Chercher à savoir ce que la
littérature dit de la jeunesse, chercher à déconstruire les messages idéologiques
qui drainent ce secteur éditorial, recueillir les avis, les opinions, les
manières de concevoir les univers de la littérature qui ont cours chez le jeune
lectorat, est une partie de la tâche pour qui veut rendre compte des univers
mentaux propres aux enfants, aux adolescents et adolescentes. Pour approfondir
cette fonction, lisezjeunessepg a décidé d’ouvrir ses colonnes à des
jeunes auteurs ou autrices. Cette rubrique nous l’avons appelé
juvenilia et nous la réservons aux jeunes proposant une approche du monde par
l’écriture, par la poésie ou tout autre genre littéraire.
Lisezjeunessepg ouvre
aujourd’hui ses colonnes à la prose poétique de Garance, une jeune fille de 16ans
Le printemps
Le coq chante, de ce son si
particulier que seul les coqs font et que l'ont appelle chant. J'ouvre les
yeux, je vois le soleil, ces doux rayons printaniers qui se faufilent entre les
trous des volets et qui glissent sur le sol, les murs, les meubles jusqu'à moi,
au creux de mon lit. De ma chambre à l’étage, je l'entends, elle fait le
petit-déjeuner, et j’écoute la radio, je souris en entendant la chute d'un
objet suivi très vite d'un juron. Je descends les escaliers, elle lève la tête,
son visage s'éclaire d'un sourire, elle me fait un bisou sur une joue et son
odeur m'enivre. L'odeur de mémé, je ne saurais la décrire, ce parfum et puis ce
petit plus qui le rend encore meilleur...
Je m'assois
à la table au milieu de la cuisine, je me sers ma tisane « verte », y
ajoute deux sucres. Mémé me tend les céréales et sourit en me voyant les mettre
dans la tasse pleine de liquide chaud. Après m'être lavée et habillée, nous
sortons, on se promène un peu dans les rues. Seules entre les maisons, seules
au milieu de ce village, l'odeur des arbres, des chevaux, des vaches, du
printemps, de mémé et de ce lieu m'emplit les narines. Comme c'est agréable...
On
arrive au bord de l'eau, j'enlève mes chaussures et... l'eau est si froide, je
sens les vairons autour de mes jambes, sous mes pieds, de petits guilis sur les
chevilles, je souris. Cette sensation si étrange mais que j'aime tellement,
sûrement parce qu'elle me rattache au passé. Je fais quelques brasses dans
l'eau glaciale, les membres engourdis. Je patauge sous le regard aimant de mémé
qui ouvre son livre et s'assoit sur le sol, le sourire aux lèvres. Le soleil
est haut quand on repart ; on va voir les chevaux, les biquettes et on
rentre se faire des sandwichs, un peu de tout sur la table et on pioche pour se
faire notre propre mélange dans du pain. Un mélange de goûts me ramène
plusieurs années avant... Quel bonheur. On monte ensuite dans le bureau et on
regarde les albums photos. Là, au milieu des vieux livres, des vinyles, du
tourne-disque, on regarde ces albums plus grands que nos bras. Ces dizaines
d'albums, vues des centaines de fois mais on ne s'en lasse pas. Le plastique
qui recouvre les photos, la voix aiguë de mémé, qui, pour la millième fois
m'explique chaque photo, sans s'en lasser, l'odeur des livres, ma main qui
touche celle de mémé pour tourner les pages, sa main douce et son odeur...
Je
savoure ce moment, les oiseaux chantent, c'est le printemps, tout est bien,
tout vas bien, je suis heureuse. On finit par redescendre, tout sourire, elle
sort des haricots, « Haricot Party », on les mangera demain mais elle
voudrait les cuire ce soir, j'accepte, on fait la course, qui aura fini la
première ? Les haricots équeutés, mémé prépare sa soupe, je la laisse
faire, elle est championne. Je m'affale dans le canapé, je lis, elle me sourit,
et on discute un peu, la vie à Andernos, c'est si loin me dit-elle, on lui
manque, mais on profite du moment présent, je lui raconte l'école, les projets
du futurs, les amours, elle raconte Vitry, la pièce de théâtre qu'elle a vue
avec pépé et qui était super, elle raconte les amis, la famille... La soupe est
prête.
On sort
la crème fraîche, l'ancienne boîte de mayonnaise devenue boîte à croutons, une
poignée de gruyère râpé dans la soupe, une autre sur le rebord de l'assiette
plate sous l'assiette à soupe... Tout comme avant... Les fraises en dessert,
chocolat fondu, les goûts se mélangent dans la bouche, c'est si bon, le
printemps...
Il fait
encore jour, on retourne dehors, l'odeur a un petit peu changé mais ne sent
pas moins bon. On rentre dans la maison, on boit une tisane, et je pars me
coucher. Mémé me fait un gros bisou, je t'aime me dit sa voix, moi aussi, mémé,
moi aussi, énormément...
Je me
couche, ferme les yeux, au comble du bonheur, la vie est belle. Le réveil
sonne, de ce bip-bip si particulier que seuls font les réveils, et qui
exaspère. La tête pleine de mon rêve, le nez plein de son odeur, la joue avec
le contact de son bisou et les yeux pleins de larmes, je regarde ma chambre et
la vérité me frappe de plein fouet, la maladie, les trois ans de peur, la mort,
l'enterrement, le manque et le vide au creux du ventre impossible à combler,
mémé...
Garance