Anachroniques

28/09/2013

Contes roumains

Entretien avec Mariana Cojan Negulesco*

* à propos de NEGULESCO Mariana Cojan, Belle de lune et autres contes tirés de la tradition roumaine, L’Harmattan, collection La légende des mondes, 2013, 113 p. 12€

-Vous avez choisi des contes qui mettent en scène des personnages d’orphelin. Pourquoi ce choix ?
Mariana Cojan Negulesco : Lorsque j’ai proposé ces contes à un éditeur, je n’ai pas du tout songé à mettre en scène des enfants orphelins. Mon idée centrale était de parler du désir d’un couple d’avoir des enfants, et ce, à tout prix. Comme le recueil s’adressait en égale mesure aux enfants qu’aux parents, l’éditeur a choisi, pour sa première parution, un titre plus proche des enfants que des parents (Contes des enfants qui cherchent le bonheur, Albin Michel jeunesse - 2006 ; traduit en Italie : A la Ricerca della Felicità, ed. EL, Trieste 2007). Lorsque j’ai pu récupérer les droits, après sa sortie du catalogue d’A.M.-j, j’ai proposé ce recueil revisité à l’Harmattan, sous l’intitulé de l’une des histoires : Belle-de-Lune.
-Pourquoi ce choix thématique ?
Mariana Cojan Negulesco :  Parce que j’ai trouvé ce dénominateur commun dans bien des histoires de la tradition roumaine et de la région des Balkans : un couple n’ayant pas d’enfant, qui en désire ardemment d’en avoir un, et qui « adopte », pour assouvir ce désir, soit un enfant, soit un objet ou un animal, lequel se métamorphose… Ce que j’ai souhaité notamment démontrer, c’était l’issue de cette démarche généreuse qui n’est pas toujours couronnée de réussite. Comme dans la vie réelle.
Ce que je veux dire par là, c’est qu’à aucun moment, je n’ai envisagé d’associer mes histoires à la situation des orphelinats de Roumanie, dont la presse a fait ses choux gras à une époque récente !
-La littérature pour enfant qui évoque la Roumanie emprunte souvent ce thème. N’y a-t-il pas un risque de figer l’image du folklore roumain et de la littérature populaire roumaine, avec les conséquences ?
Mariana Cojan Negulesco : La littérature pour enfants en Roumanie commence en ce moment à se détacher de la tradition des contes d’autrefois. Quand je dis « autrefois » je fais allusion à la tradition du 19e siècle. Tous les enfants roumains connaissent par cœur des passages entiers de contes recueillis, inventés parfois, de Ion Creanga, dont on a préservé jusqu’aux traits de langage typiques de la région de Moldavie. La langue des contes de Creanga n’est pas « mise à jour » dans les éditions roumaines. Mais il ne faut pas croire que le folklore roumain se limite à ce type de contes. J’insiste : c’est le motif répétitif, retrouvé dans certaines histoires mettant en scène des parents n’ayant pas d’enfant et souhaitant en adopter un, qui m’a déterminé à concevoir un recueil autour de ce thème.
-Vous donnez trois auteurs qui vous ont plus particulièrement accompagnée durant votre travail : Ion Creanga (1839-1889), Ioan Slavici (1848-1925), Barbu Stefanescu Delavrancea (1858-1918). Comment leurs œuvres ont été intégrées dans votre travail d’écriture ?
Mariana Cojan Negulesco : Les contes que j’ai transposés en français ne représentent qu’en partie des adaptations à partir d’histoires écrites par les auteurs cités. En éliminant les régionalismes, les archaïsmes, dans la forme, et en réinventant certains faits, gestes et propos, voire en changeant le fil conducteur de l’histoire, je me suis permis de donner à ces histoires une nouvelle vie, plus moderne, les rendant accessibles et agréables au lecteur d’aujourd’hui.
C’est la raison pour laquelle j’ai assumé leur réécriture, en signant le recueil.
Entretien réalisé par Philippe Geneste

Bibliographie : • Adaptations pour enfants : Contes des Carpates (recueil bilingue), collection « Légende des mondes », Paris, l’Harmattan, 1996. - Histoire du Chardonneret, « Bouton d’or », Éd. Fleurus-Edifa, Paris, n°93 de mars 2000 ; (bilingue) Collection « Quatre Vents » Paris, l’Harmattan, 2002. Réédition + CDrom « Bouton d’or », Éd. Fleurus-Edifa, Paris, 2003. - La Jeune fille plus sage que le juge (album), Collection « Contes d’hier et d’aujourd’hui », Paris, Albin Michel Jeunesse, 1997. Réédition en recueil : Mon année de sagesse, Paris, Albin Michel Jeunesse, 2004. - Le Méchant Zméou (recueil), Collection « Légendes des mondes », Paris, l’Harmattan, 2001. - La Petite bourse aux pièces d’or (recueil bilingue), collection « Légende des mondes », Paris, l’Harmattan, 2003. - La Revanche du pain (recueil bilingue), collection « Légende des mondes », Paris, l’Harmattan, 2004. - Un Amour bon comme le sel, Collection « Contes de sagesse », Paris, Albin Michel Jeunesse, 1998. Réédition en recueil : Mon année de sagesse, Paris, Albin Michel Jeunesse, 2004. - Contes des enfants qui cherchent le bonheur (recueil). Paris, Albin Michel-Jeunesse, 2006. Traduit en Italie : Alla ricerca della Felicità, ed. EL, Italie 2008.
• Roman ado-adultes : Au temps de Dracula, Paris, l’Harmattan Jeunesse, 2000.

22/09/2013

Louise Michel, une vie de femme en luttes

CHASTRE Lucile, Louise Michel, une femme libre, Oskar éditeur, 2011, 160 p.
« Parce que la guerre pour la liberté et l’égalité
est une histoire de l’humanité
sans cesse renouvelée ».

Le choix de l’auteure est de commencer par l’épisode de la Commune (1871) de Paris. Engagée, Louise Michel (1830-1904), est non seulement insurgée sur les barricades, dans les rangs du soixante et unième bataillon de marche de Montmartre mais aussi écrivaine, institutrice, féministe. A propos de Béatrix Excoffon (1849- ?), insurgée comme elle, elle déclare vouloir écrire sur elle pour : « révéler le courage et la grandeur des femmes. Pour qu’on cesse de nous traiter en sous-genre de l’humanité. Pour qu’on nous reconnaisse le droit de participer aux affaires publiques, puisqu’on a gagné le droit de mourir pour des idées ». La biographie de Lucile Chastre pourrait avoir cette phrase en exergue. Puis vient le procès de louise Michel et c’est le moment pour l’auteure de parcourir sa vie jusqu’à cette date du 16 décembre 1871 où elle est condamnée à la déportation en Nouvelle Calédonie, dans une enceinte fortifiée.
Commence alors un récit chronologique de la vie de Louise Michel. On la suit durant le voyage du bateau la Virgine (10 août - 8 décembre 1873) où les prisonniers sont mis en cage. On découvre le quotidien sur la presqu’île de Ducos, à Numbo avec sa codétenue Nathalie Lemel (1826-1821), pour finir à Nouméa. On voit comment elle se lie avec les kanaks, recueille leurs contes et chansons, sans magnifier leurs coutumes qui laisse les femmes dans une position de seconde zone ; comment elle organise l’éducation chez les banniEs et sur l’île ; comment elle s’oppose aux communards prêts à suivre l’armée pour écraser la rébellion du peuple de l’île mené par Ataï en juin 1878. On suit le parallèle qui est fait entre cette révolte et celle des kabyles grâce à la présence parmi les proscrits du berger Cherchel. Il a pris part à la révolte de son peuple lancée le 16 mars 1871, contre la puissance coloniale française qui s’accaparait les terres de ce territoire d’Algérie. Louise Michel enseigne que les camarades de misère doivent s’unir contre la barbarie de l’ordre de la civilisation bourgeoise.
Puis c’est le retour en France après avoir refusé une remise de peine qui n’était pas généralisée à tous et toutes. On est le 9 novembre 1880. Celle qui « était trop grande, trop laide, trop folle, trop masculine, trop savante, trop sensible, trop enragée, trop violente… » se lance alors dans une série de conférences en soutient aux grèves, aux luttes des chômeurEs, pour ouvrir les yeux des exploitéEs « expliquer les mécanismes de l’injustice sociale, faire entendre qu’un monde meilleur et plus juste peut être construit ». On assiste à l’attentat dont elle est victime par Lucas et à la manière dont elle sauve de dernier de la prison. Enfin, c’est l’exil en Angleterre de 1890 à 1904, entrecoupé de voyages pour des conférences en Algérie et en Europe. Elle revient en France en 1904 et meurt le 9 janvier 1905 à Marseille des suites d’une pneumonie.

Dès les premières lignes on comprend que cette biographie est aussi un roman. Dans cette indécision du genre, nous décelons le désir d’écrire un récit de vie à visée didactique. Mais ici, le didactisme n’est pas simplificateur. L’ouvrage est précis, rassemblant les épisodes de la vie de Louise Michel, nouée autour de son affection pour sa mère, servante chez des riches. Louise Michel est justement née de l’union de sa mère avec le fils de cette famille. Si les parents ont offert une éducation à cette enfant, le fils, lui, ne l’a jamais reconnue : « Et tu voudrais que je respecte une société qui ne traite aps à égalité les servantes e les bourgeois ? ».
A travers son itinéraire, on croise des figures marquantes comme celle de Théophile Ferré (1846-1871) qu’elle a rencontré alors qu’institutrice dans une école professionnelle de jeune fille, elle suivait des cours du soir dé républicains radicaux où il intervenait. On suit sa passion littéraire pour Victor Hugo à qui elle écrit dès l’âge de 14 ans et qui rend un hommage poétique au lendemain de son procès avec Viro Major. On croise Mathilde Verlaine et on peut lire dans le dossier qui clôt l’ouvrage de Chastre, la Ballade en l’honneur de Louise Michel inclus par Verlaine dans son recueil Amour (1886). On assiste à l’évasion de Rochefort, un communard aristocratique et trois autres compagnons, Grousset, Pain et Jourde.
Cette biographie est un modèle du genre.
Geneste Philippe

14/09/2013

Du sens et de son support sémiologique

Mc CAIN Murray, Livres, illustré par ALCORN John, Autrement jeunesse, collection Vintage, 2013, 11€50
La collection Vintage réédite des livres du patrimoine mondial de la littérature jeunesse. Livres est écrit par un auteur américain des années 1960 et illustré par Alcorn (1935/1992) un graphiste, affichiste renommé qui a travaillé pour la presse, la publicité, le cinéma et le secteur éditorial de la jeunesse.
Qu’est-ce qu’un livre ? Un objet avec un intérieur qui sera à décrire et un extérieur qui impose la matérialité du livre. La typographie, la mise en page, les illustrations humoristiques du dessin de presse mettent tout cela en valeur. La ponctuation est traitée, un peu comme dans un guide pour journaliste. Le circuit du livre est lui-même présent.
Le lecteur entre ainsi, par la matérialité dans l’univers du langage, avec un certain délice. « Qu’est-ce qu’un livre ? – Ca c’est un livre ».

DAVID François, L’Homme, Motus, 2013, 28 p. 12€50
Cet ouvrage au format singulier (42 cmx12cm) qui épouse le propos poétique de l’auteur, est un ouvrage d’anthropologie à l’adresse des enfants, petits, petits, petits. L’homme est un animal qui parle un langage articulé. Telle est la thèse défendue avec humour par le texte et le format, par la typographie et la couleur, par la taille de la police et la mise en page. Alors le livre album parle du moi mais aussi, inévitablement, du toi, donc, du soi, c’est-à-dire de l’humain, de l’homme en général, cet homme qui grandit mais qui ne doit jamais oublier qu’il fut petit, petit, petit relié aux autres par la voix forte, forte, forte ou bien ténue, ténue, ténue. Et que dit la voix ? Elle dit que l’homme qui parle, chuchote, écoute, est un homme qui vit, qui existe, qui est là, ici, maintenant, dans ce présent du dialogue. Oui, n’en déplaise à l’auteur, un grand livre ! Mais cela ne lui déplaira pas car le format porte déjà du sens qui n’existerait aps sans la matérialité qui le porte.
Geneste Philippe

08/09/2013

Le livre aux mille univers

MCDONALD Ian, EvernessT 1 .L’odyssée des monde, traduit de l’anglais par Jean Esch, Gallimard Jeunesse, 2013, 336 p. 17€90
Le brillant physicien Tejendra Singh vient d’être enlevé alors qu’il venait de former la carte de la Panoplie, où sont inscrits tous les plans, tous les univers parallèles. Seul son fils, Everett à qui il a confié le plan a les capacités nécessaires pour changer d’univers et le retrouver.
Celui-ci se lance alors dans une longue quête qui le mènera dans E2 (le deuxième univers) où il rencontrera Sen, une « airish » (groupe de personne vivant dans d’immenses dirigeables), sa mère la capitaine de leur vaisseau l’Everness et leur équipage composé de deux sympathiques personnages ; Mcynlyth et Sharkey.
Accepté sur le dirigeable, il vit d’incroyables aventures avec ses nouveaux amis pour finalement finir en milieu inconnu le jour de Noël. Qu’à cela ne tienne les cinq camarades décident de partager le repas ensemble avant de repartir à la recherche du père du garçon maintenant dans un endroit inconnu dans l’immensité de la Panoplie.
Hmmmm quel bon livre ! L’auteur nous fait découvrir un univers retrofuturiste ou steampunk à souhait où chacun y trouve finalement son compte, que ce soit dans le domaine de la physique, de l’imagination ou à travers l’amitié. On reconnait bien là la plume experte de McDonald même lors de son premier roman jeunesse. Elle est corrosive, dénonçant les comportements sociaux, comme l’avidité et l’abus de pouvoir et même un peu la discrimination envers les gens différents.
Je dois avouer que la fin du livre est troublante car on ne sait pas s’il y aura une suite ou non et avant de savoir que c’était une trilogie je ne savais pas si j’avais apprécié ou non à cause de la fin. Mais sachant que c’est une trilogie, je suis maintenant sûre que c’est un chef d’œuvre de littérature jeunesse.
Aurélie Arnaud