Anachroniques

19/04/2014

Ecrits diaires, film d'aujourd'hui


Le mardi 25 mars 2014, a eu lieu à la médiathèque d'Andernos-les-Bains (Gironde), puis le samedi 5 avril au festival du court métrage "les toiles de mer" de Lanton (Gironde), la projection du film Journaux intimes réalisé par Emmanuelle Glémet et l’association Vue du Cap, produit par la mairie d’Andernos-les-Bains.  Le film est né d’un projet commun élaboré par Chantal Lamontagne, médiathécaire, et Philippe Geneste professeur de français au collège d’Andernos, renouvelant une expérience déjà menée en 1999 sur les journaux intimes de collégiens. 
Quinze ans plus tard, les écrits des élèves de quatrième H, de cinquième A et sixième E ont donné le matériau du scénario, en fournissent la teneur. Emmanuelle Glémet est venue dans les classes avec sa caméra pour que les élèves de sixième E et cinquième A fassent l’expérience pratique du cinéma.
Le film rassemble les écrits des collégiens, donnant à entendre dans un environnement qui leur est commun, leurs préoccupations, leurs effrois autant que leurs joies. On prend conscience de combien l’unité institutionnelle du collège comporte des enfants aux préoccupations opposées. Les spectateurs ont bien senti la différence notoire entre les écrits des adolescents et préadolescents de quatrième et les enfants de sixième et cinquième. Le journal intime livre à nu l’expression collégienne de la vie. L’environnement dans la confrontation duquel les enfants se construisent devient chez les adolescents ce contre quoi s’affirmer. A un âge où le corps ne fait plus un avec la tête, les urgences juvéniles explosent parfois à l’écran. Ce sont des journées sans imprévu d’où suinte l’ennui, des soirées de fête où sont bousculées les limites sociales des comportements. Les émois des ruptures parentales, la douceur des joies simples de la vie, l’élan vers les addictions en tout genres, se croisent.
Il faut souligner la justesse des dictions des textes par les élèves, lectrices et lecteurs, dont la voix livre sans voile des réalités tendres ou dérangeantes, n’évitant pas ainsi les tiraillements de ces âges des bouleversements où on prend ses distances avec les modèles parentaux et adultes, où on quitte l’enfance sans encore entrer dans un domaine assuré de sa vie, cette vie qui se cherche dans des groupes de pairs mais où autrui y est ressenti comme un regard inquisiteur aussi.
Le film donne à entendre cet âge en sursis des plus petits, mais aussi des interrogations profondes des plus grands que l’on ne soupçonne pas toujours dans le discours adolescent. L’intelligence des mouvements de la caméra, la finesse et l’expressivité du montage, l’attention empathique des cadrages posent un espace où se reconstruit le réel de ces classes d’âge si différentes, et livre avec délicatesse de multiples facettes de cette quête de soi dans la perte de l’innocence de l’enfance. Entre autorité et illicite, entre lieux institutionnels et domaines symboliques, le film Journaux intimes propose un pont entre les parents et leurs enfants, entre l’école et les élèves, entre la vie sociale adulte et la vie rêvée des jeunes.
lisezjeunesepg

Pour tout renseignement :
Saison cinq www.saisoncinq.com


11/04/2014

Pour une éthique du tâtonnement

Dumortier David, Le Jeu de la bonne aventure, illustrations d’Aude Léonard, mØtus, 2014, 40 cartes + étui, 10€
Voilà un livre-jeu de cartes divinatoires. En tirant les cartes, l’enfant lit son avenir, avec ceci de jouissif que si cet avenir ne lui convient pas, il peut retirer une carte. Sur chaque carte, un poème s’offre à la lecture, un poème court, sept vers pour les plus longs. Mais alors, le jeu serait-il une propédeutique à la poésie ? Ces diables d’édition mØtus offrent ainsi à chaque enfant de se connaître par la poésie.
Alors qu’à l’école, les élèves sont soumis à l’éducation à l’orientation, une éducation où les professionnels adultes suggèrent à l’élève sa course future sur l’espace de la vie sociale jusqu’à ce que cette suggestion soit assimilée par l’enfant à son choix propre, David Dumortier propose à l’enfant de vivre sa vie, librement, et, pour se conduire dans cette aire libre, de ne s’arrêter qu’aux propositions poétiques qui lui siéent. La vie devient alors une éthique du tâtonnement, de l’essai et des erreurs, de l’aller et du retour et non une suite ininterrompue d’injonctions intériorisées et de croyance en la toute puissance de l’individualiste « c’est mon choix ».
Tout texte est traversé par l’intertextualité, c’est-à-dire par d’autres textes avec lesquels il entretient un dialogue de parenté ou d’opposition. Pour Le Jeu de la bonne aventure on pense à l’œuvre de l’oulipien italien, Italo Calvino (1923-1985), Le Château des destins croisés qui introduit des cartes de tarot pour interroger la duplicité du destin. On y trouve déjà cette contestation de la définition de la personne par les choix positifs qu’elle ferait : nous nous construisons autant par le refus des choix qu’on voudrait nous proposer que par les choix que nous faisons. Sauf que chez Dumortier, à l’inverse de chez Calvino, il ne s’agit pas d’un éloge du renoncement mais un éloge du refus, un refus joyeux pour une éthique de l’impertinence que le genre hybride choisi par l’auteur (le jeu de carte plutôt que le recueil poétique ou la suite de nouvelles brèves) appelle et rappelle. Il n’y a de bonheur possible que si le refus nous constitue devant la vie.
Ainsi, la lecture comme vecteur, l’éthique comme visée, la poésie comme transformateur (au sens où on parle de transformateur en électricité), voilà où mène sans la dire ce jeu de la connaissance de soi où l’être ne se prévaut d’un soi que par la confrontation aux mots de l’auteur et plus qu’aux mots, aux poèmes de David Dumortier. Mais il y a plus encore. Le zeste d’oulipoïsme qui préside au Jeu de la bonne aventure marie la profondeur de l’élan émancipateur par la lecture avec l’humour :
Tu seras pilote d’avion
Et si tu te trompe de chemin
Ce n’est pas grave
Parce que la terre est ronde
Ou encore,
Dans une grande lunette
Tu exploreras l’espace,
Comme ça on ne te reprochera plus
D’être toujours dans la lune
Et comme on ne s’en lasse pas :
Tu jardineras des couleurs parfumées,
Tu laisseras les fleurs jouer où elles veulent.
De toute façon,
Tu as toujours préféré les fleurs sauvages
Ce livre-jeu est un petit chef d’œuvre de format 7 x 12 cm livré sous étui avec cartes sous cellophane. Une illustration s’ébauche sur certaines cartes et au dos de chacune d’elles, un graphisme d’Aude Léonard invite au bol d’air pour petit déjeuner où le réveil des sens s’agrippe à l’éveil du sens :
Tu te transformeras en papillon,
Quand tu t’approcheras de ta première fleur
Tu embrasseras ses pétales
Et ce sera sa joue….

Le matin
Tu boiras un grand bol de nuit
Avec des tartines beurrées de soleil
Puis tu jetteras les étoiles
Par la fenêtre
Et les moineaux picoreront les miettes.
Oui, Le Jeu de la bonne aventure de David Dumortier est un chef d’œuvre littéraire donc social car même les cartes divinatoires invitent au partage du livre-objet.

Philippe Geneste

03/04/2014

Des bruits et de leur langage

Alexandre Jean-François (réalisation par), L’Imagier des bruits. Ecoute, observe et devine, illustrations Olivier Latyk, naïve jeunesse, 2010, 88 p. + CD de 40’ 
Il a pour but de stimuler l’enfant à écouter les bruits et sons qui l’entourent et à les identifier. Ce discernement sonore procède méthodiquement mais sous une apparence de simplicité et d’évidence. L’enfant peut suivre sur le livre l’onomatopée –bruit d’objets ou cris d’animaux, rares interjections humaines – parfois transcrite et toujours faisant l’objet d’une illustration qui souvent évoque une situation. Le CD qui reproduit quarante bruits et onomatopée, inclut des comptines relatives aux sons. Tout commence par le bruit que l’enfant doit chercher à identifier. La comptine, le commentaire viennent donner à entendre le sens de la manifestation sonore. Cette exploration de l’environnement par l’audition aiguise l’attention de l’enfant et suscite sa curiosité, tout en élargissant sa connaissance des sons reconnus.
Ainsi, l’enfant qui joue reproduit le son, il redit pour mieux dire en quelque sorte. S’il imite, il ne quitte pas le contexte ludique que les interactions entre le livre et le CD provoquent ou bien que le CD suscite avec l’auditeur ou l’auditrice. Le sous-titre de l’ouvrage décrit parfaitement la démarche des auteurs. Il n’est pas douteux, évidemment que la présence de l’adulte qui accompagne les interactions entre l’enfant et les bruits va enrichir encore la dimension heuristique de l’écoute.
Cet ouvrage est une perle, un petit chef d’œuvre d’intelligence qui ne doit pas passer inaperçu et que l’ancienneté relative de la parution impose de rappeler à l’actualité du livre de jeunesse.

Jadoul, Emile, Zip la Boum ! T.1 Aïe !, Gallimard jeunesse, 2011, 16 p. 4€50 ; Jadoul, Emile, Zip la Boum ! T.2 Plouf !, Gallimard jeunesse, 2011, 16 p. 4€50 ; Jadoul, Emile, Zip la Boum ! T.3 Smack !, Gallimard jeunesse, 2011, 16 p. 4€50 ; Jadoul, Emile, Zip la Boum ! T.4 Zou !, Gallimard jeunesse, 2011, 16 p. 4€50              dès 2 ans
Ces petits livres cartonnés ne comportent pour langage que des onomatopées et des interjections. Il ne s’agit pas d’histoire mais d’une succession de scénettes qui, mises bout à bout, forment un récit humoristique. Cela signifie que l’enfant peut prendre le livre n’importe où. Les dessins, en aplats de couleurs, sont simples et schématiques. On trouve sept onomatopées ou interjections par livret. C’est une manière ludique de se familiariser avec l’image des lettres écrites en majuscules. Le petit format (12cm x 12cm) favorise la prise en main du livre par l’enfant.

David, François, Flic, flac, scratch, um… et autres bruits de mots, illustrations David Merveille, Milan, collection “Quelle Poésie !”,  Milan poche, 2004, 24 p, 4
Voici un livre très (trop ?) riche pour des enfants dès 6 ans. C'est un livre très riche en ce qu'il s'appuie sur les onomatopées, commençant par des jeux de sons avec ces mots du réel. Mais le livre amène l'enfant à jouer avec ces sons pour en faire des poèmes qui défilent sur des illustrations gaies et joyeuses. Qui plus est, certaines pages s'amusent à comparer l'appréhension différente des bruits selon les langues d'origine. L'humour, ne fait pas que sourdre des sonorités, il est constitutif des chutes des historiettes poétiques, autant qu'il s'impose par l'illustration gentiment délirante de Merveille. Vraiment, ce petit ouvrage est un régal, un gai savoir pour l'enfance qui subjugue tout autant l'adulte sensible. Il y a là une problématique à l'amour de la langue, sans emphase, par la jouissance des sons. C'est petit chef d'œuvre, un délice de livre onomatoplaît.

Rozen, Anna, Le Marchand de bruits, illustrations de Avril, François, Nathan, 2002, 32 p., 13
Cet album qui peut être lu à des enfants de 4 ans ou par des premiers lecteurs. Le texte est particulièrement bien construit et écrit. Le thème central en est la création onomatopéique. Le héros bricoleur de bruits va, sous l'effet de l'engouement des gens pour ses inventions, devenir marchand de bruits. L'autrice crée, mais l'illustrateur n'est pas en reste qui, dans un style qui fait penser à Lionel Koechlin, invente des machines bruiteuses insensées, pour le plus grand bonheur humoristiques des lecteurs. Les deux réunis (texte et image) expliquent que ce livre -à la typographie mimétique des tonalités et hauteurs de voix- pourrait être lu par un lectorat bien plus âgé voire étudié en classes de primaire comme de collège.
A ce thème central de l'onomatopée, s'ajoute, par l'histoire, une critique relative de la société de consommation. En effet, peu à peu l'entreprise va prendre de l'importance et le fils, qui succédera à Monsieur Boum, aura aucun des scrupules du fondateur de la firme Boum. On parlera de concepts et non de bruits, mais les instruments deviendront moins inventifs et les bruits moins suggestifs. L'invention est devenue marque, étiquette sans contenu, pur produit marchand sur le nouveau marché des bruits. Blabladablop ! Proukta ! Le Marchand de bruits est, sans crier gare, un livre de génie.

Geneste Philippe