Pullman Philip, Contes de Grimm, traduit
de l’anglais par Jean Esch, images de Shaun
Tan, Gallimard, 2014, 495 p. 35€
En 2004, Philip Pullman publiait
Aladin et la lampe merveilleuse (1). Que l'auteur de La Croisée
des mondes s'intéresse aux contes des Mille et une nuits entrait
en échos avec son attrait pour le merveilleux. Conscient du danger de
l'adaptation, Pullman réécrivait l'histoire d'Aladin en s'appuyant sur deux
apports. Le premier était de prendre au sérieux la pérégrination des contes des
Mille et une nuits. Pullman faisait alors le choix de la
déterritorialisation du conte d'Aladin, conte écrit en arabe mais qui parcourt la Chine et l'Inde. Et c'est
dans la richesse des coutumes des pays étrangers que la version de Pullman
cherchait la solution aux problèmes rencontrés par les héros et héroïnes. C'est
le premier apport : le conte est universel parce qu'il traverse les pays à
l'instar de ses personnages et dans la richesse de l'étrangeté se crée la
solution aux problèmes humains. Le second apport, résidait dans l'usage des
métaphores pour donner corps à la fiction. En effet, par leur jeu rhétorique,
Pullman faisait glisser le texte vers une érotisation des situations et des
tableaux. Le corps séducteur, mais aussi l'attrait des sensations agréables
(goûts, parfums etc.) devenaient ainsi des clés qui ouvraient au dénouement des
situations inextricables.
Dix
ans plus tard, Pullman récidive dans le domaine de l’adaptation/réécriture de
contes. Le livre paru en 2012 à Londres rassemble cinquante contes de Grimm,
réécrits au plus près des conventions du genre, avec un hommage appuyé aux
frères Grimm, Jacob (1785-1863) et Wilhelm (1786-1859). Le conte est un genre
de restitution de paroles, une transcription donc une réécriture et recomposition
en une ou plusieurs fois d’histoires entendues ou, de nos jours, plus souvent,
lues. Et c’est parce que « le conte
est dans un perpétuel état de devenir et d’altération » qu’il ne faut pas
l’enfermer dans la cage d’une seule interprétation, mais ouvrir la porte des
compréhensions et des actualisations. Si le ton du conte est « serein et anonyme » (James Merrill
cité par Pullman), au point de laisser croire à une absence d’auteur, le genre
appelle l’interprète, le conteur : « raconter des histoires est un art de l’improvisation, comme l’écriture »
écrit Pullman.
Pullman
relit les cinquante contes, par lui choisis avec le stylo. Il en respecte les
caractéristiques : rapidité de l’histoire qui repose sur la succession de
péripéties, pas de psychologie des personnages mais des figures emblématiques,
prévalence absolue de l’action sur la description. L’illustrateur Shaun Tan a
appuyé de ses créations cet ancrage générique au conte. Travaillant sur des
figurines réalisées en papier mâché et terre glaise séchée travaillées au
ciseau et peintes « à l’acrylique, à
la poudre métallique, à la cire de bougie et au cirage » (2), il
montre des personnages imaginaires « dénués
de profondeur » car très approximatifs dans leur contour. L’univers de
nulle part ainsi créé par ces figurines, photographiées dans un décor sobre souvent réduit à un
arrière-plan, adhère à l’a-temporalité du genre tout en immisçant le mystère, l’énigme.
L’illustration ajoute, parfois, l’inquiétante étrangeté d’une expressivité
déliée de l’émotion qui aurait pu en motiver la survenue.
Le
travail éditorial avec sa belle reliure cartonnée, ses fortes marges, les
motifs légers entourant le numéro des pages, les culs de lampe soulignant les
titres, propose aussi, pour chaque conte, le commentaire de Pullman. L’auteur y délivre
la référence dans le répertoire international des contes et du folklore et
explique le choix des transformations qu’il a jugé utile de faire subir à la
version des frères Grimm. S’il arrive qu’on puisse, pour certaines réécritures,
parler d’actualisation, le plus souvent, Pullman invite à interroger la logique
propre du récit initial pour justifier un autre cheminement du récit. Bien sûr,
le désir naît alors de à se reporter au texte des frères Grimm. Ainsi, c’est un
travail d’érudition dans le plaisir de se faire son opinion auquel l’ouvrage nous
convie. Enfin, les commentaires de Pullman permettent à chaque lecteur, à
chaque lectrice de libérer sa propre interprétation du conte, d’en discuter la
teneur et les choix faits pour aller vers le dénouement ou même d’interroger ce
dénouement.
Ce
volume, à n’en pas douter, est un chef d’œuvre à la portée des enfants à partir
de 11 ans. C’est une leçon historique sur le style : « L’objectif doit toujours être la clarté »
disait Pullman dans une conférence prononcée à New York en 2002. C’est aussi
une leçon structurale dur le récit : « il vaut mieux écrire de façon à ce que les lecteurs puissent voir jusqu'au fond (…) Raconter des histoires implique de penser à des événements
intéressants, de les mettre dans un ordre qui fait ressortir ce qui les relie
et de les raconter le plus clairement possible » (3). Surtout, peut-être,
Pullman nous enseigne-t-il qu’il est bon de retourner régulièrement manger le
fruit défendu des contes afin de nourrir le développement de l’arbre des connaissances.
Geneste
Philippe
(1) Aladin
et la lampe merveilleuse raconté par Philip pullman, illustré par Sophy Williams, Gallimard Jeunesse,
2004, 72 p., 18€ - (2) voir son
texte en postface du volume - (3) citations
extraites du ivre de Nicholas Tucker, Rencontre avec Philip Pullman,
traduit de l’anglais par François Gallix, Paris, Gallimard, 2004, 221p. – pp.196/197