Anachroniques

27/01/2013

Il dit non à la peur et dessine la liberté

Perrin Michel, Ailes d’arc-en-ciel, illustrations de Béatrice Guillemard, éditions Chant d’orties, collection Les coquelicots sauvages, 2012, 24 p.
Voici un bel album qui pose bien des questions et de ce fait est à recommander en lecture pour les enfants à partir de 6 ans jusqu’à 666 ans.
Michel Perrin propose une variation narrative du thème du cancre, mis à l’honneur, en poésie, par Prévert. On peut regretter que le cancre soit assimilé à l’enfant qui aime dessiner, car c’est un motif quelque peu stéréotypé, mais l’histoire de Perrin est très adroitement composée et pose, en creux, un certain nombre d’opposition. Le cancre connaît même s’il ne sait pas ; il se nourrit des savoirs construits dans l’action de vivre qu’il privilégie aux savoirs scolaires. Le cancre veut être lui et non pas décliner sa personne dans le tiroir des métiers que l’école veut lui suggérer d’épouser. Il est un être de liberté qui se heurte sans cesse à la vie normée. Le cancre est un refuseux, il fuit l’embrigadement des comportements inculqués. Le cancre s’exprime, mais il refuse de réciter.
L’ouvrage est servi par le travail plastique de Béatrice Guillemard. Ce travail fait plus qu’illustrer, il pose l’œuvre dans l’époque des années cinquante. Alliant le dessin, la peinture, la photographie, la sculpture, la composition plastique, la reproduction d’images scolaires d’Épinal, Guillemard oblige, par le procédé du montage, à prendre des distances avec les époques.
Cet alliage du texte et de l’image, des mots et de leur mise en page, permet à l’album de tenir un discours non daté mais qui vaut comme réflexion pour le présent, comme pour le passé et l’avenir. Là est la réussite de l’œuvre.
Certes, le choix éditorial de parsemer les pages d’éléments graphiques avec une typographie très normée pour le texte ne convainc pas toujours. De même, le format italien n’est pas non plus très opportun et c’est dommage, même s’il s’agit sûrement d’une contrainte de collection.
Toutefois, ces critiques n’enlèvent rien à l’intérêt de cet album dont on ne peut qu’espérer que le plus grand nombre d’enfants puisse le lire.
Geneste Philippe

20/01/2013

Homosexualité et littérature de jeunesse

Le thème de l'homosexualité est bien peu retenu dans la littérature de jeunesse ce qui laisse le champ libre à des lieux communs affligeants. Le regain au début du XXIème siècle d'ouvrages et collections spécifiques soit aux filles soit aux garçons n'arrange évidemment pas les choses. Certes, il y a des quelques ouvrages isolés comme Macaron citron de Claire Mazard (Syros, collection "les uns les autres", 2001.), où est dépeint l'éveil d'une jeune fille à son homosexualité, ou encore Le Droit d'aimer. Combattre l'homophobie de Julien Picquart ((Syros, collection "J'accuse", 2005) où un très bon dossier documentaire suit un récit édifiant et deux témoignages. Mais il s'agit d'exceptions.
Le développement de la littérature de jeunesse depuis les années 70 est marqué par la pauvreté du traitement de ce sujet. Les amours sont conventionnellement hétérosexuels et la part de l'Autre en chacun n'évite que rarement les clichés sociaux. L'ouvrage très récent de l'anglais Terence Blacker Garçon ou fille (Gallimard, collection "scripto", 2006. Cf. la chronique de ce livre par Annie Mas Liaisons novembre 2006) en est une illustration parmi tant d'autres.
            Une fois encore, toutefois, c'est le contexte social et les débats qui traversent les sociétés qui se réfractent dans le secteur jeunesse. Le livre publié par les éditions Mijade l’illustre. L’auteur ancre d’abord son récit dans le langage commun, celui des insultes homophobes et sexistes des cours de récréation et de la place publique. Il pose frontalement les jugements sous-jacents énoncés comme des évidences : l’homosexualité est une maladie, c’est une déviance « contre-nature », c’et un vice rédhibitoire. Le récit permet de les confronter au réel des homosexuels, ici, deux jeunes adolescents qui se retranchent dans un isolement : l’un par la dextérité acquise dans le maniement des réalités abstraites, l’autre dans le choix de la mort volontaire, dont on sait qu’elle est cinq fois plus fréquente chez les jeunes homosexuels que chez les autres adolescents. Tabou commence par l’annonce d’un tel suicide. C’est alors l’ensemble des élèves de la classe de collège, à laquelle appartenait Loïc, qui vont être amenés à réfléchir à l’acte de leur camarade, aux raisons de cet acte. La religion –curieusement épargnée par Andriat-, la famille, la société, les politiques, la psychanalyse se conjuguent dans l’élaboration de l’homophobie. Loïc ne s’est pas suicidé parce qu’il était homosexuel, il s’est suicidé parce qu’il subissait l’homophobie.
Un point fort du livre est de faire comprendre que l’homosexuel, l’homosexuelle, structurent leur personne en référence aux insultes et aux violences dont elles sont victimes, ces multiples propos, et actes insidieux qui s’accumulent et vous écartent du groupe. Loïc n’a pas pu l’assumer et c’est ce travail de construction de soi de son ami Philippe qui fait l’objet des deux tiers du roman.
Le point faible est la volonté didactique qui vient rompre la dynamique du récit et pèse souvent sur le style. Cette réserve notée, c’est un livre précieux car rare dans ce secteur éditorial.
Geneste Philippe

12/01/2013

Thérapie numérique ou totalitarisme ?

Debien Chris, Black rain S01/E1-2, Flammarion, 2012, 316 p. 15€; Debien Chris, Black rain S01/E3-4, Flammarion, 2012, 310 p. 15€;
Adam, 17 ans, le héros est schizophrène, Rachel, 19 ans, se scarifie, Alex 15 ans, génie de l’informatique, porteur du syndrome d’Asperger, Vince, 16 ans, autiste, Charles, 21 ans, atteint d’une psychose infantile, unique adulte du centre. Ils se nomment entre eux, « les insoumis ». Ils cherchent à comprendre ce qui se trafique dans les bâtiments d’où il leur est interdit de sortir. C’est qu’il ne semble pas que le bien des patients soit l’unique objet de la fonction du lieu. D’autres personnages inquiétants font leur apparition au cours des événements. Le lieu ? Une clinique, celle du docteur Hans Grüber, 52 ans créateur du concept thérapeutique de traitement par immersion en réalité virtuelle. Il est assisté de Sarah Mc Laie, 36 ans, docteur en neurosciences appliquées. La clinique possède un nombre indéterminé de patients, mais peu. Où se situe-t-elle ? Nul ne le sait. Les séances de thérapie, par le biais de neurobots, mènent les patients dans l’inside, ce monde virtuel où ils sont suivis à distance par les thérapeutes, mais aussi, semble-t-il par d’autres personnages cachés qui tiennent le professeur Hans Grüber. L’inside ressemble au monde urbain tel que nous le connaissons avec ses routes, ses buildings. Est-ce que le vrai monde ou mieux, est-ce que la vérité du monde extérieur se cache dans l’inside ? Un peu comme une psychanalyse va rechercher dans les souvenirs enfouis et leur narration une délivrance de la personne de ses propres cauchemars ? De quelle nature est l’humanité rencontrée artificiellement par les jeunes héros dans l’inside ? La machine génère-t-elle des êtres qui viennent vivre au côté de chacun ? Comme des fantômes de soi qui hante les personnages repliés sur eux-mêmes ? Avec Black Rain, l’informatique est au cœur de l’action, mais au bénéfice de quelle humanité ? Scandée par de nombreuses citations extraites de la mythologie japonaise et du métal rock, mais aussi de la littérature fantastique et de la poésie contemporaine, la narration est vive et le rythme de lecture époustouflant. La naissance d’une grande série ?
Ph. G.

Les tendances de l’édition dans le secteur jeunesse

Lecture jeune est une revue de réflexion, d’information et de choix de livres pour adolescents. Le numéro de juin 2012 traite « les tendances de l’édition pour adolescents et jeunes adultes ». Il est passionnant. En effet, des réflexions reviennent sur l’élargissement en cours du domaine de la littérature de jeunesse à al littérature pour jeunes adultes. On sait que la tranche d’âge de 15/18 ans a toujours été délicate pour les éditeurs. Aujourd’hui, et beaucoup par l’intermédiaire de l’héroïc fantasy, le domaine de la jeunesse s’étend vers une nouvelle tranche d’âge de 18 à 25 ans. Ne peut-on pas penser que la situation difficile de la jeunesse qui subit le chômage, qui entre de plus en plus tard sur le marché de l’emploi, qui donc se trouve obligée de prolonger son temps de vie chez les parents, est à mettre en liaison avec ce phénomène éditorial de l’élargissement de la littérature destinée aux adolescentEs ?

Anne Clerc, qui dresse un panorama du dossier, souligne la connivence entre cette littérature et le couplage es œuvres avec des séries télévisuelles, des films, des jeux vidéos etc. Elle affirme ainsi qu’ « en investissant massivement les paralittératures, les éditeurs jeunesse ne ciblent plus une génération mais une catégorie de lecteurs ». Elle ajoute : « Le roman pour adolescent se métamorphose pour s’adresser finalement à une catégorie de lecteurs plus qu’à une génération. Ce marché s’internationalise et la littérature anglo-saxonne y est largement représentée, flirtant avec le cinéma ». Le succès d’Harry Potter à la fin des années quatre-vingt-dix pourrait servir à dater ce phénomène.

On pourrait se demander pourquoi le roman réaliste tend à s’affaiblir alors que le fantastique et l’héroïc fantasy se développent. L’hégémonie commerciale américaine n’est sûrement pas pour rien dans cette évolution des genres du secteur pour la jeunesse, en même temps, probablement qu’une volonté de divertissement accru du lectorat cherchant à s’abstraire par la fiction d’un réel trop morose.

Ce numéro inclut une contribution de Patricia Gendrey sur « Les politiques du livre numérique dans l’édition de jeunesse » qui introduit au numéro 143 de septembre 2012 intitulé « Les jeunes et les inégalités numériques, actes du colloque du 7 juin 2012 organisé par Lecture jeunesse ». Le numéro prône pour la fonction des médiateurs (bibliothèque, formateurs, enseignants…) entre les jeunes et le numérique. Il explore la fracture entre les usages du numérique par la jeunesse et l’usage social demandé sur le marché de l’emploi, celle entre les classes sociales et donc entre les jeunes selon leur appartenance de classe. On ne peut que recommander la lecture de cet épais dossier dont on regrettera la part belle faite au magico-phénoménisme du pouvoir qui voit dans les avancées technologiques la solution à tous les problèmes.
Geneste Philippe

Lecture jeunesse, 190 rue du Faubourg Saint-Denis, 75010 Paris Abt un an quatre numéros 42 euros – contact@lecturejeunesse.com