, du style aussi, un recueil bellement illustré, on aura décrit un très bon album à lire ou écouter, écouter, surtout… à tout âge. Ph. G.

23/09/2018

Sciences en conscience

Joliot Pierre, La recherche scientifique ? Une passion, un plaisir, un jeu, propos recueilli par Christophe Gruner, Flammarion, 2017, 64 p. 13€
Pierre Joliot, né en 1932, lui-même chercheur en sciences, est le petit-fils de Pierre et Marie Curie. A l’occasion de l’anniversaire des 150 ans de la naissance de Marie Curie, Flammarion propose un documentaire que nous pourrions dire de méthodologie scientifique destiné aux enfants de 10 à 15 ans. Les notions de jeu et de recherche, d’invention et de découverte, le travail et le plaisir, la réussite sociale ou la satisfaction d’une œuvre qui s’accomplit, ignorance et créativité, le statut de l’erreur et du hasard, langage scientifique et impérialisme angliciste.
Le livre met l’accent, par exemple, sur l’importance de la recherche fondamentale dont le principal objectif est la compréhension des faits observés et qui reste aux fondements de toute recherche appliquée, ce qui est important à l’heure où la recherche française délaisse la première pour ne tourner ses budgets que vers la seconde. L’entretien aborde aussi les questions de la parité, de l’obstacle des opinions communes et superstitieuses c’est-à-dire religieuses, du travail en équipe, de la photosynthèse.
Ce livre doit être dans toutes les bibliothèques et centres de documentation, il peut être offert aux enfants de 10 à 14 ans avec grand bénéfice.

Barr Catherine Williams Steve, L’Incroyable histoire de l’univers, illustré par Amy Husband, Nathan, 2017, 40 p. 12€90
Il y a 13 milliards d’années, une formidable explosion de chaleur, le Big Bang… Puis tout se refroidit, apparition des atomes, création de gaz, de poussières, naissance des étoiles et de millions de galaxies qui brillaient dans le silence d’Univers. Jusqu’à 4,5 milliards d’années des étoiles meurent d’autres naissent, grandissent, des trous noirs en aspirent d’autres et le système solaire va naître. L’ouvrage suit la naissance de la lune, il suit les transformations de la terre, l’apparition de la vie. Le documentaire s’aventure alors du côté de l’astronomie, parle de l’énergie noire, revient sur les trous noirs ; puis il rend hommage aux premiers astronautes Gagarine et Terechkova, relate l’histoire de Neil Armstrong. Il poursuit la présentation de l’astronomie contemporaine avec les engins spatiaux envoyés dans l’espace aux fins de recherche –passant sous silence les objectifs militaires des états… L’ouvrage s’achève sur les perspectives ouvertes par les recherches récentes qui viennent alimenter les rêves millénaires des humains.

Berne Jennifer, Einstein, sur un rayon de lumière, traduit de l’anglais par Ilona Meyer, illustrations de Vladimir Radunski, les éditions de l’éléphant, 2017, 56 p. 14€
Cet ouvrage est un album qui s’adresse aux enfants de 8 à 15 ans. L’album raconte la vie d’Einstein, avec simplicité, en suscitant la curiosité du jeune lectorat : comment une chose, comme la fumée, peut disparaître dans une autre chose ? Comment se fait-il que le sucre disparaisse dans le thé chaud ? Pourquoi on peut adorer les nombres ? Est-ce qu’on pourrait rouler à vélo sur un rayon de lumière ? Pourquoi on bouge quand on dort ? Comment résoudre les mystères de l’immensément petit ou de l’immensément grand ? Pourquoi l’esprit vagabonde même s’il n’y a pas de vent ?
L’illustrateur mélange peinture, dessin, chiffres et lettres écrits, pointillisme quand il est question d’atomes. Il interroge le texte, le déchiffre parfois, en imagine une figuration, provoque la réflexion, bref, l’image est en osmose avec le récit. Grace à ce travail, l’album s’approche de l’idée de l’« expérience de pensée » dont on sait qu’elle est à la base de la manière de raisonner d’Einstein, selon ses propres dires, c’est-à-dire, la visualisation de ses recherches sous forme d’événement imagé.
Le livre est aussi une invitation à aller plus loin, pour les enfants de 10/12 ans notamment. Il pose la question du rapport entre la science et la paix quand on connaît l’usage guerrier de la science par l’humanité, dont la bombe atomique.

Hadfield Chris, Fillion Kate, Le Noir de la nuit, illustrations The Fan Brothers, éditions de l’éléphant, 2016, 42 p. 15€
Chris Hadfield est un astronaute canadien qui, enfant, avait peur du noir. La première partie de l’album rend compte, grâce notamment aux illustrations réalistes et aussi surréalistes des illustrateurs, de cette phobie. Puis vient un soir, un certain 20 juillet 1969, il assiste chez des amis de ses parents à l’alunissage d’Apollo 11.
Ce que voit l’enfant est différent de ce que voient les adultes : lui, il voit le noir total qui entoure Neil Armstrong. Ce noir le fascine tant que ses rêves s’en voient sinon bouleversés, en tout cas amplifiés d’une dimension de volition. Or, effectivement, bien plus tard, l’enfant deviendra pilote puis sera engagé par l’agence spatiale canadienne qui le choisit comme astronaute en 1992. Mais aussi, la peur qui empêchait l’enfant de tenter de connaître l’inconnu se mue alors en une curiosité qui va attirer à elle les savoirs pour la satisfaire.
L’album présente, ainsi, les rêves enfantins et la genèse d’une curiosité savante. Logiquement, en termes de composition du livre, les trois dernières pages, à la manière d’un documentaire cherchant à ancrer la fiction dans la réalité d’une vie, proposent des photographies légendées et un texte informatifs.

Philippe Geneste

16/09/2018

Quand le vent ouvre le livre, les nuages s’y déposent

Lee Jungho, Promenade, adaptation de Bernard Friot, Milan, 2017, 48 p. 16€50
Lee Jungho est un plasticien qui travaille au fusain, à la gouache, à l’aquarelle, mais aussi avec le numérique pour la création d’images poétiques narratives. Le grand format de Promenade (235x340) magnifie son travail de composition qui emprunte aux avant-gardes du vingtième siècle en recherchant la simplicité et une forme de minimalisme chaleureux.
L’album se place sous le signe de la dialectique de l’intérieur et de l’extérieur, soit l’objet et la signification du texte contenu dans l’ouvrage. Le vent  ouvre le livre, les nuages y déposent la vie et la grisaille du temps s’abandonne à l’avènement des couleurs. A travers le livre que tient le lecteur ou la lectrice c’est ce moment d’effection de la représentation qui se figure, page à page, et qui se fixe aux épingles de pensée sur le fil de l’espace imaginaire.
Aller vers la lumière c’est aller vers le livre, c’est en ouvrir la porte imposante entre l’arbre et la nuit illuminée, pour tenter de gratter le ciel depuis cet élément discontinu au sein de la continuité de l’azur. Une représentation prend forme qui vient déborder l’espace du livre, qui s’invite au réel. Clin d’œil à Wang Fô sauvé des eaux, la lecture se déclare monde ; le livre est une nacelle vers d’autres mondes, qui vogue vers d’autres représentations. Mais une nacelle, ça s’ancre au sol, dans l’actualité du monde présent. S’amarrer ? Le livre pourtant ne le peut pas, il laisse voguer le sens par un appel incessant à tous les sens : il est reflets, images, mots, phrases, énoncés, objets évanescents, il se perd dans l’onde. Et là s’ouvrent les vannes de la liberté d’interpréter.
Ainsi grandit l’enfant, à force de cheminements de compréhensions, il grandit grâce au livre, avec le livre, en se soutenant du livre et de ce qu’il contient de si unique. Le livre découpe le réel, parce qu’il est langage et que le langage transporte au surréel. L’enfant à force d’y éprouver la signifiance qu’il porte sur les choses, sur les autres, sur lui-même, prend confiance, c’est-à-dire accepte que ses représentations prennent corps. Mais si le livre est si unique, c’est parce qu’il impose de saisir le réel dans la patience du temps, du temps de la lecture. On s’installe d’autant mieux dans son for intérieur qu’on a su entrer dans les histoires, les récits, les mythes, les légendes, tout ce qui est écrit dans l’espace-livre.
Mais ne t’y trompe pas enfant, savoir lire c’est savoir écouter. L’écoute, cette attention portée au monde, se confond avec l’entendement du monde. Entre la poire et le fromage, sur la terrasse d’un café, on partage et on déguste ses lectures parce qu’on vient les partager. Le langage est ce dialogue et le livre, cet émissaire du langage transporte aussi ce dialogue. Entendre une histoire, s’entendre dire une histoire, c’est sentir passer sur nous la patience du temps, se l’approprier, prendre à soi le temps. C’est apprendre pour soi et apprendre aux autres à faire sien le temps de la lecture. Prendre son temps, c’est le comprendre avec soi et à y inviter les autres pour un voyage hors des sentiers battus d’une contemporanéité où le temps est fracassé par l’ordre des urgences.
Alors, petit ou petite enfant ouvre le livre, pars en promenade grâce au livre, emmène avec toi chaque page et tu verras, les mots de lumière goutte à goutte s’éveiller en toi, en pluie d’échanges entre ciel et terre, en éclairs sans tonnerre. Tu avanceras, en sérénité, toi petit ou petite enfant, sur un sentier lumineux sans rien omettre au-dedans sans rien médire du dehors.
Acquérir le langage c’est l’avoir au cœur et le témoin de ce transfert est le livre, objet transitionnel d’exceptionnelles visions mais si simples et banales, à l’humble hauteur de la vie. Le livre nous fait gravir, par la marche des mots disposés sous la rampe des pages, l’échelle qui mène à la fenêtre, là, par dessus le toit si bleu et si calme où toi, petit ou petite enfant tu grandis, pêchant à loisir dans le plus grand sérieux, les étoiles de la constellation humaine. Le livre retient le passé tout autant qu’il prévient l’avenir, mais sa vraie vie, au livre, c’est sa lecture au présent de cet album de Lee Jungho.

Annie Mas & Philippe Geneste

09/09/2018

voyage gourmand et épicé dans la vie quotidienne

Chusita, Ceci n’est pas un livre de sexe, Nathan, 2018, 160 p. 14€90
Le sujet n’est pas facile à traiter. L’autrice s’y est employée en dialoguant par blog interposé avec des adolescents et adolescentes. Le résultat est remarquable et place Ceci n’est pas un livre de sexe en haut de la pile des ouvrages répondant aux questions que se posent les jeunes mais aussi en leur permettant des questionnements dont ils ne soupçonnent pas l’existence. Sont abordés : le corps et le plaisir, l’orientation sexuelle, les relations affectives, la protection, la masturbation, les prémisses amoureux, l’acte sexuel dont la sodomie, les fantasmes et les jeux. Une sitographie, un dictionnaire complètent l’ouvrage qui alterne textes et images ainsi que planches de bande dessinée.

Duval Stéphanie, La Mort, illustrations de Pierre Van Hove, Milan, coll. Mes p’tits pourquoi, 2018, 32 p. 7€40
C’est un ouvrage à lire avec l’enfant. Il traite du sujet avec distance, les images venant accompagner l’intellectualisation du phénomène de la mort et de ses conséquences pour les vivants. Aucune dramatisation mais une structuration à partir de questions supposées des enfants sur le sujet. Un bon ouvrage à condition, redisons-le, de le lire avec l’enfant. Plus tard, l’enfant l’ayant dans sa bibliothèque, lorsqu’il saura lire, il pourra, seul, y revenir.

Dussaussois Sophie, Les Emotions, illustrations de Magalie Clavelet, Milan, coll. Mes p’tits pourquoi, 2018, 32 p. 7€40
La joie, la peur, la tristesse, la colère, la jalousie sont les émotions que l’album vient illustrer, charpenté autour d’un texte abondant et clair. Le livre, qui s’adresse aux 4/7 ans, ne peut qu’être lu et commenté par l’adulte auprès de l’enfant. Il y faut un dialogue véritable, car il ne s’agit pas d’une histoire et le texte est assez conséquent pour les jeunes enfants visés. Mais, avec l’accompagnement parental, l’ouvrage trouverait une fonction d’explication et d’éclairage sur des situations vécues grâce au retour qu’il permettrait d’en faire. C’est la spécificité de cette collection de s’adresser par l’image a l’enfant pendant que le texte  sollicite vivement la médiation de l’adulte par la lecture commentée.

Houdé Olivier et Borst Grégoire, Mon cerveau, illustré par Mathilde Laurent, Nathan, 2018, 31 p. 6€95
Houdé et Borst sont deux professeurs de psychologie qui travaillent au CNRS à mieux comprendre les mécanismes du cerveau. L’ouvrage offre donc un contenu scientifique assuré au jeune lectorat selon un jeu de questions et de réponses qui caractérise la collection où paraît le livre. Qu’est-ce qu’un neurone ? A quoi sert le cerveau ? Comment voit-on dans la tête ? Qu’est-ce que les neurosciences ? Le cerveau peut-il faire des erreurs ? Les animaux ont-ils tous un cerveau ? Le cerveau rêve-t-il ? Qu’est-ce que l’intelligence ?
Les illustrations exemplifient le propos avec une volonté de sobriété qui s’harmonise très bien avec le texte. Le volume n’oublie pas de donner des repères historiques qui inscrivent les connaissances acquises dans la longue expérimentation humaine pour mieux comprendre cet organe. Bref, un livre excellent pour des enfants de 9 à 14 ans.

Ledu Stéphanie & Frattini Stéphane, L’Histoire de la cuisine, du mammouth à la pizza, illustrations de Claire Gastold, Milan, 2018, 80 p. 14€50
Comment se sont nourris les hommes depuis le fond des temps ? C’est à cette question que répond cet album épais, de format italien, foisonnant d’informations, organisées sur des doubles pages richement colorées sur papier glacé. L’enfant y apprendra l’origine de bien de mets qu’il goûte mais il découvrira aussi la cuisine d’ailleurs. Il s’apercevra, aussi, qu’en voyageant, les denrées, les épices changent les habitudes alimentaires et sociales des humains. Le livre montre le lien entre les faits culinaires et les mœurs. Pour ce faire, la description de la cuisine à travers les temps depuis l’Antiquité, prouve que le goût n’est pas une donnée immuable mais une réalité historique.
C’est une encyclopédie qu’on destinera à des enfants lecteurs, à partir de 7/8 ans. Le passage dans la commission lisez jeunesse a montré que des plus grands s’en emparaient avidement.

Philippe Geneste