Anachroniques

21/04/2013

D'âge en âge

1 - 2 ans
Jousselme Catherine, Meuh-Meuh ! Illustrations de Fiona Land, Nathan, collection Petit Nathan, 2012, 12 p. 13€90         1 à 2 ans
C’est un livre où chaque animal est représenté par un dessin avec des aplats de couleur, un trait clair stylisé, et des parties du corps ou des objets (du contexte dans lequel il est représenté) recouvertes de matières variées (tissu, plastique etc.) L’âne, le chat, la vache, le cochon, la poule, le mouton, le cheval, chacun accompagné par son cri, on les découvre en tournant les pages ou bien en saisissant els onglets. Le livre est intéressant entre 1 an et deux ans.
Pour les petits
Hureau Simon, Ronde de nuit, Didier jeunesse, 2013, 40 p. 13€10
Le livre commence quand la journée finit. C’est la nuit.
Le texte suggère au lecteur un moyen de rechercher l’ombre qui, à chaque nouvelle page, représente l’événement énoncé par le texte. L’ouvrage égrène les heures et les activités nocturnes, animales ou humaines. Les travailleurEs de la nuit sont bien présents et présentes, fait à souligner car assez rare en littérature de jeunesse. Le format à l’italienne  livre ainsi un carnet d’heures jusqu’au petit matin…

Album
Sandre Anna de, Iris et l’escalier, illustrations de Chiaki Miyamoto, Gallimard jeunesse – Giboulées, 2012, 32 p. 13€50
En haut de l’escalier, pour le petit enfant, tout petit, mais déjà en marche vers la vie, en haut de l’escalier se trouve la chambre. On y dort, on y rêve. Mais l’escalier ne monte jamais jusqu’au ciel. Dans le pays des nuages, l’enfant voudrait aller, et il connaît le chemin d’Alice, mais un univers renversé où on ne part pas au creux de la terre, mais au creux des nuages.

Fischman Patrick, Les deux vieux et l’arbre de vie, illustrations de Martine Bourre, Didier jeunesse, 2013, 36 p. 12€50
A une époque où la figure des grands-parents est de plus en plus présente, cet ouvrage la met en scène avec poésie et beaucoup d’idéalisme. Peu importe l’histoire où certains verront les vieux monter au paradis et où d’autres, dont nous sommes y verrons une allégorie de l’accueil par les générations précédentes des enfants qui viennent. Le grandissement du petit d’homme est délivré par l’image d’un arbre qui pousse à même la cuisine de la maisonnette des deux vieux. L’illustration toute en retenue, dessins et couleurs incertainement posée sur les formes, livrent l’à peu près de la vie humaine. L’arbre grandit et les vieux grimpent, suivent sa croissance, jusqu’à être dépassée par lui. Arrive, alors la fin du livre qui n’impose aucune

Pour les 4/7 ans
Brière-Haquet, Alice, Le Chat d’Elsa, illustrations de Magalie Le Huche, Père Castor-Flammarion, 2011, 32 p. 10€                                          dès 5 ans
Elsa est une petite fille : Le rose est la couleur dominante de l’album…. Nous voilà dans la stéréotypie. Elsa est fille unique et elle se crée un monde avec un chat imaginaire qui est le compagnon idéal des fantaisies et bêtises. Mais ses parents ne croient pas à son existence, car on ne le voit pas, évidemment. La représentation, ce n’est pas qu’une image du réel, c’est aussi ce qui tient lieu de quelque chose pour l’humain. Nous sommes dans cette interprétation là et ça c’est intéressant car l’album explicite ce rapport de réflexion auprès de l’enfant. Il y a une sorte de dédoublement du monde (voir l’avant dernière double page de l’album). A 5/6 ans, le rêve participe du réel, l’activité de l’imaginaire enfantin est assimilé aux événements qui en résultent : le chat imaginaire existe à travers les bêtises qu’Elsa lui impute. L’album explore ce réalisme, sans systématisme mais avec une réelle écoute de la pensée enfantine. 

Pour les 7/9 ans
Biondi Ghislaine, Les Chats de Mia, illustrations de Peggy Nille, Oskar éditeur, collection premières lectures, 2013, 24 p. (non indiqué, autour de 7€)
Petit chef d’œuvre d’écriture, petit chef d’œuvre d’illustrations, ce bref volume numéro 34 de la collection, n’a rien de didactique, rien de parascolaire non plus. C’est une vraie histoire, tendre illustrée à la manière de Chagall avec de nombreux lavis et transparences dans les peintures qui assument l’onirisme de la fiction. Prévert n’est pas loin puisqu’il suffit de dessiner un chat sur al buée de la vitre pour que le chat existe. Mais contrairement à Prévert, il est dit que ce chat vivra dans l’imaginaire et qu’il survivra réellement dans la mémoire de sa créatrice, Mia est un rêve de petite fille, le rêve d’un chat mais aussi celui des couleurs, mais encore celui d’un monde neuf que les représentations enfantines viendraient animer de leur dynamisme. Oui, un petit chef d’œuvre.

Romans 9/12 ans

Place François, Le Secret d’Orbae, Casterman, 2013, 432p. 13€95
L’ouvrage rassemble les deux romans parus en 2011 sous le titre générique Le secret d’Orbae. Ils content deux histoires parallèles qui se joignent par leurs dénouements : Le Voyage de Ziyara et Le Voyage de Cornélius. Les deux récits content l’exploration du monde d’Orbae. Cornélius est à la recherche d’un tissu plus fluide que la soie qui prend al couleur du temps. Durant son périple il se fera cartographe, métier essentiel dans l’œuvre de François Place, et rencontrera, dans une île, Ziyara. Celle-ci est une contrebandière des mers et de la route des épices. Les deux routes se croisent, donc. Chaque personnage est en quête de l’humain, en quête d’un autre que soi en quelque sorte, qui en vagabondant sur les mers du Sud, qui, en errant sur les terres du nord. Et au fond, ces deux ouvrages sont l’histoire d’une rencontre. L’héroïne et le héros se trouvent dans une espace de bifurcation puisque né de la contrariété de leurs parcours initiaux. Dans ce lieu au milieu d’un univers mythique, comme aime à les installer Place, sur une île incongrument là, une inimaginable rencontre a lieu sans prédestination ni fatalité de mouvement. La rencontre sera heureuse car d’amour dans le sens où il s’assimile aux rêves qui « appartiennent à eux qui bataillent pour les faire exister »(1). Extra-ordinaire, la rencontre de Cornélius et Ziyara mue les deux récits en espace de passage dans le non-ordinaire de la vie. Comme l’écrit une auteure pour la jeunesse dans un bel album, leur rencontre est « le rendez-vous secret de deux hasards » (2).
Comme toujours chez François Place, l’exploration, la géographie, le mythe sont récurrents, en même temps qu’une certaine innocence du regard qui plonge vers les profondeurs des désirs humains d’une harmonie universelle des hommes entre eux et des humains et de la nature qui les englobe. François Place pourrait faire sienne cette phrase de Lautréamont : « Allez-y voir vous-même si vous ne voulez pas me croire ».

Philippe Geneste
(1) Martine Laval « François  Place, un conteur enlumineur » Dossier de presse de Le secret d’Orbae, Casterman 2011 non paginé
(2) Hoestlandt, Jo, A Pas de louve, illustrations Marc, Daniau, Milan, 2001.

ROUX Christian, Les maisons aux paupières crevées, illustrations d'Olivier Balez, Syros, collection Souris noire, 2012, 122 pages, 6€. 11 ans et plus

Ce livre est assez explicatif, tant au niveau des discriminations raciales dont sont victimes plusieurs des personnages qu'au niveau des sentiments éprouvés par une adolescente de treize ans qui a encore du mal à passer de l'enfance à l'âge adulte.
L'auteur évoque à plusieurs reprises le sujet de « ces gens-là », faisant assez rapidement comprendre au lecteur que les discriminations sont partout, dans les rues, dans les maisons qui ont « les paupières crevées » et dans les mystérieuses disparitions auxquelles doit faire face l'héroïne.
C'est un ouvrage qui, loin d'être un simple livre, est également un outil de réflexion. Il ouvre le questionnement sur les comportements diffus de discriminations raciales. le côté « naïf » conféré à la narratrice sied parfaitement à la tranche d’âge des 10/12 ans à laquelle est destinée la collection.
Rose

14/04/2013

L’enfance abandonnable

Kavian Eva, Ma Mère à l’ouest, Mijade, 2012, 143 p. 7€
Le secteur jeunesse recèle des pépites insoupçonnées. Ma Mère à l’ouest en est une : « Je ne suis pas au “printemps de ma vie” parce que ma vie n’est pas une suite de saisons mais une série de tranches coupées net ». Ainsi débute le roman, celui d’une héroïne « abandonnable » et qui ne tente pas de retenir ce qui l’abandonne : « Je n’ai pas appris à garder ceux que j’aime ».
La lecture est lancée, avec deux récits qui se croisent. L’un, prenant naissance les 12 et 13 août 1961 quand commence la construction du mur de Berlin : la nouveau-née Betty sans patronyme ni matronyme est déposée à l’entrée de l’hôpital Saint-Jean. L’autre débute dans la nuit des 9 et 10 novembre 1989 quand des milliers de Berlinois commencent la destruction du même mur : à 28 ans, Betty sans nom élevée dans un orphelinat, refusée par toutes les familles philanthropes à cause de son état mental et de son physique, donne naissance à une petite fille qu’elle va appeler Samantha. Et c’est à travers la vision du monde de Samantha puis par sa plume que nous avançons dans l’histoire.
L’univers dans lequel nous plongeons est celui de l’enfance assistée. Les travailleuses sociales dévoilent leur travail entre enquête, rigidité des placements selon les dogmes psychologiques en vigueur dans leur institution. Les familles d’accueil sont décrites sans fard : des couples en mal d’enfants aux couples qui s’ennuient, et qui s’occupent d’une enfant contre rémunération avec toute la distance nécessaire à ce qu’ils ne soient pas « le leur ». C’est que dans nos sociétés, le principe de la propriété est partout et que c’est ce subterfuge qui a été trouvé pour le rendre compatible avec celui de la famille bourgeoise.
Qui sont ces enfants ou mieux, que sont-ils pour le regard social ? La réponse retentit, cinglante : « Nous étions des épaves échouées sur la même plage, des détritus abandonnés sur le même trottoir de la honte, on avait recyclé nos enfances et d’autres mains que les nôtres avaient écrit nos histoires ». Toute la violence des enfances perdues est dans ces mots, comme y est l’espoir mis dans la littérature pour la réappropriation de soi par l’écriture. L’être humain est une histoire et les êtres sans histoire, ça n’existe que dans le fantasme hygiéniste et sécuritaire des bureaucraties dominantes et des pouvoirs qu’elles servent.
Bien d’autres commentaires irriguent la lecture de ce chef d’œuvre d’Eva Kavian. Trois filiations maternelles sont décrites, toutes les trois en univers de déviance sociale : celle de Betty ou l’absence comme trace maternelle ; celle de Samantha, ou la présence aimante d’une mère à qui, parce qu’on la considérera incapable d’élever sa fille, on arrachera son enfant. Après cette maternité aimante, Samantha va éprouver la succession des artefacts de maternité substitutives ou maternités de placement. Enfin, le 27 avril 2007, Samantha donnera naissance sous péridurale, à Galina avec pour nom de famille Betty : Galina Betty sera son nom. La vie comme la conquête du nom à soi ?
Le nom de Betty rend surtout hommage à la mère « naturelle » de Samantha, qui lutta contre son handicap afin d’offrir un foyer serein à sa fille, mettant en place un système de garde-fou, fait d’horaires précis régissant leurs vies. Et si Samantha feint un retard scolaire, pour ne pas blesser sa mère, elle bénéficie de la fantaisie créative de Betty qui, notamment, invente pour son enfant, à travers une collection de Play Mobil patiemment constituée au cours des fêtes et anniversaires, une vie rejouée, chaque jour recommencée.
Leur séparation, sur la base de la norme familiale bourgeoise, est décidée avec brutalité par les services sociaux. Agée de sept ans, Samantha arrachée du foyer de Betty, ira de famille d’accueil en famille d’accueil, où après avoir été adulée, elle sera rejetée, soit à cause de la naissance d’un enfant, soit à cause de l’infidélité du mari, soit par la présence d’un pédophile chez l’une d’elle. Dans ces ruptures imposées toute humanité est bafouée. Elles reflètent la société de consommation, cette société « Kleenex » qui rejette sans état d’âme le plus sensible, le plus démunie, le plus faible, au profit du bien pensant, du bien pourvu, du bien né.
Annie Mas & Philippe Geneste

07/04/2013

Les séries pour les tout petits

Même la littérature destinée aux tout petits a ses séries. Une série est une suite d’albums ou livres autonomes les uns des autres mais partageant un même personnage clé. Et ça marche plutôt bien, parce que la série permet à l’enfant de se retrouver dans les livres nouveaux. La série facilite l’accès à la lecture, une fois les deux premiers volumes passés. La série, c’est le plaisir de la reconnaissance. Pour l’éditeur, la série permet de fidéliser son lectorat. Nous en présentons, ci-après, quelques unes.

Bisinski Pierrick, Igor et Olaf, la remorque, Gallimard jeunesse / Giboulées, 2012, 32 p. 7€ ; Bisinski Pierrick, Igor et Olaf, le concours de brochettes, Gallimard jeunesse / Giboulées, 2012, 32 p. 7€ ;
Voici des enfants d’ogres gentils, qui vivent en ville, se promènent à la campagne, côtoient des vigiles. Les historiettes parlent de vol, à chaque fois et du rétablissement de la vérité sans passage par un jugement institutionnel. Les illustrations sont simples, les couleurs en aplats, les personnages sont dessinés comme dans les bandes dessinées comiques pour enfants, un petit côté surréaliste en plus.

Krings Antoon, La Valise des drôles de petites bêtes, Gallimard, collection Giboulées, 2011, 32 p. 18€
Cette petite valise (140x160x60) rassemble six aventures des petites bêtes de Krings (Marot l’escargot, Patouch la mouche, Loulou le pou, Antonin le poussin, Marion et Simon les chatons, Edouard le loir) et un jeu de devinettes sous forme d’éventail. Les ouvrages valent, on le sait par la qualité graphique et les couleurs de Krings, pas par les récits qui les accompagne. Cette collection des Petites bêtes créée en 1995 compte quarante titres. La valise est un peu un hommage à son créateur.

Cuvellier Vincent, Emile est invisible, illustration de Ronan Badel, Gallimard-Giboulées, 2012, 32 p. 6€50
Cuvellier Vincent, Emile veut une chauve-souris, illustration de Ronan Badel, Gallimard-Giboulées, 2012, 32 p. 6€50
Cette nouvelle série propose des livres illustrés, proches des fanzines pour tout petits, mais reliés et dans un format moyen (170x200). La situation de départ pousse à une entrée dans l’imaginaire qu’une voix off tente de rappeler à la rationalité du réel. Emile est un enfant sagace, têtu, très têtu ce qui produit des gags très percutants.

Guettier, Bénédicte, La Balle de Trotro, Gallimard, 2010, 12 p. 5€ ; Guettier, Bénédicte, L’Âne Trotro a un secret, Gallimard, 2010, 12 p. 5€ ; Guettier, Bénédicte, L’Âne Trotro a trop chaud, Gallimard Giboulées, 2012, 12 p. 5€ ; 60
Une bille et une balle et peut-être un ballon. L’historiette est simple, agréable et Trotro un petit ami des tout petits. Quant au secret, évidemment, on ne le connaîtra jamais à moins que ce soit une affaire de cœur… Et quand il fait chaud, Trotro se met en maillot de bain et joue avec l’eau, avec l’ombre, aussi, et papa et maman sont là.
Guettier, Bénédicte, Le Livre de Trotro, Gallimard - Giboulées, 2012, 12 p. 5€10
Ce volume de la collection reprend les observations que chacun peut faire dans le quotidien des enfants. Et c’est du coup, une petite propédeutique à la lecture pour les enfants dès 2/3 ans que nous livre là Béatrice Guettier.
Guettier, Bénédicte, Trop rigolo l’imagier de Trotro, Gallimard - Giboulées, 2012, 38p. , 14€
Le principe est de décliner sur une double page les réalités désignées à partir d’une exclamation : Trop fragile !  Trop bon !  Trop tôt !  Trop tard ! Etc. L’enfant retrouvera au gré des pages des personnages ou objets des albums précédents. L’adulte qui lirait le livre à l’enfant ne manquera pas, alors, de revenir avec l’enfant sur le livre en question. C’est là, à 3 ans ou 4 ans et encore plus à 2ans une démarche qui ne va pas venir immédiatement à l’enfant et travailler cette représentation présente d’un personnage qui renvoie à une représentation déjà vue, n’a rien de naturel pour l’enfant.
Guettier, Bénédicte, Trotro a l’école des fourmis. Les chiffres, Gallimard Giboulées, 2012, 12 p. 2€30
Voici la collection Trotro mise au diapason du parascolaire avec un petit format italien. C’est pour le moins peu convaincant en ce qui concerne les chiffres.
Guettier, Bénédicte, Trotro a l’école des papillons. Les couleurs, Gallimard Giboulées, 2012, 12 p. 2€30.
Là l’ouvrage est réussi. La situation parascolaire est clairement énoncée par l’histoire elle-même : Trotro se retrouve à l’école des papillons et il va désigner les couleurs tout en apprenant à les composer à partir des trois couleurs primaires.

Guettier, Bénédicte, Pat la Patate, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 ; Guettier, Bénédicte, Chou le chou, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 ; Guettier, Bénédicte, Champierre le champignon, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 ; Guettier, Bénédicte, Popo le potiron, Gallimard, collection Giboulées, 2010, 20 p. 3€50 
Le principe de cette nouvelle collection est de mettre en scène chaque légume du jardin dans des situations où joue le langage de ces végétaux parlants. Une suite moins fouillé des enquêtes connus de l’inspecteur Lapou.

Guettier, Bénédicte, La Ciboulette hachée menu, Gallimard - Giboulées, 2012, 28 p. 7€10 
Justement voici le dernier volume de l’inspecteur Lapou. Un livre qui fait merveille, relativement amoral, Lapou et fripou rimant un peu, ici. L’histoire passe en revue tout le potager et s’achève par la recette de la ciboulette au concombre, un délice, sauf pour l’héroïne de l’histoire…
Ph. G.