Anachroniques

24/02/2013

La lecture ça s'écoute avant...

Si on part du constat de la discordance entre « la fonction éducative et la fonction distractive du livre pour enfants » (1), ne pourrait-on pas dire que la lecture à voix haute par l’adulte efface la contradiction. Non pas que le livre pour le petit, celui auquel ce blog est consacré, est écrit pour les parents, mais seulement parce que le dialogue est la liaison émotive, culturelle, linguistique, bref, humaine qui fait se tenir debout l’univers, qui le rend compréhensible. Peut-être que l’adulte lecteur à l’enfant « injecte des éléments infantiles » (2) dans les tonalités, la voix, sans doute d’ailleurs, et sans doute y trouve-t-il du plaisir, comme une suspension momentanée hors du réel qui le bouscule. Mais, en général, le livre donne une fonction à cette figure de l’adulte, figure de la transmission, d’une part, de guichetier de l’imaginaire d’autre part. Trois petits livres pour les tout petits nous serviront de guide pour cette première observation du thème.
(1) Aranda, Daniel (texte réunis par), L’Enfant et le live, l’enfant dans le livre, Paris L’Harmattan, 223 p. 21€50 – p.11
(2) Ibid. p. 12

Delessert Etienne, Yok-Yok. Cache-cache, Gallimard jeunesse – Giboulées, 2012, 36 p. 6€10
Alors que s’est tenue du 10 janvier au 15 février 2013, l’exposition Plein cadre à l’école Estienne, entièrement consacrée à l’artiste, le dernier venu de la série Yok-Yok explore la maison, de la cave au grenier, de la cuisine au salon. Les peintures de Delessert suffisent à l’histoire, même si le texte n’est pas redondant. On pourrait dire que le texte est un filet pour l’adulte qui raconte le livre à l’enfant. Les objets et les personnages vivants sont assimilés par l’œuvre graphique ce qui installe l’univers dans l’univers magique de l’enfance que connaît très bien Delessert, rare dessinateur pour la jeunesse à avoir travaillé avec Jean Piaget pour ne pas forcer l’horizon de compréhension des enfants lecteurs.

Tamarkin Annette, Grand-Petit, Gallimard jeunesse – Giboulées, 2012, 22 p. 15€70
Ce livre pop-up, livre animé, a pour but d’apprendre aux enfants à différencier le grand du petit. Conçu par double page, il présente des scènes qui se renversent dans la double page suivante : ici, un oiseau géant tient un œuf minuscule, la double page suivante, l’oiseau a disparu, on ne voit plus que l’œuf géant.
Tous les dessins sont extrêmement stylisés, si bien qu’il n’est pas si facile que cela d’identifier les animaux et les objets présentés. Sous prétexte d’image, la littérature de jeunesse livre comme évidence ce qui ne l’est pas nécessairement. C’est donc le commentaire de l’adulte lisant le l’ouvrage avec l’enfant qui donne son intérêt au livre en lui garantissant une pertinence de lecture. Laissé seul face aux images, l’enfant serait perdu et le livre ne serait qu’un écran aux alouettes, si on veut bien accepter cette image.

Tamarkin Annette, Oh les bébés !, Gallimard-jeunesse, - Giboulées, 2012, 22 p ; 15€70
Un cœur, un rond, une fleur, un nounours, ce sont les motifs qui se dessinent sur les doubles pages en pop up représentant un bébé en pleine joie, un bébé noir, un bébé blanc, un bébé déguisé, un bébé habillé, jamais tout nu, et qui saute, tend les bras. Pour quoi ? Un câlin ? Un bisou ? Pour être transporté dans les airs, dans les bras ? C’est un livre joyeux, gai, dont les couleurs illuminent le regard, suscitent rire et sourire, invitent à l’historiette que papa et maman se complairont à raconter, à susciter ?

Corazzini Nadia, Caiti Giampiero, Popcol tome 1 Mimiques comiques, Casterman, 2011, 16 p. 8€95 ; Corazzini Nadia, Caiti Giampiero, Popcol tome 2 Jolis monstres, Casterman, 2011, 16 p. 8€95 ;
Corazzini Nadia, Caiti Giampiero, Popcol tome 3 Animaux dingos, Casterman, 2011, 16 p. 8€95 ;
C’est une collection nouvelle de pop-ups interactifs à composer soi-même grâce à des planches de gommettes autocollantes repositionnables. Ces gommettes représentent des nez, des bouches, des accessoires, des symboles amusants, des yeux. Les volumes simples des pop-ups correspondent bien à l’âge visé : 3 ans. Le déplacement des gommettes permet aux enfants de recomposer à l’infini les visages et s’en amuser, du réalisme au fantastique, de la vache à l’extraterrestre, c’est une large gamme de figures à fabriquer qui s’offre aux enfants. Il ne fait pas de doute que l’aide d’un adulte est requise, pour ouvrir la manipulation à l’imaginaire, pour permettre à la composition en pensée à se trouver matérialisée.
Geneste Philippe

17/02/2013

Le récit à la fontaine d’Hippocrene

Montardre Hélène, Pégase l’indomptable, illustration de Nicolas Duffaut, Nathan, collection Petites histoires de la mythologie, 2012, 61 p. 4€95
Voici un opus réussi de la collection des petites histoires de la mythologie. La narratrice commence d’abord par raconter le drame de la vie de Bellorophon dont le frère meurt accidentellement lors d’une dispute. L’enfant va porter cette mort comme un fardeau de culpabilité. Devenu jeune homme, il est hanté par des idées de suicide et le sort s’acharne contre lui, en la personne de Sthénébée, épouse du roi Protéos, qu’il a éconduite. C’est alors que commence l’histoire, ou plutôt l’enchaînement des missions héroïquement remplies par Bellorophon. Il doit tuer la chimère. Pour cela, Athéna va l’aider, il va rencontrer le personnage mythique de l’histoire de son précepteur, Pégase, le cheval ailé né du sang de la Méduse. Mais Bellorophon va s’enivrer du pouvoir nouveau que lui procure la domestication de Pégase, jusqu’à se vouloir l’égal des Dieux et chercher à joindre l’Olympe. La fin chacun la connaît, Pégase se défera de son cavalier intrépide et gagnera l’Olympe tandis que Bellorophon, chutera à terre et poursuivra, boiteux, sa vie.
Pour Hélène Montardre, la mythologie est la fontaine d’Hippocrene, celle même jaillie du sabot de Pégase.
Philippe Geneste

Kahn Colette, L’Epopée du roi singe, Gallimard collection Folio junior les universels, 2011, 112 p. 5€70
Il s’agit de la première partie d’un conte fondateur de la mythologie chinoise accompagné d’un appareil critique à destination des élèves de sixième des collèges. L’écriture en est bien adaptée aux élèves de 11 ans.
Lake Nike, Blood Ninja. Le destin de Taro, traduit de l’anglais par Philippe Giraudon, Gallimard jeunesse, 2011, 427 p. 16€50
Ce récit d’heroïc fantasy traverse le Japon féodal, flirtant avec le fantastique gothique. Le héros est le fils d’un humble pêcheur japonais qui rêve de devenir samouraï. Une nuit, leur village est attaqué par des vampires et Taro va devenir l’un des leurs. Dès lors vont se succéder des scènes détaillées de batailles, des descriptions précises de décors. Des créatures de la mythologie japonaise font aussi leurs apparitions mêlées à l’histoire honorable des samouraïs.
Jimenes Guy, Romulus et Rémus, les fils de Mars, Nathan, collection Histoires noires de la mythologie, 2012, 127 p. 5€50 10/11 ans
Dans la tradition de cette collection qui met en intrigue des histoires de la mythologie, ce volume entraîne l’intérêt des jeunes lecteurs par une écriture simple mais pas simpliste, par une bonne composition.
Normandon Richard, Piège aux enfers, illustré par Magali Bardos, Gallimard, coll. Folio junior, 2011, 154 p. 5€10
Voici le second tome de la série « La Conspiration des Dieux » consacrée à la mythologie Ici, Héra manipule Iris, sa filleule, pour aller délivrer Zeus prisonnier des enfers. Durant sa mission Iris va retrouver son propre père, Thaumas, Le piège va se refermer sur elle mais aussi sur Phaeton, héros malheureux du premier tome. La mythologie sert de base à un roman policier, genre à travers lequel, revivent ainsi de grands héros de la mythologie.
Montardre Hélène, L’Enlèvement de Perséphone, Nathan, collection Petites histoires de la mythologie, 64 p. 4€95
Cette version romancée de l’épisode de l’enlèvement de Perséphone est une réussite. Les enfants de 10 à 13 ans apprécient beaucoup ce récit. Bien écrit, il retrace des épisodes de la mythologie en s’appuyant sur une intrigue qui cherche à bien faire ressortir le mythe.
Commission Lisez jeunesse

10/02/2013

Du monde réfléchi grâce au temps de la lecture

Baussier Sylvie, Le Grand livre de la vie et de la mort, illustrations de Sandra Poirot Cherif, Milan, 2010, 38 p. 16€50                         8/10 ans
Cet album documentaire cible un jeune public. Plein de poésie tendre dans ses mots et ses dessins, Le Grand livre de la vie et de la mort offre des explications sur la définition du vivant et son envers la mort, sur comment appréhender la mort.
Chaque double page ouvre un chapitre par une nouvelle question à laquelle dessins, carnet intégré à la double page et texte tentent de répondre non par des dogmes religieux mais par des éclaircissements, des conseils face à l’angoisse. Entre les pages se glissent des mythes anciens, grecs, africains, et des poèmes. C’est un beau livre de réflexion sur l’humanité pour le jeune public.
Annie Mas

Crignon-De Oliveira, Claire, Je ne veux pas vieillir, dessins de Juliette Binet, Gallimard jeunesse, collection Giboulées/Chouette penser !, 2010, 88 p. 10€50 à partir de 14/15 ans
Ce livre est remarquable de bout en bout. L’écriture en est sobre, la réflexion claire et qui sait montrer au jeune lectorat ce qu’est problématiser un sujet, ce que les 13/17 ans ont souvent du mal à faire. Parler de la vieillesse, c’est d’abord concevoir le vieillissement. L’auteur montre avec intelligence qu’il n’existe pas d’art de vieillir : « vieillir, c’est avant tout changer ». Elle démonte les discours compassionnels dont notre société pétrie d’humanitarisme est si friande et montre qu’ils masquent, en réalité des processus d’exclusion et de mis au ban de l’humanité décideuse des corps et esprits défaillants, malades ou en fin de vie. Contre le positivisme, le livre pointe les incohérences des raisonnements médicaux qui trouvent dans la logique économique des profits et celle de l’exploitation des adjuvants : « Il est plus facile de se mettre d’accord pour établir des records de longévité que pour évaluer ce qu’est une vie de qualité ». Cela interroge la médecine dont la fonction « n’est pas uniquement thérapeutique (guérir, administrer des remèdes), mais aussi palliative (soulager, apaiser la souffrance ou l’angoisse) ». On touche ainsi une question taboue dans les sociétés saturées d’idéologie chrétienne, à savoir celle du choix volontaire de mourir. On donne tout son sens, aussi au choix social de respecter la dignité des personnes qui ne sont plus en mesure de décider de leur sort.
Ce volume est un des meilleurs, un des plus stimulants des ouvrages figurant au catalogue de la belle collection « Chouette penser ! ».
Ph. G.

Brenifer Oscar, Desprès Jacques, Le Livre des grands contraires psychologiques, Nathan, collection Philozidées, 2010, 64 p. 16€90   à partir de 11 ans
Cet ouvrage traite du compliqué et du simple, de l’idéaliste et du réaliste, de l’individualiste et du sociable, du sérieux et du joueur, de l’actif et du contemplatif, du sincère et du rusé, du physique et du cérébral, du changeant et du constant, de l’expressif et du discret, de l’inquiet et du placide. L’intérêt est qu’à travers les caractères opposés, l’ouvrage met en exergue la part de l’autre qui est en nous. Evidemment, sa lecture ne prend tout son intérêt que s’il y a dialogue avec l’enfant ou mieux, entre enfants et avec un adulte. En effet, les affirmations des auteurs ne vont pas de soi et sont parfois très contestables. Comment, par exemple, parler de l’individualiste sans ne rien dire des valeurs qui sont valorisées par notre société ? En un mot, le livre omet totalement la société pour ne se concentrer que sur la personnalité, ce qui est un parti pris très restrictif de la définition de l’humain que ne rattrape pas l’importance accordée à l’autre dans la définition de soi. Bien que la collection s’adresse aux enfants dès 9 ans, nous pensons que le livre prend plus d’intérêt pour des enfants plus âgés.
Ph. G.

Shalit Jean, Friha Karim, Comment et pourquoi on rêve ? Gallimard – Giboulées, collection Professeur Gamberge, 2012, 32 p. 3€50
Cette collection s’adresse aux enfants à partir de 7 ans. Les illustrations sont plates mais fondées sur l’efficacité du style des mangas, probablement pour laisser au texte sa place centrale dans l’explication. Ici, on parle de sommeil lent puis de sommeil paradoxal. On voit que tous les mammifères rêvent ce qui place bien l’homme dans la filiation animale. L’ouvrage se finit par le pourquoi des rêves ce qui laisse ouvertes les interprétations. Un bon livre.
Ph.G.

03/02/2013

Un enfant quand je veux, si je veux

Rossignol Isabelle, J’ai décidé, Flammarion, Collection Tribal, 2012, 175 p. 10€50
Cynthia, la narratrice du roman, est une jeune fille de 17 ans, vivant dans un appartement d’une cité de la Courneuve, avec sa mère, femme de ménage dans une maison de retraite, tandis que son père, routier, est très souvent absent. Cynthia est élève de seconde dans son lycée où elle s’ennuie et où, au vu de ses maigres résultats scolaires, elle risque de se faire expulser. Dans sa banlieue, dans son bahut, la vie lui semble vide de sens et rien ne vient répondre à cette désespérance. Une nouvelle certitude aggrave son angoisse : celle de se savoir enceinte.
Près de chez elle, son amie depuis toujours, Lulu, déjà au chômage après son CAP de couture, est très ancrée dans ses convictions chrétiennes. Elle se met en colère dès qu’on parle interruption volontaire de grossesse. Au lycée, Fatima, à qui elle a confié sa situation, l’enveloppe de son énergie. Pour elle qui veut « aller plus loin », Cynthia doit sortir de son carcan. Pour Fatima, l’ivg est la seule réponse. Elle lui parle d’une association de quartier, « Elles Rebelles » où les femmes peuvent parler librement d’amour, de contraception et d’avortement.
Mais Cynthia se sent vide. Elle n’arrive toujours pas à prendre de décision. Son professeur de français, Christine Laugier, une jeune femme à la voix douce, remarque sa tristesse. Elle sollicite Cynthia qui lui révèle son état et lui fait part de son indécision, mais aussi de ses questionnements face à la vie. En guise de réponse, Christine lui parle de sa propre expérience, l’aide à rentrer en contact avec le Planning Familial et lui donne à lire des extraits du livre de Simone de Beauvoir, Le Deuxième Sexe, au chapitre « La mère ». Pour Cynthia, la lecture est ardue. Seule dans sa chambre un dimanche entier, (alors que les deux feuillets concernant l’église, complice d’assassinats lors des guerres et des exécutions capitales, avaient été lus avec Lulu et avaient provoqué la colère de son amie), elle entoure chaque tournure de phrase difficile, chaque terme inconnu pour le rechercher dans le dictionnaire. Elle fait ainsi siennes les idées du castor (surnom de Simone de Beauvoir), et s’imprègne de sa lecture. Mais les mots « timides », « victimes », « elle se sent souillée », provoquent ses larmes et sa hargne. Cette lecture achevée, elle envoie son message à Ludo, son premier amant, le jeune homme si doux, fils du patron de son père, qui, malgré son expérience, n’avait pas mis de préservatif. Il est fils de patron, pas patron lui-même mais pareillement profiteur, d’une jeune fille paumée et sans expérience. Elle ne lui demande rien, mais seulement qu’il sache qu’elle se fera avorter parce qu’« elle ne veut pas qu’un être humain souffre par sa faute ».
La Cynthia passive et timorée est loin, maintenant. C’est une jeune fille sûre de sa décision qui se présente à l’entretien du planning.

Le livre d’Isabelle Rossignol ne souffre d’aucun didactisme, c’est un vrai roman, ancré dans notre quotidien, celui de filles en particulier. Comme l’écrivait l’auteur, le 11 avril 2012 : « Aujourd'hui, à l'ère des régressions en tout genre, j'ai estimé capital de rappeler que refuser d'être mère à seize ans n'était pas un crime. J'ai décidé raconte même tout le contraire. ».
Mas Annie