Anachroniques

27/09/2015

Pommes d’Arménie, mémoire et luttes du présent


Entretien avec d'Anna Leyloyan-Yekmalyan
à propos de
Leyloyan Anna, 15 contes d’Arménie, traduction  de Robert Giraud, illustrations F. Sochard et H. Yekmalayan, Flammarion jeunesse, 2015, 160 p. 5€70

Lisezjeunessepg : La première édition de 15 contes d'Arménie paraît en 2002. L'édition d'aujourd'hui reprend le volume précédent. Comment avez-vous choisi les contes? Qu'est-ce qui vous a guidé dans votre choix?
Anna Leyoan-Yekmalyan : Pour la première édition nous avons proposé, avec le traducteur Robert Giraud, plusieurs contes dont seulement quinze ont été retenus. Je voulais avoir une large palette de contes traditionnels. Le recueil devait avoir quelques contes très populaires, mais surtout des contes moins diffusés. Le choix final a été fait par Flammarion, qui a suivi une ligne éditoriale. Leur choix s’est porté sur des contes jugés plus accessibles pour des lecteurs de 8-11 ans.
Lisezjeunessepg : Les contes ne sont pas propres à l'auditoire ou au lectorat enfantin. Mais dans nos sociétés, ils s'y spécialisent de plus en plus, et les contes de la tradition orale sont souvent versés dans les éditions et collections destinées à la jeunesse. Qu'en est-il pour la littérature des contes d'Arménie?
Anna Leyoan-Yekmalyan : Certes, nous avons la tendance de penser que les contes sont destinés aux enfants ; mais c'est la magie des contes, car ces histoires en général faciles à retenir, se prêtent à une double lecture. Et c'est pour cela que dans les contes arméniens trois pommes tombent du ciel, une première pour celui qui l'a conté, une deuxième pour celui qui l'a écouté et enfin une troisième pour celui qui en a retenu la sagesse !

Lisezjeunessepg : y a-t-il un poids spécifique de la religion dans les contes arméniens ?
Anna Leyoan-Yekmalyan : Depuis le début du quatrième siècle, depuis que le christianisme a été adopté en Arménie comme une religion d'Etat, toute la culture arménienne est devenue profondément chrétienne. Contrairement aux légendes qui se sont enrichies depuis 1700 ans d'une véritable culture et mémoire chrétienne, les contes arméniens traitent rarement de thèmes et de sujets religieux. Les contes depuis des millénaires continuent à traiter les thèmes universels de l'humanité et par des moyens très simples et ludiques donnent des leçons de vie. Par contre, ce qui peut prêter à confusions, ce sont les coutumes, qui ne sont pas forcément religieuses.
Entretien réalisé par Annie Mas et Philippe Geneste
fin août 2015 
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Dans le jeu complexe des voix
Godel Roland, Dans les Yeux d’Anouch. Arménie 1915, Gallimard jeunesse, 2015, 206 p. 10€90
Voici un roman historique (1) de pleine actualité. Pierre Godel est un romancier de l’histoire qui aime composer des récits clairs et suggestifs. Ce roman est autant un roman d’apprentissage qu’un roman historique. Son héroïne, Anouch est une jeune fille de 13 ans au début de l’histoire qui vit dans une famille de commerçants arméniens aisés de Bursa en Turquie. C’est l’été 1915. La répression turque a débuté depuis deux mois à Constantinople. Les Melikian, reçoivent du gouverneur du vilayet de Bursa un ordre de déportation. Le récit va alors suivre la famille sur le chemin qui la mène vers le Sud, dans des camps en Syrie et Mésopotamie d’où on ne revient pas. La narration est faite à la première personne, au présent, laissant croire à un témoignage. Il s’agit en fait d’un roman écrit par la petite-fille de l’héroïne à partir des souvenirs rédigés par Anouch. La petite-fille se nomme Anouch, comme sa grand-mère, peut-être pour signifier la vigilance mémorielle du peuple arménien après le génocide. Le génocide, justement, n’est pas directement présent dans l’ouvrage de Godel. Des récits sommaires nous résument les exactions des autorités turques ; la lettre de Dikan, l’amoureux d’Anouch, séparé d’elle lors d’une razzia dans le camp de réfugié arménien le 4 avril 1916, est, elle, plus explicite. En effet, le jeune homme, qui écrit en 1919 alors qu’il se trouve à Constantinople sous la protection d’une association chrétienne, y raconte la tragédie de sa famille, les conditions de la déportation, les assassinats en masse, et la réalité des camps où le gouvernement turc parque les arméniens affamés, avec très peu d’eau et dans des conditions de chaleur insupportable le jour. Dikan est le seul survivant de sa famille. Les Mélikian ont eu plus de chance, réussissant à sauver leur vie, après une multitude de péripéties toutes traversées par la peur.
Dans les Yeux d’Anouch met en scène des faits historiques attestés, suivant le chemin de la déportation emprunté par des milliers d’arméniens serrés dans des wagons à bestiaux ou à pied en d’infinies colonnes. Matériau consubstantiel à la fiction, la véracité historique se teinte du parti pris de ne présenter le cadre social qu’à travers la religion et l’unité arménienne en dehors des clivages de classes sociales. Cet a-classisme est à mettre en relation avec la fin heureuse de l’histoire : les deux enfants amoureux se retrouvent à la fin et s’embrassent. Comme nous l’avons montré ailleurs (1), ce choix de clôture euphorique du récit, tend à retirer le mouvement de l’histoire de la fiction même quand, comme ici, c’est l’histoire qui porte l’avancée du récit. Il est vrai que Godel, par ses trois derniers chapitres, retourne à l’Histoire, mais il le fait d’une manière artificielle, sortant du récit littéraire pour emprunter la voix historiographique (cf. l’avant dernier chapitre « De l’histoire à l’histoire.. »).
Toutefois, contrairement à la plupart des romans historiques pour la jeunesse, l’œuvre de Godel réussit à ce que la maturation psychologique de l’héroïne soit portée et traversée par l’histoire. Le roman couvre quatre années où on sait qu’1,5 millions d’arméniens et quelques 300 000 assyro-chaldéens et syriaques, hommes, femmes et enfants, furent massacrés par le régime Jeune-Turc de l’empire ottoman, c’est-à-dire le gouvernement du Parti Union et Progrès. Godel a donc choisi une période plus longue que le sous-titre du livre ne l’annonce. Cela permet au récit d’intégrer la dimension de la guerre mondiale en cours dans la tragédie qui s’accomplit. Bien sûr, en n’allant pas jusqu’en 1923, le récit évite d’égratigner l’œuvre des vainqueurs de la guerre de 14/18 comme de l’église catholique ; c’est en effet, le traité de Lausanne signé entre les Européens et la Turquie à cette date qui « efface le mot “Arménie” du droit international » (2) et entérine la reprise de l’Anatolie par la Turquie. Mais ce serait un reproche excessif car étendre la période historique aurait brisé la logique du récit et distendu la concentration narrative qui le marque de son efficacité pour le plus grand bénéfice des lecteurs et lectrices, bénéfice de connaissances dans le plaisir trouvé à la lecture.
Philippe Geneste
(1) voir notre analyse du roman historique pour la jeunesse dans Escarpit Denise, La Littérature de jeunesse, itinéraires d’hier à aujourd’hui, Paris, Magnard 2008, pp.416/426.

(2) Gaïdz Minassian, « Génocide des Arméniens : le travail salutaire des historiens », Le Monde 4/04/2015.

20/09/2015

Adélaïde et Jocelyn ou l’album, un graal littéraire…

Chardin Alexandre, Adelaïde, ma petite sœur intrépide, illustrations Mylène Rigaudie, Casterman, collection les albums, 2015, 32 p. 13€95
L’ouvrage est composé de vingt et une strophes. Toutes ont un nombre pair de vers. Les quatrains dominent. On trouve aussi cinq sizains et cinq distiques. Sur les cent huit vers, tous sont des vers pairs et la quasi-totalité des octosyllabes. De plus, ils ont tous une coupe en milieu de vers, soit 4 syllabes + 4 syllabes. Nous n’avons trouvé que deux exceptions : le vers 17 (avec un rythme en 2, 2, 4), le vers 89 (avec un rythme en 6,2). Par ailleurs, deux ennéasyllabes, les vers 66 et 105, se sont glissés. Isolés, ils ne brisent pas l’ensemble des plus harmonieux réalisé par le rythme métronomique qui prévaut.
L’histoire emprunte à la chanson de geste : un héros est sans cesse mis à l’épreuve dans sa quête du Graal, ici sa petite sœur intrépide, Adélaïde. Celle-ci est partie châtier un « affreux sorcier » qui rôde autour du terrier des lapins. Ah oui ! Parce que l’album met en scène une famille lapin dans son terrier. Face à l’horrible destinée promise à sa petite sœur, le grand frère sort du terrier. Et les aventures commencent, jusqu’à ce qu’il retrouve Adélaïde, maîtrisant l’horrible sorcier.
Qu’on nous permette, ici, une courte réflexion. En 1836, Lamartine publie Jocelyn, un roman de dix mille vers, mais fragment d’une épopée chrétienne libérée des canons classiques, où s’engluait encore Chateaubriand dans ses Martyrs (1809). Révisée, ainsi, l’épopée se transformait en roman en vers. Jocelyn s’inscrit dans le projet de Lamartine de la poésie totale. Mettre en rapport Adelaïde, ma petite sœur intrépide et Jocelyn est-il bien raisonnable ? Eh bien, intrépide, peut-être, mais pouvant être argumenté, ce rapport s’appuie sur le projet de l’album. L’album, ce nouveau genre littéraire que l’on doit à la littérature destinée à la jeunesse, même si ses racines remontent loin dans le temps, l’album, donc, s’ouvre souvent à l’écriture en vers. Dans ce choix du vers, plusieurs intentions des auteurs se lisent. Il y a ceux qui, comme Alexandre Chardin, choisissent le vers pour narrer, comme Lamartine le fit en filiation avec l’épopée, mais en s’adossant à l’image ou en s’appuyant sur elle. D’autres, choisissent le vers pour transformer le dialogue du texte et de l’image en transmutation poétique et le signaler au lectorat. François David est un des plus flamboyants représentants de cette veine. Le vers, enfin, est utilisé pour sa puissance d’oraison afin de convaincre d’une cause ; pensons, par exemple, à Un Rêve de faim de François David et d’Olivier Thiébaud (mØtus, 2012, 44p.).
En conséquence de ces considérations, ne pourrait-on pas envisager l’album dans sa genèse historique, comme arrivant de nos jours à rejouer, au niveau du secteur de la littérature destinée à la jeunesse, une refondation du genre de l’épopée ? Nous remarquerions alors que l’on passerait de la volumineuse teneur en vers à une brièveté du nombre des pages de vers. L’image, en revanche, viendrait donner une profondeur nouvelle, inédite, au dire poétique du nouveau genre. Ce retour de l’épopée par l’album en vers, en tout cas, nous semble une piste non dénuée de pertinence. Adélaïde ne nous démentira pas qui dit à son frère Achab –clin d’œil non anodin de l’onomastique- : « N’aie pas peur, je m’occupe du prédateur ! »… Alors, l’album épique comme transcroissance du conte ?

Philippe Geneste

13/09/2015

le roman historique au risque de l’approche intérieure du monde

Langlois Denis, La Mort du Grand Meaulnes, éditions du miroir, collection passé présent, 2001, 150 p. 19€ (éditions du miroir, 73 avenue de l’Union soviétique, 63000 Clermont-Ferrand).
            Le Grand Meaulnes, unique roman d’Alain Fournier (3/10/1886-22/09/1914), cristallise la crise qui traverse le genre romanesque de 1890 à 1930. Il a été publié en feuilleton dans La Nouvelle Revue française de juillet à novembre 1913.
            Il se cherche, après 1890, une synthèse entre le physiologisme naturaliste et le psychologisme de Bourget, introduisant une nouvelle manière de tenir l’affabulation propre à l’œuvre de fiction. Alain Fournier est en ce sens un précurseur du roman poétique qui va se développer après le premier conflit mondial. Le récit s’efface au profit de la poésie, ou plutôt, il s’y enracine sans s’y diluer.
            En effet, la réalité objective ne s’efface pas derrière des paysages imaginaires ou merveilleux. La réalité est là, bien là, elle est imaginée par le personnage qui s’y comporte en conséquence. Il y a, ici, un refus de la méta-sensibilité développée par les symbolistes, qui, eux, réclament une littérature sortie de la vie et du banal. Fournier, lui, maintient le quotidien. Celui-ci donne corps et vraisemblance aux personnages qui, par l’usage du point de vue interne, amènent la narration à saisir le réel de l’intérieur, sans toutefois tomber dans le psychologisme. L’individu est présent, mais le roman n’est pas individualiste parce qu’il résonne des conflits sociaux qui grondent. Le roman poétique qu’initie Fournier, soustrait le lectorat au cours ordinaire des choses pour créer un décrochage d’événements dans l’imaginaire.
            On reconnaît, dans cette recherche esthétique pour sortir d’une crise du genre, bien des ingrédients de l’écriture de Denis Langlois que l’on a déjà pu relever dans La Maison de Marie Belland (1). Toutefois, la lecture du Grand Meaulnes, par Denis Langlois, porte à transformer quelque peu cette définition en ajoutant que par cette approche intérieure du monde, -fonction même des personnages principaux-, les événements trouvent de libres échos d’interprétation, y compris pour les lecteurs, et deviennent matière à l’exercice d’une libre réflexion. Car, nous ne sommes plus dans l’avant guerre de 1914 et tout attachement à une œuvre, à un auteur, n’est pas passible de répétition à l’identique.  
            En fait, malgré le titre, La Mort du Grand Meaulnes n’est pas un roman ayant Alain Fournier pour sujet. Il en est plutôt l’élément déclencheur. On le sait, Henri-Alban Fournier (il a pris en 1907 le demi-pseudonyme littéraire d’Alain Fournier) est porté disparu au sud de Verdun, dans les Hauts de la Meuse le 22 septembre 1914. Ses restes n’ont été découverts qu’en mai 1991 dans une fosse commune avec vingt de ses compagnons d’armes et fut inhumé dans le cimetière militaire de Saint-Rémy-la-Calonne, dans la Meuse donc. Le personnage principal, narrateur de l’histoire, est en vacances dans le Cantal, louant, avec sa femme une vieille bâtisse attenante à un moulin, très proche d’un cimetière. Le récit va ainsi, d’événements étranges en découvertes macabres s’approcher du récit de fantôme, mais sans jamais s’y inscrire. La narration reste sur cette arrête fine où s’installe le fantastique qui devient le moteur de la fiction.
C’est l’histoire d’un vieil homme, Augustin Courtille, qui a perdu ses deux frères à la guerre –il était trop jeune pour être enrôlé-, disparu un certain 22 septembre 1914 près de Verdun, et qui refuse de les voir recouverts par l’épaisseur des voiles patriotiques des commémorations et anniversaires dont la société est si friande. Au moment de la découverte de la fosse commune où les allemands ont enterré les corps du détachement où se trouvait Alain Fournier, le père Courtille était maire du village du Cantal où réside le narrateur pour ses vacances. Il réussit à faire rapatrier les corps des gars du village. Mais son but, c’est bien de soustraire ses frères au cimetière pour les retrouver et ouvrir les squelettes à la lumière des jours et des saisons qui passent. Rendre justice aux disparus, semble nous dire le père Courtine, ce n’est pas les enterrer dans leur terre, « au pays », car ce serait les rapatrier, or ils sont déjà « morts pour la patrie ». Rendre justice aux disparus, c’est les soustraire à l’interprétation officielle, aux commémorations, qui viennent taire leurs paroles sous un flot de discours nationaux guerriers ; c’est les libérer d’un mythe national pour ne conserver que la vérité des conditions de leur mort. Et pour cela, il y faut une profanation (arracher du sacré patriotique, sortir de la religion mémorielle patriotique). Contre le mémorialisme, contre le cérémonial des monuments élevés aux morts, le père Courtine cherche à mettre ses frères morts en sûreté, c’est-à-dire en présence de continuité avec les vivants.
Dans ce roman, les portraits des personnages des villageois et les descriptions souvent brèves mais poétiquement suggestives, nous font rencontrer dans des circonstances ordinaires des événements incroyables mais vraisemblables. Telle est la voie singulière qu’emprunte le fantastique de Denis Langlois, entre merveilleux et historique, entre rêve pacifiste et réalisme de vérité : un point de vue intérieur, celui du narrateur, porté à la rencontre d’un personnage hors du commun mais ordinaire, raconte, avec rigueur, une fiction anti-militariste.
Philippe Geneste

(1) Denis Langlois. La Maison de Marie Belland, éditions La Différence, 2013, 141 p. Voir le blog lisezjeunessepg du 17/08/2013. 

06/09/2015

Le documentaire préhistorique aux prises avec les représentations du temps

Alors que la préhistoire a disparu de l’école, les enfants plébiscitent toujours les ouvrages qui sont consacrés à cette période, notamment ceux qui concernent les formes de vie qui y régnaient. .

Badreddine Delphine, Ecoute les bruits de la préhistoire, Gallimard jeunesse, 2012, 14 p. 11€10
Très beau livre de petit format aux pages cartonnées, qui raconte la préhistoire aux 3/5 ans avec, pour chaque double page, un élément sonore et des activités.

Les premiers Hommes, Gallimard jeunesse, collection Mes grandes Découvertes, 2015, 62 p. 7€90
Le livre s’adresse aux enfants de 6 à 9 ans. Il procède par doubles pages, en 21 chapitres qui suivent une chronologie de l’hominisation. L’ouvrage cherche à faire des ponts avec le présent, exposant certaines mœurs et rites de peuples primitifs. L’iconographie est abondante, et le texte s’apparente à un légendage étoffé avec la volonté de montrer des faits étonnants susceptibles de capter toute l’attention du jeune lectorat.
Traversant les continents, Les premiers hommes propose une somme importante d’informations et d’explications. Les lectrices et lecteurs, grâce à des doubles pages d’activités et des planches d’autocollants, sont invités à approfondir leurs connaissances faisant du livre un objet interactif pour comprendre les origines de notre espèce et le mode de vie des premières civilisations. Un très bon documentaire comme en offre régulièrement cette collection.
Un bémol pourrait, toutefois, être notifié. Il porterait sur la représentation des hominidés d’il y a plusieurs millions d’années et de celle des hommes du paléolithique supérieur (10 à 30 000 ans). Certes donner un visage à nos ancêtre a toujours accompagné la glose préhistorique surtout lorsqu’elle se destinait à la jeunesse. Mais comme se le demande Philippe Dagen : « de quels stéréotypes d’aujourd’hui ces temps reculés sont-ils la projection ? » (Le Monde 8/01/2015). Ainsi, la peau blanchit-elle au fur et à mesure que l’on s’approche de l’homme moderne : or qu’en sait-on ? De même, pourquoi est-ce encore une fois un homme qui est montré en train de peindre sur la paroi d’une grotte, on ne sait pourtant pas si les femmes ne pratiquaient pas cette activité ? Ces lieux communs dans l’illustration abondent dans les parcs préhistoriques à but touristiques et dans les reconstructions diverses, dont celles cinématographiques non exemptes d’un racisme incrédule. Les premiers hommes, dont le texte est si intéressant, n’évite pas ce travers avec ses illustrations qui filent un vieux fond de représentations ayant pris naissance au dix-neuvième siècle. Cette remarque est vraie pour de nombreux autres documentaires sur la préhistoire parus chez d’autres éditeurs où la richesse des informations outrepasse les connaissances scientifiques par les représentations illustrées de l’évolution des hominidés vers l’homme modernes. N’est-ce pas la preuve que le documentaire jeunesse est simplement tributaire de l’état de l’exposition des sciences préhistoriques de son époque ?

De Panafieu Jean-Baptiste, Au Temps des premiers hommes, illustratrice Guillaume Plantevin, Gallimard jeunesse, 2014, 18 p. 13€90
L’ouvrage s’adresse aux 8/11 ans. Ecrit par un spécialiste de la question, son ordre chronologique permet de passer en revue les changements climatiques, l’origine de notre espèce depuis l’apparition des premiers hominidés il y a 2 millions d’année dans la vallée du Rift, en Afrique, jusqu’à leur sédentarisation qui marque la fin de la préhistoire. Huit doubles pages donc : les ancêtres de l’homme ; les hommes archaïques (homo erectus utilise le feu et taille les premiers silex) ; les néandertaliens (il y a 100 000 ans), les hommes modernes (il y a 40 000 ans où hommes de Cro-Magnon et hommes de Neandertal cohabitent). Puis Néandertal disparaît, seul Cro-Magnon subsiste (il y a 20 000 ans) avec des mœurs qui se complexifient, avec des peintures pour des rites sinon pour l’art. On parle alors d’homo sapiens présent jusqu’en Indonésie ; sa dissémination de par le monde le mène à la rencontre d’autres espèces comme l’homme de Florès. L’ouvrage arrive au terme du voyage, il y a 8000 ans au Proche-Orient où on a retrouvé trace d’un premier village néolithique.
Au Temps des premiers hommes est un ouvrage qui aidera l’enfant à repérer des bornes temporelles qui, si elles ne lui permettront pas de se situer pleinement dans le temps, de par son âge (7/10 ans), lui permettront toutefois d’acquérir une succession d’événements.

Si la vulgarisation scientifique est l’art de mettre la science à la portée de tous, alors ces deux derniers ouvrages doivent être cités, avec une rigueur scientifique plus éprouvée pour le second.

Philippe Geneste