Koechlin Lionel
(illustrés par), Trois contes d’Andersen, Gallimard-Giboulées, 2016, 48p. 16€
Les trois contes sont donnés en
lecture dans l’ordre chronologique inverse de leurs parutions : La bergère et le ramoneur (1845), Les habits neufs de l’empereur (1837), La princesse au petit pois (1835).
Lionel Koechlin nous dit que son choix a été guidé par la tendresse, l’humanité
et la simplicité qui se dégage de ces contes. La traduction du danois par David
Soldi parue en 1856 a
été révisée par l’éditeur. Quand on la compare à l’édition de P.G. La Chesnais (1964), on y
remarque quelques troncations sans incidence sur le sens sauf, celle-ci, page
20, où disparaît « bien qu’elle eût
tort », subordonnée concessive qui montre la dimension quasi politique
de l’intervention du narrateur. De même, La Chesnais , pour
conserver le choix d’Andersen d’écrire à partir de la langue orale, privilégie
l’emploi des verbes au présent, quand Soldi et l’éditeur uniformisent le texte
en le soumettant au passé simple. Mais ceci, il faut le souligner, sans créer
de lourdeur dénaturante.
Les dates de la parution de ces
trois textes montrent qu’ils correspondent aux premiers écrits d’Andersen dans
le genre du conte. La place du merveilleux y est entière. C’est le cas de La
Princesse au petit pois, conte publié dans le
premier fascicule qu’Andersen donna à éditer. Lionel Koechlin accompagne ces
textes avec des dessins et peintures faussement naïves, propres à son style
plein d’humour qui n’hésite pas à convoquer le grotesque pour se faire
grinçant. C’est un type d’illustrations qui permet à l’enfant lecteur de mettre
à distance le texte, de cheminer vers une lecture que nous pourrions qualifier
d’objective, et, donc, d’autant plus personnelle. La présence des motifs géométriques
poursuit une architecture de l’imaginaire qui, là encore, pousse l’enfant à une
attitude active de construction de l’univers fictif. N’est-ce pas cette
dynamique de la lecture active qui assure la contemporanéité du conte ou, au
moins, qui renforce son actualité ?
Il est indéniable, en effet, que
ces trois contes entrent en résonnance avec le monde contemporain. La bergère et le ramoneur est un éloge
de l’action contre la déploration spectatrice et son corollaire, la volonté
anémiée. Les habits neufs de l’empereur dénonce
la courtisanerie et démonte les rouages de la fabrique des croyances sociales. La princesse au petit pois relate une
recherche de l’authenticité humaine et donc, en creux, l’aliénation de l’humain
pris dans les rets de l’apparence. Peut-être est-ce le hasard, mais comme ces
thèmes résonnent dans l’actualité de notre temps politique et social !
L’œuvre graphique de Lionel Koechlin construit un imaginaire où est mise en
scène une tension entre l’aspiration humaine et sa chosification par les
constructions idéologiques de la soumission aux hiérarchies. Les êtres
assujettis se complaisent dans des croyances qui font du monde un théâtre
d’illusions tragiques. Seule l’action peut aider à déjouer l’inertie sociale…
Kochka
d’après les frères Grimm, Raiponce,
illustrations de Sophie Lebot, Père Castor, 24 p. 4€75
Voici une
adaptation du conte des frères Grimm qui le tenaient eux-mêmes de la traduction
allemande de Persinette,
publié en 1698, écrit par Mademoiselle de La Force , et lui-même inspiré du récit Fleur de Persil d’un certain
Basile (1). Le thème des longs cheveux servant d’échelle pour se hisser jusqu’à
la chambre interdite est un motif persan. Cela montre que Raiponce est issu de la tradition orale. Kochka, reprend le
conte dans la version de 1837 des frères Grimm, une version moins crue que la
première transcription qu’ils en firent en 1802. L’adaptation suit les grandes
lignes du conte, un peu comme la traduction allemande de Friedrich Schulz à
partir de laquelle travaillèrent les frères Grimm. Les illustrations de Sophie
Lebot allient modernité du trait, réalisme traditionnel du livre destiné aux
enfants, avec des couleurs qui posent les ambiances de la magie inhérente à l’histoire :
une enfant enlevée à sa mère par une sorcière (une magicienne initialement),
enfermée dans une tour sans porte, que découvre un prince charmant surpris par
la sorcière et qui devient aveugle. Mais l’amour triomphera de l’exil de la
jeune fille et de la cécité du jeune homme.
(1) Sur la genèse du
conte, voir Les Frères Grimm, Contes
pour les enfants et la maison, édités et traduits par Natacha
Rimasson-Fertin, Corti, 2009, tome 1 page 84.
Blanche-Neige d’après Grimm, illustré par Mayalen Goust, Père castor-Flammarion,
collection Les Classiques, 2009,
24 p. 4€20
Le texte est une adaptation du
conte extrait de Contes de l’enfance et du foyer de Jacob (1785-1863) et Wilhelm
(1786-1859) Grimm. On le regrettera car il est moins riche que le texte initial
et détourne la fin du conte des frères Grimm, le supplice de la marâtre
disparaissant. Or ce supplice livre une des interprétations du conte, à savoir
« qu’à trop cultiver le paraître on
finit par s’épuiser à mort » (1). L’histoire n’ayant pas besoin d’être
présentée, nous nous arrêterons à l’interprétation graphique qui en est faite
par Mayalen Goust. La créatrice a choisi de faire se tenir les personnages dans
des zones obscures. Les deux dernières images seulement, sont véritablement
claires et sans ombre. Les couleurs nous plongent donc dans une atmosphère
d’angoisse. Goust, toutefois, joue savamment avec le début du texte qui définit
ainsi l’enfant idéale : « blanche
comme la neige, vermeille comme le sang et noire de cheveux ». On sait
qu’il s’agit, là, des attributs de couleur donnés à la mère du Christ dans les
représentations populaires (2). Le blanc est concentré par Goust dans la robe
de l’enfant. Le rouge c’est sa ceinture et une fleur dans ses cheveux, c’est la
couverture du lit où elle dort chez les sept nains, c’est le chapeau pointu des
sept nains, la tunique du prince qui vient la délivrer du sort de la marâtre,
enfin, au final, la robe de la mariée. Le noir représente le rapt dont elle est
victime au début de l’histoire sur ordre de la marâtre, c’est aussi le noir des
cheveux puisque le marâtre transformée en sorcière lui vend un peigne qui fait
perdre sa prudence à Blanche Neige, qui s’en sert alors qu’il est empoisonné.
Le rouge de la vie, le blanc de
la pâleur innocente annonciatrice de la mort, le noir de l’angoisse.
On n’est pas
habitué à des illustrations contenant autant de formes tranchantes pour ce
conte. Goust, visiblement connaisseuse des interprétations psychanalytiques du
conte (Bettelheim mais aussi Marc Girard) en use avec précision, aidée en cela
par son choix d’un rapprochement avec l’esthétique du dessin animé japonais (le
dessin animé plus que les mangas). Aussi, malgré les réserves que nus émettons
quand à l’adaptation du texte, cet album possède le faste interprétatif d’une
illustration réfléchie dont il serait dommage de priver les enfants de 9 à 13
ans.
(1) Girard Marc, Les
Contes de Grimm. Lecture psychanalytique, Paris, Imago, 1999, p120.
(2) Baxandall M., L’œil
du Quattrocento, Paris, Gallimard, 1985, p.92
Philippe
Geneste