Anachroniques

20/10/2013

Erudition, écoute et plaisir

OLLIVIER Stéphane, Elvis Presley, illustrations de Rémi Courgeon, raconté sur CD par Eric Caravaca, Gallimard Jeunesse, collection Découverte des musiciens, 2012, 24 p. + 1 CD 40 mn, 17€
Le livre est une biographie pour les enfants de 7 à10 ans. La naissance, le 8/01/1935) dans les faubourgs de Tupelo (Mississippi) dans une famille d’ouvrier agricole. La première guitare à 11 ans, l’emploi comme mécanicien, les premiers enregistrements. Puis la gloire avec That’s all right. Le livre s’arrête là. C’est une manière peu véridique de raconter l’histoire, au fond. De la spoliation du blues noir par les musiciens blancs dans une Amérique raciste, le jeune lectorat ne saura rien. Il retiendra seulement qu’Elvis a marié la musique noire et la musique blanche. Quant à son idolâtrie posthume, là encore, le biographe se tait. Le CD est intéressant, bien sûr, les liens du rock’n roll avec le blues est peu approfondi et celui avec le rock encore moins. C’est une nouvelle fois l’idéologie du génie qui se fait jour, ce qui est certes dans l’air du temps de notre société qui vante le « talent » autre nom du « don ». C’est dommage qu’un bel emballage éditorial renferme une si plate recherche dans les termes convenus de l’idéologie dominante.

GAMBINI C., GEHIN E., RICARD A., RODERER C., Mes plus belles musiques classiques pour les petits, Gallimard jeunesse, collection Les imagiers, 2012, 40 p. + CD 1h. 16€90
Chaque double page met en scène des enfants pour illustrer des tableaux musicaux. On y trouve, aussi, un portrait du compositeur et un court texte qui invite à l’écoute. Dix-sept extraits sont présents : Badinerie de la suite française de Bach, Symphonie pastorale 1er mouvement de Beethoven, Carmen (chœur d’enfant de la garde montante) de Bizet, danse hongroise n°5 de Brahms, Grande valse brillante (mi-bémol op.18) de Chopin, Golliwog’s cake-walk de Debussy, Dolly (berceuse) de Fauré, La marche des Trolls de Grieg, Tableaux d’une exposition (ballet des poussins) de Moussorgsky, Concerto pour piano n°23 et La flûte enchantée de Mozart, Pierre et le loup (ouverture) de Prokofiev, Le vol du bourdon de Rimsky-Korsakov, Duo des chats de Rossini, Ma mère l’Oye de Ravel, le carnaval des animaux de Saint Saëns, Casse-Noisette (Danse de la fée dragée) de Tchaïkovsky.

PROKOFIEV, Pierre et le loup, lus par Bernard Giraudeau, musique de Prokofiev interprétée par L’ORCHESTRE NATIONAL DE FRANCE, illustrations d’Olivier TALLEC Gallimard jeunesse, 2009, cd 30 minutes, 22€
C’est un hors série de la collection Musique de chez Gallimard jeunesse : un grand ouvrage aux illustrations malicieuses pour interpréter une œuvre patrimoniale et, au fond, au niveau littéraire, peu intéressante. Le soin de l’édition, le travail musical de l’orchestre national de France, la lecture chaleureuse de Girardeau posent l’ouvrage/cd comme une référence de la collection.

NORAC Carl, CHATELLARD Isabelle, PINON Dominique, Bazar Circus, Didier jeunesse, 2013, 48 p. + CD 40 mn, 23€80
Angelot l’homme canon qui est envoyé si loin qu’il ne revient, Gala, l’amoureuse d’Angelo qui part à sa recherche, El Toutou, le chien savant, et tous les acrobates, dompteurs et animaux, clowns, lancés dans une folle aventure, par une improbable représentation… La musique réunie par David Pastor est surtout de tradition russe : Vocalise de Rachmaninov, la danse d’Aysheh de Khatchatourian, Suite pour orchestre de variétés de Chostakovitch convoquent une Russie du peuple, imitent les tempéraments fougueux des acteurs et actrices, ou leur immense sentiment de solitude. C’est à la fois très intime et très politique. Mais on trouve aussi des rythmes brésiliens et Le jazzy bœuf sur le toit de Darius Milhaud. Cette porosité des styles (jazz, musique populaire, classique) chante la vie circassienne en marge de la société. Lue avec force gouaille par Dominique Pinon, l’histoire emballe l’attention des enfants de 4 à 11 ans. L’album est avec des angles de vue imprenables, des couleurs chatoyantes, par-dessus un dessin assez anguleux. Un petit chef d’œuvre qui donne de la joie.

BLOCH Muriel, La Musique indienne, musique d’Indrajit BANERJEE, illustrations d’Allegra AGLIRDI, Gallimard, collection mes premières découvertes de la musique, 2010 32p. + CD 20’, 13€50
Il s’agit de la mise en musique d’un conte traditionnel indien sur un enfant paresseux qui tente de fuir le courroux de sa mère. Sitar, flûte, harmonium, sarenghi, tampura et tabla mais aussi voix envoûtantes, font de cette création une vraie réussite.

DAMBURY Gerty, La Musique créole, musique d’Edmond MONDESIR, illustrations d’Aurélia FRONTI, Gallimard, collection A la découverte de la musique du monde, 2013 32p. + CD 25’, 14€90
On pourrait mettre en comparaison cet ouvrage avec La Petite Sirène, puisque le conte mis en musique a pour personnage principal, un lamantin. Mais il s’agit d’un conte plus naturaliste, un voyage d’apprentissage d’un jeune Lamentin qui décide de retrouver le territoire perdu dont les récits de la grand-mère vantent les bienfaits de vie. Ses rencontres, autres animaux, végétaux, bateaux, vont apporter danger ou bien aide et il lui faudra acquérir un peu de responsabilité pour transformer sa hardiesse voyageuse en vie nouvelle. La mise en musique suit le tempo narratif avec chœurs, chant, tambour bélé, tibwa, conque de lambi, guitare basse, guitare acoustique.
Soulignons qu’à l’intérêt audio s’ajoute le soin de l’illustration merveilleusement chaleureuse ou glacée, la présence d’un documentaire en fin de volume.


Geneste Philippe

12/10/2013

L’évolutionnisme contre le créationnisme

FOIX Alain, Rocky le petit rocher, illustré par NIKOL, Gallimard jeunesse – Giboulées, 2013, 40 p. 16€50

Cet album au grand format (230x230) se lit à deux niveaux. Le premier est la vie d’un petit rocher, dans le temps géologique et à travers une perception assez anthropomorphe. A 7 millions d’années, Rocky est encore assez jeune, c’est un bébé accroché au plissement de sa mère montagne. Quelle solitude que l’immobilité ! Il aimerait tant se lier à Erose, cette roche scintillante et rose qui glisse sur le glacier le côtoie, le dépasse puis disparaît dans l’éloignement. C’est que dans l’univers géologique, les roches suivent leur vie en passivité. Elles attendent les tremblements de terre qui accouchent de nouvelles configurations, font se mêler les roches et s’épouser, se fracasser les unes contre les autres ou bien s’interpénétrer. C’est ce qui arrivera quand une secousse de délivrance libérera Rocky des jupes de sa mère. Est-ce métaphore d’un acte sexuel ? De la répétition du bigbang ? C’est la vie des roches. Rocky et Erose s’éparpilleront en milles cailloux, roches et graviers. Un conte de fée s’arrêterait là, le fameux et ils eurent beaucoup d’enfants. Mais la vie d’un rocher n’est pas un conte de fée, elle n’a pas de fin. Cailloux puis galets, graviers, gravillons, grains de sable Erose et Rocky s’unissent par leurs atomes en un unique grain que le vent d’éternelle jeunesse emporte un jour jusque dans les nuages. Et quand ceux-ci éclatent en sanglots au-dessus de la mère montagne, le grain se glisse dans une goutte « jusqu’au bas de sa robe, là où les fleurs s’épanouissent en pétales multicolores »… C’est le cycle des montagnes sur l’infini du temps géologique, c’est un conte sur la création matérielle de l’univers, c’est un conte tendre qui n’omet rien de la vie physique de l’environnement du vivant.
Geneste Philippe

06/10/2013

Imagier et raison imaginante de l’enfant

L’Imagier Deyrolle, Gallimard jeunesse, 2013, 200 p. 10€


Ce très bel ouvrage, remarquablement édité avec une reliure en toile, rassemble des fruits, des légumes, des arbres, des fleurs, des animaux. Les images proviennent des planches pédagogiques Deyrolle. « Deyrolle éditait ces planches pour les écoles, collèges et lycées, et elles étaient affichées dans les murs de classes » que l’on peut encore voir dans la boutique rue du Bac. C’est dans la deuxième moitié du XIXe siècle que la Maison fondée en 1831 par Jean-Baptiste Deyrolle, spécialisée dans le domaine de la taxidermie, de la naturalisation, de la botanique, de la zoologie, des curiosités, de l’entomologie et de la minéralogie, a commencé à produire des planches à destination des salles de classe et des écoles, planches murales pour les leçons de chose, sous le titre générique de musée scolaire Deyrolle. « L’Éducation par les yeux est celle qui fatigue le moins l’intelligence, mais cette éducation ne peut avoir de bons résultats que si les idées qui se gravent dans l’esprit de l’enfant sont d’une rigoureuse exactitude » énonce un catalogue des années 1870.

La Maison bénéficie de l’engouement du siècle pour les sciences naturelles alors en pleine expansion, puis du développement de l’instruction publique d’Etat.

En 2001 l’entreprise un peu en sommeil est rachetée et les nouveaux propriétaires relancent ce cabinet des curiosités et développe le secteur pédagogique. Les éditions Gallimard travaille depuis 2012 avec Deyrolle pour la publication d’imagiers.

Un tel ouvrage fait venir à l’esprit deux remarques. La première, c’est que la démarche vintage est en expansion dans le secteur jeunesse, ce qui est, probablement, le signe d’une maturité de la littérature de jeunesse. Cette évolution explicite la multiplication des références convoquées par les ouvrages de ce secteur qui posent des questions d’accès social, mais c’est un autre sujet.

La seconde remarque, c’est l’interprétation de la vulgarisation scientifique. Nul doute que les livres édités en partenariat avec Deyrolle recouvrent ce domaine. Le jeune lectorat aime se promener au cœur de ces planches précises et fouillées. Un imagier étant, par excellence, un livre des représentations, L’Imagier Deyrolle vient se situer en décalage des autres imagiers plutôt qu’en concurrence. Même si un imagier n’explique pas, il montre, et ce qu’il montre aide l’enfant à s’approcher du réel ou non. Peut-être est-ce là l’enjeu de la vulgarisation scientifique auprès des enfants des 4/5 ans. Mais il faut souligner que l’enfant qui lit un imagier, se se reporte à la légende de l’image. Toutefois, l’image elle-même l’amène à se délecter de liaisons insoupçonnées et insoupçonnables, un peu comme opère la poésie avec son lecteur. L’imagier Deyrolle n’échappe aps à cette rêverie inhérente au processus réel de la représentation. L’image représente, croit-on, la réalité visible, mais surtout, peut-être, l’enfant y développe-t-il une représentation allusive en laissant libre cours à son imagination. Walter Benjamin écrivait très justement : « Le livre d’images typique que l’on utilisait ou que l’on utilise encore pour les leçons de choses dans les écoles allemandes, offre un bon exemple. On croit que ces livres sont utiles, soit parce qu’ils apprennent à l’enfant à reconnaître dans les choses représentées les choses réelles, soit parce que les choses représentées permettraient d’introduire celui-ci dans le monde des choses réelles et de le familiariser avec elles. Nul besoin de dire combien cette dernière explication est vaine et fausse… [car l’enfant] habite dans ces images. Leur surface n’est pas, comme celle des œuvres d’art, un noli me tangere, elle ne l’est ni en soi ni pour l’enfant. Elle ne possède que des virtualités allusives, susceptibles d’une condensation infinie. L’enfant y insuffle de la poésie. Et c’est ainsi que lui vient selon le second sens, matériel, du verbe beschreiben sa prédilection à couvrir ces images d’écriture » (1)

Geneste Philippe

Source des informations : les éditions Gallimard et la librairie Deyrolle
(1) Walter Benjamin, Fragments philosophiques, p.144/145 cité par Georges Didi-Huberman, Quand les images prennent position. L’œil de l’histoire 1, Paris, Minuit, 2011, 268 p. – p.254).