Rapiat Christos et Virginie, Dame nature, Des ronds
dans l’O jeunesse, 2017, 32 p. 16€50
Voici un très bel ouvrage,
parfait pour un cadeau. Le livre est un appel à l’attention : faire
attention à la terre, faire attention à la planète, aux diverses formes de vie
qui la peuplent, l’animent, en font la grâce. La volonté du texte souligné par
le travail du dessin et de la peinture est de porter un message d’harmonie dans
un monde contemporain qui privilégie la guerre, le heurt, l’inconscience
consumériste. Si les images illustrent le texte, elles entourent le propos de
magnificence où l’humour côtoie l’irréalisme, où la vue de reconnaissance
flirte avec l’appel au regard intérieur, affectif, émotif. La fin est
intéressante, en ce qu’elle invite l’enfant à s’interroger : « cette histoire n’est pas terminée parce que
je n’en connais pas la fin (…) chacun d’entre nous peut la continuer afin qu’un
jour elle finisse bien ».
Au jeune lectorat, en son avenir,
à construire une fin heureuse.
Chabbert
Ingrid,
La Tisseuse de nuages, illustrations de Virginie Rapiat, Des ronds dans l’O jeunesse,
2017, 32 p. 16€50
Le monde d’un petit village du
Mont Tai subit la sécheresse. Une légende enseigne que le descendant de la
première famille du village devrait alors partir en quête de l’origine des
eaux.
Ingrid Chabbert propose ainsi un
récit de création sensible. Le texte vise à mettre des mots sur l’indicible que
constitue le rapport de l’humain à l’univers. Nous parlons d’indicible car,
dans nos sociétés, le rapport au monde est tant filtré par des instruments, par
des dispositifs de divertissements, par des discours préventifs en tout genre,
que les contemporains et en premiers les jeunes enfants, n’ont plus d’espace où
nourrir une intuition directe de la relation de l’humanité à l’univers qui
l’entoure, qu’elle habite.
Ainsi, donc, le père part du
village. L’héroïne, Chih-Nii, à laquelle l’enfant lecteur est invité à
s’identifier, va entendre la détresse de la mère, elle va subir le regard
railleur des villageois, elle va voir son intégrité morale et celle de sa mère
atteinte par la rumeur. Mais Chih-Nii veut agir. L’album bascule alors dans une
histoire onirique que servent à merveille les illustrations de Virginie Rapiat.
Chih-Nii fabrique, avec son métier à tisser porté tout en haut du Mont Tai des
nuages de fils. Les nuits passent et le labeur jamais ne cesse. Le ciel, chaque
matin arbore de nouveaux nuages de toutes les couleurs. Grâce à cette œuvre
réalisée avec patience et ténacité, finit par tomber la pluie.
Alors l’opinion publique se
retourne et pas un membre du village qui ne voue un culte au père de Chih-Nii.
Quand celui-ci revient, il est pâle et amaigri. Tout le village le fête mais
lui leur explique que la pluie tombe grâce à l’œuvre humaine de sa fille. La
légende n’est qu’une légende. Le récit reste un récit, mais il invite à
comprendre que le sort de la terre et donc des peuples dépend de ce qu’ils
sauront ou non construire pour retrouver l’harmonie perdue de la nature.
Les dessins et peintures pleine
page de Virginie Rapiat ouvrent l’imaginaire des enfants, comme s’ils
cherchaient à envoyer le beau et sensible texte d’Ingrid Chabbert vers des
représentations oniriques. Les couleurs chastes, contrastées mais douces, le
travail au trait à maints endroits, la luxuriance des illustrations et
l’inspiration asiatique des images en accord avec l’histoire tissent un univers
de conte pour notre temps. Un chef d’œuvre.
Philippe
Geneste
Entretien avec l’illustratrice Virginie
Rapiat
Lisezjeunessepg : Comment travaillez-vous, quelles techniques
utilisez-vous ?
Virginie Rapiat : Tout est entièrement réalisé en peinture
acrylique, au pinceau. Aucune autre technique ne vient en surplus et il n'y a
pas de retouche infographique. Les illustrations originales font environ deux
fois la taille des reproductions dans les livres : travailler sur de
grands formats me permet ainsi d'aller chercher le détail et de peaufiner les
textures. Je peins systématiquement sur du papier bordeaux, toujours de la même
marque, car je sais parfaitement comment réagissent mes couleurs par dessus. Je
suis aussi très fidèle à la même marque de peinture. Cela me permet d'obtenir
des rouges très particuliers et des nuances impossibles à obtenir autrement. Je
commence par le fond, puis les éléments principaux de la composition, pour
ensuite m'attarder sur les détails. Je commence toujours par les teintes
foncées et vais progressivement vers les plus claires ; je procède donc
par "strates" successives. Par exemple, pour le fond, il me faut
environ 10 à 15 strates différentes, donc 10 à 15 couleurs différentes. Les
accents de lumière viennent uniquement à la fin. Mes pinceaux vont d'une taille
moyenne pour les fonds jusqu'à des pinceaux ne comportant que quelques poils.
Parfois même je dois travailler avec un cheveu !
Lisezjeunessepg : Vu la richesse des pages illustrées, cela doit
prendre du temps ?
Virginie Rapiat : Pour peindre une illustration complètement (sans le
dessin préalable), il me faut de 4 à 7 jours complets, selon la difficulté de
la composition. C'est donc un travail de patience mais je n'envisage pas du
tout de travailler autrement qu'avec une technique dite "traditionnelle",
manuelle. Je ne prendrais pas le même plaisir en réalisant mes visuels sur un
logiciel pilotant un ordinateur.
Lisezjeunessepg : Pour La Tisseuse de nuages, plus
particulièrement, on sent une influence de l’art asiatique sur votre technique
de travail. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Virginie Rapiat : Mon travail est très nettement influencé par les
compositions japonaises (estampes, tissus...), les traditions et couleurs de
cette culture. Les paysages asiatiques me fascinent. Mes référents sont aussi
très souvent empruntés à la nature, particulièrement ce qui est minuscule, ce
que l'on ne prend pas le temps de regarder: la structure des feuilles, les
gouttes d'eau, les reflets sur l'eau, les entrelacs végétaux...
Entretien réalisé en novembre 2017