Cuvelier
Vincent,
J’aime
pas les clowns, illustrations de Rémi Courgeon, éditions Gallimard-Giboulées, 2015, 32 p.
13€50
Voici un ouvrage exigeant par sa composition, et qui repose sur un
dialogue stimulant entre l’écriture de Vincent Cuvelier et l’interprétation
graphique libre de Rémi Courgeon.
Une grand-mère amène son petit-fils au cirque. Pour l’enfant, c’est une
distraction contrainte : il n’aime pas les clowns. Mais la grand-mère
insiste et l’album va faire alterner la prestation des spectacles et le récit
de la grand-mère qui raconte au petit garçon pourquoi, elle a changé d’avis sur
les clowns, alors qu’elle non plus n’aimait pas les clowns.
C’était en 1947, à Berlin. Un cirque miteux venait de s’installer dans le
quartier. Sa mère insista pour aller au cirque parce que disait-elle :
« c’est un bon celui-là ».
La fillette qu’elle était alors, n’avait pas le cœur à rire, probablement
conséquence silencieuse du père disparu, de la vie miséreuse dans les ruines,
de Berlin. Elle fut bien surprise, à la fin du spectacle, de voir sa mère l’amener
jusqu’à la roulotte du clown. C’était son père…
Voilà pourquoi, la grand-mère d’aujourd’hui amène son petit-fils au
cirque : le souvenir de cette soirée, où la figure tragique de leur propre
vie se cristallisa dans le personnage retrouvé du père clown, est pour elle
comme un testament de la joie à vivre par temps de désespoir. Cuvelier a
concentré, servi, en cela, par les illustrations sombres et oniriques,
l’essentiel de l’histoire sur la figure du clown, celle du tragique qui suscite
le rire, celle de la tristesse qui fait entrer la joie, comme par effraction.
Cet album clôt une trilogie, dont les chapitres peuvent se lire
indépendamment les uns des autres. Commencée avec L’Histoire de Clara (2009), qui se déroule entre 1942 et 1945,
avec dix personnages qui racontent chacun à sa manière comment ils ont sauvé
une petite fille, la trilogie fut poursuivie avec Je suis un papillon (2013), qui se concentre sur la montée du
nazisme et de l’antisémitisme dans les années 1930 en Allemagne. Ce déplacement
du regard vers l’Allemagne permet aux albums, dont J’aime pas les clowns, d’éviter le côté commémoratif de la
seconde guerre mondiale pour lui préférer une suggestion de réflexion sur la
guerre en général en se plaçant du point de vue des populations qui les
subissent. Mais ceci, sans quitter le terrain singulier du cadre choisi par le
récit. L’efficience de ce dernier tient en grande partie à la composition.
Vincent Cuvelier privilégie le principe de l’unité : unité de temps
–le souvenir est un moment du présent qui le convoque–, unité de lieu (le
cirque), unité d’action (le spectacle et sa durée), personnages concentrés sur
une famille. Les illustrations aux bords de l’onirisme cauchemardesque de Rémi
Courgeon ne se départissent pas de ce style ce qui vient sciemment renforcer le
choix de l’unité de l’auteur. C’est pourquoi on peut dire que J’aime pas les clowns est, à
l’instar des deux premiers volets de la trilogie, et notamment du second, une
tragédie pour petits.
Philippe Geneste