Anachroniques

25/03/2014

le pouvoir des femmes


Le Bildungsroman est un modèle masculin, que ce soit à travers Les Années d’apprentissage de Wilhelm Meister de Goethe, que ce soit à travers la théorie de Lukacs, que ce soit chez Balzac ou chez Flaubert.

« Aller dans le monde pour s’éprouver et se connaître » (Lukacs Georges La Théorie du roman de Georges Lukacs, traduit de l’allemand par Jean Clairevoye, aux éditions Gonthier en 1963, puis repris dans la bibliothèque médiations de chez Denoël Gonthier en 1971) était et semble rester un programme masculin « envisagé pour et par les hommes » (Suleiman, Susan Rubin, Le Roman à thèse ou l’autorité fictive, PUF, 1983, p.82 n.5). N’est-ce pas la répartition sociale des tâches qui pose la femme au foyer et l’homme dans le monde qui est en cause, ici ? Qu’en est-il, aujourd’hui, dans la littérature de jeunesse ? Ph. G.

Mouchard Christel, Devi, bandit aux yeux de fille, éditions Flammarion, 2012, 247 pages, 6,10€
Devi a 16 ans lorsqu'elle rejoint les bandits des ravnes. Pourquoi ? Pour se venger, se venger de tous ces thakûrs* qui lui ont fait subir, à elle et à sa sœur jumelle, mille humiliations, se venger de son mari, qui a abusé de son corps, se venger de l'Inde toute entière, de ses castes, de sa politique etc.
Jamais plus sa famille ne subira de moqueries ou d'humiliation parce qu'elle a fuit le domaine de son mari et sa sœur adorée aura désormais une dot et des bijoux, que demander de mieux pour la jeune idéaliste ? Elle semble inconsciente des risques que représente ce métier mais, pourtant, tout au fond de son âme elle sait, elle sait qu'elle risque de se faire tuer à tout moment, qu'elle ferait mieux de se rendre, de purger sa peine et de se marier avec l'homme qu'elle aime, un jeune thakur qui ne veut que son bien. Il est le seul qui réussira à lui rendre la raison. Rien ne dit dans le récit ce qui se passa après que Devi se soit rendue mais chacun peut deviner que cette jeune fille est bien décidée à refaire le monde ou du moins l'Inde à sa façon.
C'est un très bon livre qui permet de découvrir l'Inde. L'histoire se tient parfaitement tout en défendant le droit des femmes ce qui permet de lire cet ouvrage à tout âge. L'écriture est spéciale et j'aurai préféré que le narrateur soit interne à l'histoire mais globalement j'ai beaucoup aimé et conseille ce livre qui romance si bien l'histoire d'une véritable héroïne de l'Inde.
*En Inde, dans la hiérarchie des castes, les thakûr sont dits appartenir à une caste honorable

Mouchars Christel La princesse africaine. Tome 1 sur la route du zimbaboué, éditions Flammarion, 2011, 238 pages, 6€
Tchinza, fille de reine, est princesse du Zimbaboué et pourtant elle a été enlevée avec son esclave, le jeune Moutiti depuis maintenant un an par le peuple des zoulous dont le chef veut l'épouser. Mais la jeune fille fomente en secret le projet de rentrer dans son pays coûte que coûte pour retrouver sa mère.
Aussi lorsque, contre quelques armes et produits typiquement Européens, un blanc demande aux zoulous un guide pour aller jusqu'au Zimbaboué la princesse se porte volontaire avec son esclave. Sa proposition est accueillie avec enthousiasme.
La voilà partie pour son pays avec seulement une idée vague de la route à suivre, avec Soudi le traducteur douteux, quelques porteurs et les deux blancs aux prénoms étranges, David, Isabelle. Cette dernière a un fils, Damian. Le voyage est périlleux. Tchinza et Damian apprendront à leurs dépens, la mort, la traite des esclaves et peut être même l'amour.
Ce livre, qui s’adresse aux 10-12 ans, raconte un beau voyage initiatique même si j'ai trouvé que pour ses seize ans, Tchinza était bien peu mature et que les événements qu'on peut voir tout au long du livre sont assez policés, ce qui, pour une série, pourrait devenir lassant. L’écriture est agréable et l'histoire est globalement bien tenue.
Aurélie Arnaud

Mestron Hervé, Touche pas à ma mère, Talents Hauts, 2012, 64 p. 7€
En Europe, la violence conjugale est, pour les femmes de 16 à 44 ans, la principale cause de mortalité et d’invalidité avant les cancers et les accidents de la route (données de 2002 de l’ONU). En France, une femme meurt, tous les trois jours, sous les coups de son conjoint. C’est donc que les femmes sont des êtres humains qui ne sont aps considérés comme dignes de respect ; cette discrimination fondée sur le sexe s’appelle le sexisme.
Le roman de Mestron est purement didactique, illustrant avec un récit des plus sommaires cette situation. Il aborde les freins psychologiques qui empêchent la mère de l’héroïne de porter plainte contre son compagnon, il illustre le fait que les violences faites aux femmes sont ll fait de proches. On ne peut que regretter que sur un tel sujet, l’ouvrage se replie sur le didactisme, évitant l’élan littéraire et la recherche de composition du récit. Quoiqu’il en soit, le sujet est trop peu abordé en littérature de jeunesse pour ne pas faire connaître cet ouvrage dont tous les centres de documentation et d’information et bibliothèques ouvertes à al jeunesse devraient se doter.
A Vol d’oiseau, illustré par Mayana Itoïz, Talents Hauts, 2012, 17 p. 11€70
Cet album, écrit collectivement par une classe de CP-CE1 de Monceaux-les-Maux, reprend le schéma général du classique de Selma Lagerlöf : des enfants, des adultes grimpent sur le dos d’un oiseau qui parcourt la terre recueillant la colère de ceux qui dénoncent les discriminations sexistes quotidiennes : dans les jeux, les professions, les activités de détente, les mœurs, les comportements. L’album est illustré avec poésie par Itoïz qui jouent des angles de vue, de la couleur, du courant pictural naïf, ouvrant ainsi un album didactique au merveilleux, c’est-à-dire créant à proprement parler le cadre générique de l’histoire contée.
Philippe Geneste

08/03/2014

Darwinisme, théorie de l’évolution, esthétique

De Pannafieu Jean-Baptiste, Histoires de squelettes, photographies de Griès Patrick Gallimard jeunesse – éd. Xavier Barbal, 2012, 35 p. 24€90
Ce bel ouvrage de grand format carré, comporte outre els 35 pages notés, de multiples rabats donnant parfois à lire des triples pages. Le propos est concentré sur al question scientifique de l’évolution. En ces temps où le créationnisme déferle aux USA et s’étend à travers le monde, où l’obscurantisme religieux rabat la science sous des jugements d’opinions individuelles, ce livre occupe une place centrale dans l’œuvre éducative de al littérature documentaire. Les illustrations (photographies en noir et blanc de squelettes) sont des photographies d’art. Cet imposant travail de Griès n’écrase pas l’intérêt des enfants grâce au jeu des rabats et d’un graphisme commun aux livres de jeunesse accompagnant le légendage clair, simple, varié dans la forme puisqu’on trouve un poème, des dialogues, des notices explicatives, des textes informatifs. Magnifiquement relié, l’ouvrage est une invitation au plaisir de feuilleter mais aussi une offrande scientifique.
On part de l’étude comparative des anatomies, avec des explications limpides pour faire comprendre aux enfants comment procède la science de l’évolution. On s’interroge alors sur la classification du vivant sans omettre les apports de la génétique, évidemment. La théorie de la sélection naturelle est expliquée, le concept d’évolution est exemplifié par l’hypothèse de la genèse de la chauve souris depuis l’ère mésozoïque jusqu’à aujourd’hui. Le débat entre Lamarck et Darwin sur l’origine du cou de la girafe est traité. On le voit, c’est par le détail, le singulier que De Pannafieu ouvre le lecteur à des questions générales soulevées par la théorie de l’évolution et en prouvant les fondements.
Les exemples choisis frappent le lecteur par les surprises qu’ils suscitent : quel est le cousin de la vache, le zèbre ou le dauphin ? De ces quatre primates –l’homme, le gorille femelle, le mandrill, le singe laineux– quels sont les parents les plus éloignés ? Pourquoi l’Australie est-elle le continent des marsupiaux ?
Cet ouvrage est un livre d’art par l’illustration un livre de science par le propos tenu, un livre pour al jeunesse par le soin éditorial didactique de la mise en page qui l’accomplit.

Les Dinosaures, Gallimard jeunesse, collection Mes grandes découvertes, 2013, 56 p. + 8 pages d’activités et 100 autocollants, 7€90   pour les 7/10 ans
L’ouvrage est excellent, si abondamment illustré qu’il semble que tout le texte n’est qu’une succession de légendes, alors que la composition repose sur des doubles pages savamment orchestrées. Définition, époque de la vie sur terre, anatomie et science des fossiles, mœurs, science évolutionniste où géologie et paléontologie se retrouvent ; ce livre est un régal, il fait de la science préhistorique une activité vivante, attirante. Il ancre, d’autre part, la vie dans le processus général de l’évolution invitant l’enfant à comprendre les hypothèses scientifiques.

Cruschiform, Trompe l’œil, Gallimard – Giboulées, 2013, 64 p. 19€50
Avec ses treize pages perforées, sa couverture fortement cartonnée et sa reliure renforcée, cet ouvrage de grand format est un livre inclassable que l’on pourrait dire beau livre ou bien documentaire naturaliste ou encore livre d’art.
De quoi s’agit-il ?
D’un livre de devinette : on colle son œil sur la perforation et l’on voit des ponts, des couleurs, et on tourne la page pour découvrir là l’œil d’un Chelmon poisson des océans Indiens et Pacifique, ici l’ocelle d’un papillon Junonia orithya, une chenille sphinx tête-de-mort, un siphonognathus attenuatus etc. Cruschiform, pseudonyme d’une créatrice qui œuvre aux confins de l’illustration, du graphisme et de la typographie (voir les pages de titre et de couverture) s’est appuyée pour cet album qi se donne comme un carnet d’exploratrice sur les planches de Linné, d’Ogilby, Pallas, Stâl, Cuvier, Schmidt, Pickard, Leach.
Magnifié par le grand format du livre (260 x 320), la teneur historique du propos sous-jacent des grands naturalistes des dix-huitième et dix-neuvième siècles vient donner consistance scientifique à un bestiaire fantastique transformant par un  graphisme dense mais retenu l’ouvrage en une œuvre de l’imaginaire. La recherche du minimalisme stylise les planches mais en même temps suscite l’art intrinsèque des grands ancêtres dessinateurs et peintres du réel et de al connaissance. N’est-ce pas un manifeste de l’art comme partie prenante du savoir humain seul apte à rendre compte de la condition de l’humain dans le monde ou construisant son univers propre de la représentation où il enclot nouvellement tout ce qui l’entoure et le constitue ?
Geneste Philippe

02/03/2014

spécificités de la biographie en littérature de jeunesse

La biographie en littérature jeunesse ne commence jamais par la fin, ce qui manifeste une volonté de narration dont seuls les documentaires biographiques s’abstraient et encore. Une conséquence est que la biographie pour la jeunesse table sur le talent de conteur de l’auteur capable de monter une histoire bien composée avec péripéties et rebondissements. Un Bertrand Solet en est un exemple. Mais cela n’est-il pas le propre du genre en France par opposition aux modalités de l’écriture biographique aux USA (1) ? Une autre différence est sa non-exhaustivité de la biographie. Elle relève davantage du récit de synthèse d’études déjà parues pour les adultes avec un parti pris pas toujours explicité mais réel. Le Louise Michel, une femme libre de Lucile Chastre (Oskar, 2011, 160 p.) en offre un spécimen de haute réussite : l’autrice a construit sa biographie autour de l’épisode de l’exil carcéral en Nouvelle Calédonie de Louise Michel et y a rattaché des questions clés qui ont rythmé sa vie jusqu'à sa mort. Mais là encore, les biographies traitées par les collections documentaires font souvent exception. Celle de Léonard de Vinci par de Panafieu le prouve.
Resterait à savoir si la littérature de jeunesse a suivi l’évolution du genre qu’on rencontre dans le secteur adulte, avec le tournant de 1989 et l’investissement des historiens. La réponse à cette question n’est pas très simple. Bien sûr, il y a toujours eu dans le secteur jeunesse des récits hagiographiques, que nous pourrions qualifier de parascolaires avant la lettre ; on peut aussi remonter aux récits de la vie exemplaire d’enfant des XVII et XVIIIème siècles (2). Mais il semble bien que l’intérêt pour le genre soit relativement récent, avec une dizaine d’années d’écart par rapport au regain remarqué dans la littérature générale. Outre ce décalage, notons qu’il est plus que douteux que les auteurs de biographies pour la jeunesse cherchent à décrire un contexte social à partir d’un « individu historiquement expliqué », pour reprendre les mots de Jacques Le Goff (3). Le développement du genre y doit davantage à une culture individualiste que cherche à diffuser le secteur jeunesse soumis à l’idéologie dominante.
Geneste Philippe
(1) Voir Julie Clarini, « Biographie de al biographie », Le Monde, 25/10/2013._ Escarpit, Denise, « La littérature documentaire » dans La littérature de jeunesse. Itinéraires d’hier à aujourd’hui, Magnard, 2008, p.340_ (3) Cité par Julie Clarini op. cit.
*
Solet Bertrand, Jean Moulin, héros de la Résistance, édition Oskar, 2013, 98 pages
L’auteur nous plonge au cœur de la Seconde Guerre Mondiale comme dans un roman.
Grâce au dossier documentaire placé à la fin du livre, il est possible d’avoir une vue d’ensemble sur les événements de la guerre et d’éclaircir si besoin certains épisodes de l’histoire en relation avec la résistance menée par Jean Moulin.
De manière palpitante, le livre retrace les luttes que Jean Moulin a menées pour la liberté. Au printemps 1940, à peine un mois après la déclaration de guerre, le camp allemand est déjà aux portes de la ville de Chartres. C’est une guerre « éclair », faisant fuir la population sous les bombardements.
Jean Moulin, jeune préfet à Chartres, doit faire face à l’afflux de réfugiés, mettre en place une nouvelle organisation tenant compte des coupures de téléphone, d’électricité et d’eau. Son premier combat fut de refuser de signer un document accusant les tirailleurs sénégalais d’avoir massacré la population, alors que la cause réelle était les bombardements commis par les allemands. Non sans dommages (torturé), Jean Moulin obtient gain de cause, mais révoqué de ses fonctions, a l’interdiction de quitter la France. Il entend l’appel à la Résistance du Général de Gaulle, le 18 juin 1940, depuis Londres.
Commencent alors ses actions rusées pour échapper à la surveillance des Allemands : obtention d’un passeport, voyage en train jusqu'à Lisbonne, puis en hydravion jusqu'à Londres.
Lors de sa rencontre avec le Général de Gaulle, il obtient son soutien et des moyens pour mettre en place la résistance sur le territoire français. Une liaison radio est établie en permanence entre la France et Londres. Lâché en parachute en France, il mène ses actions, prenant des risques.
Parmi les résistants un traite dénonce Jean Moulin. Il est à nouveau torturé par la Gestapo, mais cette fois il ne s’en sort pas. Cette biographie-roman historique est émouvante. Elle rend vivante L’Histoire !
Laurence Ballanger-Drumea

Honaker Michel, Beethowen, la symphonie du destin, éditions Rageot, 2013, 190 pages, 6€90
C'est avec beaucoup de compassion que l'on découvre dès le début le quotidien assez difficile du jeune Ludwig. Maltraité par son père afin de devenir un musicien brillant qui hériterait de sa place de musicien à la cour, le jeune talentueux ne se doute pas que son talent le portera des années plus tard jusqu'à Vienne et que sa renommée atteindra celle des géants tel Haydn et Mozart. Le livre raconte la vie du compositeur qui a bousculé les habitudes musicales de l'époque en ouvrant les portes au romantisme, dans l'Europe occidentale tourmentée de la fin du dix-hutième siècle. C'est une biographie très agréable à lire, qui nous fait vivre de l'intérieur des moments de la vie privée du génie tout en donnant un aperçu de l'histoire qui était aussi à un moment charnière. L'on accompagne donc le maestro sur plusieurs décennies, en apprenant les genèses des grands chefs-d’œuvre et surtout la triste vengeance du destin: la perte progressive mais irréversible de son audition.
Mircea Drumea

De Panafieu Jean Baptiste, Léonard de Vinci, Rêves et inventions, illustrations de Ludivine Stock, Milan, 2012, 52 p. 12€
Quel bel ouvrage que celui-ci. De Panafieu et Stock proposent un parcours en image de l’œuvre de l’artiste et scientifique italien. Ils privilégient le travail scientifique, celui d’ingénieur et d’inventeur de Léonard de Vinci, ce qui fait l’originalité de ce volume et le rend indispensable parmi l’ensemble des ouvrages qui l’évoquent en éditions pour la jeunesse. Le texte est aisé à lire, à partir de 10 ans. Les auteurs font état des schémas, des croquis, des figures consignés dans des carnets et dossiers par le créateur. En même temps, ils s’intéressent au rapport qu’entretient Léonard de Vinci avec la langue (il n’écrit pas en latin contrairement aux intellectuels de son temps, mais en toscan), ils donnent des éclairages sociologiques et historiques pour situer les préoccupations du personnage dont ils font la biographie scientifique.

Baussier Sylvie, Léonard de Vinci. Illustrations de Olivier Nadel et Xavier Mussat, Nathan, collection Questions, réponses 8/10 ans, 2012, 32 p. 6€
Le texte est très simple, le dossier assez complet même si un peu convenu. Le prix attrayant permettra de faire découvrir un artiste et un ingénieur, dans le contexte historique où il se meut. On offrira cet ouvrage aux enfants plus jeunes, 8/10 ans.
La proximité des couvertures des deux ouvrages, celle de l’iconographie hors illustration bien sûr, rendent les deux livres chroniqués concurrents. Il y a certes l’âge visé qui diffère.

Honaker Michel, Mozart, une petite musique de vie, Rageot, 2013, 220 p. 6€90
On suit le musicien de sa naissance à sa mort en traversant son œuvre. Divisé en vingt-quatre chapitres, d’une moyenne de neuf pages, il permet une lecture aisée. L’écriture est simple, directe et le livre ne présente aucune difficulté. Mais c’est aussi un défaut car la vie est racontée trop superficiellement, sans parti pris de l’auteur ce qui nuit à l’intérêt culturel que peut porter une biographie. Ceci étant, c’est un ouvrage à recommander à toute bibliothèque et centre de documentation notamment pour les enfants dès 11 ans.

G. Ph.