Anachroniques

27/12/2012

Les vies imaginaires de la fiction

Beecroft Simon, Star warm. Les héros de la saga, Nathan, 2012, 208 p. 15€90
Hidalgo Pablo, La Menace fantôme 3D, traduit par Alain Clément, Nathan, 2012, 64 p. 10€
Windham Ryder, Star Wars. L’encyclopédie absolue. Nouvelle édition enrichie, actualisée par Dan Wallace, Nathan, 2012, 200 p. 24€90
Une biographie de chaque personnage principal de la saga, avec ses fonctions dans l’histoire, les événements où il est impliqué, sa vêture et les accessoires qui le parent, son portrait physique et moral, et parfois davantage. Un index général des personnages par ordre alphabétique. Bref, un guide indispensable de deux cents personnages recouvrant les six films. Nathan propose, dans la foulée, le premier épisode en format italien avec des lunettes 3D pour accompagner le maître Jedi Qui-Jon Jinn, Anakin Skywalker et la reine Naboo qui subit l’invasion séparatiste.
Avec la réédition (40 pages en plus) de L’encyclopédie absolue, la saga de Georges Lucas est décortiquée, inventoriée, expliquée. Lucas, né en 1944 en Californie, est un des pionniers du cinéma indépendant. Sa puissance inventive pour les effets spéciaux va révolutionner le cinéma de divertissement. Il a fondé la société Industrial Light & Magic pour réaliser les effets spéciaux de ses films. On apprend beaucoup sur la collaboration du consultant artistique Ralph McQuarrie pour tout ce qui concerne le graphisme, des story-boards sont exposés, la conception des costumes est abordée, les trucages font l’objet de nombreux développements. Les premiers chapitres sont consacrés à l’étude du monde de Star wars, aux galaxies, à la République galactique, les guerres mandaloriennes, la grande guerre des Sith, la République corrompue, la montée des séparatistes, l’armée clone, la tragédie sur Tatooine, la bataille de Géonosis etc. Nul doute que ce livre de grand format (31 x 26,3) ravira les adeptes de la saga, nul doute qu’il entraînera les moins avertis vers un monde à découvrir et qui a ravi l’imagination de millions de spectateurs de par le monde. L’encyclopédie absolue énumère à la fin les prolongements de la saga dans l’industrie des jouets, de la nouvelle technologie etc.

Chaine Sonia, Mythes et arts. Les super-héros au fil du temps, Milan, 2012, 52 p. 17€90
Le livre parle de mythologie (récits légendaires qui donnent sens au monde et à la vie), d’icônes du vingtième siècle, de civilisation amérindienne, japonaise, grecque, romaine, égyptienne ; il nous parle de la Renaissance, du rococo, du classicisme ; il nous parle de sculpture, de peinture, ‘illustrations et gravures. On y rencontre Gilgamesh, Isis et Horus, Ulysse et Jupiter, Neptune, les chevaliers de la Table ronde, Xiuhtecutli, Vénus, Narcisse, Adam et Eve, Bacchus, Bahram Gur, Samson, Faust, Zhong Kui, Enée, Apollo,, Alice, Don Quichotte, Gargantua, Shnago, Cupidon, Héraclès, Icare, Nevimbumbao, Superman, Che Guevara, Marilyn Monroe, Einstein, David…
Après l’exceptionnel Besti’Art, chez le même éditeur, Sonia Chaine signe un nouvel opus très stimulant qui fouille le patrimoine culturel humain, même si l’occident y est surreprésenté. L’iconographie de grande pertinence, le grand format à l’italienne avec des pages qui se déplient, offrent un confort de lecture qui font de Mythes et arts un beau livre cadeau.

L’Encyclopédie des héros, icônes et autres demi-dieux, Gallimard jeunesse, 2012, 128 p. 19€95
Ecartons tout de suite une critique inévitable : c’est incomplet. Ceci dit, il n’y a dans cet ouvrage dit encyclopédique que : Gilgamesh, Ulysse, Hercule, Antigone, Aphrodite, Sindbad le marin, le roi Arthur, la fée Mélusine, Robin des bois, Don Quichotte, d’Artagnan, Robinson Crusoé, Blanche neige, père Noël, Sherlock Holmes, Peter Pan, Tarzan, Zorro, Tintin, Bilbo le Hobbit, Superman, James Bond, Luke Skywalker, lieutenant Ripley, Harry Potter, Et à travers eux, sont évoqués un nombre important d’auteurs et créateurs ce dont atteste les quatre pages de l’index. Une bibliographie précise sur chaque héros ou héroïne, complète le livre qui s’ouvre avec une préface intelligente.
Donc, incomplet, certes, mais toutefois intéressant. Il s’agit de héros qui drainent l’imaginaire populaire occidental. C’est d’ailleurs le seul reproche à faire : le titre aurait dû le préciser plutôt que de faire de l’occident le tout du monde. Ils sont attachés, aujourd’hui à des images. Ils mettent en scène des émotions universellement connues mais aussi des valeurs propres à l’univers occidental de conquête pétri de conception innéiste de l’humain. Souvent, on ne connaît pas les œuvres originelles de leur création, et pourtant, on peut parler de ces personnages. Le livre revient sur les origines de chacun et chacune.
Le livre est, ainsi, une initiation à la littérature et à l’histoire des arts. Plus, il est un approfondissement de la connaissance de l’imaginaire dont Watthee-Demotte et Deproost définissent comme le : « le réseau interactif des représentations mentales nourri par l’héritage mythique, religieux et historique et par l’expérience vécue. Constamment réactivé dans les productions culturelles, ce réseau constitue un système dynamique qui se superpose au réel pour lui octroyer des structures signifiantes au niveau de l’interprétation individuelle et collective » (1).
Ecrit de manière alerte, à plusieurs plumes, illustré avec humour, L’Encyclopédie des héros, développe une facette nouvelle de la littérature de jeunesse, que l’on rencontre dès les albums, celle de l’explicitation des références et de l’intertextualité des productions proposées au jeune lectorat.
(1) présentation de la collection « structures et pouvoirs des imaginaires » où est paru le livre Déom Laurent et Tilleul Jean-Louis (sous la direction de), Le Héros dans les productions littéraires pour la jeunesse, Paris, L’Harmattan, 2010, 205 p.
Geneste Philippe

15/12/2012

Cartographie des voyages imaginaires

Jarrie Martin, Rêveur de cartes, Gallimard jeunesse-Giboulées, 2012, 60 p. 20€
Edité en grand format (275x335), la géographie humaine de Martin Jarrie convoque des espaces imaginaires auxquels il réfère des histoires de création ou de mœurs, qui interrogent nos modes de vie.. Le lecteur est appelé à découvrir seize lieux : îles, cités, territoires, archipels, villes, plaines…A chaque fois tout commence par un dessin représentant le dit lieu, page de gauche. Suit, page de droite, un texte racontant les origines écrit, parfois par le découvreur supposé. On tourne la page et la double page qui se présente offre un ensemble d’illustrations précises sur l’espace imaginaire à se représenter. Les textes sont courts, mais essentiels à la lecture car les illustrations qui les nourrissent, en même temps en sondent la teneur. Le graphisme parfois naïf est toujours abstrait. Les clins d’œil et renvois à d’autres œuvres sont légions. Il ne fait pas de doute que l’album gagne à être lu avec un adulte voire à être étudié pour mettre à jour tout l’intertextualité. Ces planches documentaires appartiennent à un cabinet des curiosités dans un musée du rêve. Comme on va d’un lieu à l’autre, on peut dire que le livre des cartes de Martin Jarrie est une invitation au voyage. Mais quel voyage ?
Un voyage imaginaire. Certes. Mais qu’est-ce à dire ? Eh bien, disons, une déambulation dans l’espace, un espace mental, graphié, tracé, dessiné, décrit, qui prend consistance en représentation et où on fait habiter des êtres, graviter des objets, pousser des plantes rares. Les lieux sont nos passages, ils n’existent que parce qu’on les traverse, que parce qu’on s’y pose, qu’on y habite ou que des humains y habitent et que les livres nous le font savoir. Les illustrations sont des méditations sur les lieux ; les textes en sont une explication, une description. Dès lors, Rêveur de cartes se présente plutôt comme une promenade qui « favorise cet état de concentration non concentrée » (1), qui exclut l’agitation mais ouvre à la pensée. Le genre même de l’album favorise cet état d’esprit car on y va et vient, de l’illustration au texte et retour, de l’illustration à une autre puis de ce lieu évoqué à un autre….
Nul doute que la déambulation de Martin Jarrie est un « indice des affinités qui nous unissent, et invite à d’autres découvertes communes », dans un prochain album, peut-être.
Geneste Philippe
(1) Joël Cornuault, Géographies humaines et autres textes, Bassac, Plein Chant, 1985, 86 p. – p.11

09/12/2012

La littérature face au programme “Lebensborn”

Cohen-Scali Sarah, Max, Gallimard, collection Scripto, 2012, 480 p. 15€90
On est en 1936, à Steinhöring, en Bavière, dans le premier foyer du « programme Lebensborn », initié par les services de Himmler. Des femmes sont sélectionnées par les nazis pour y mettre au monde des enfants de « race aryenne pure ». Le troisième Reich rêve de régénérer l’Europe par l’eugénisme et la sélection des embryons.
Le narrateur n’est pas encore né quand il commence son récit. Il doit voir le jour le 20 avril, jour anniversaire du Führer. Déjà, dans le ventre de la mère dont la fonction est celle de mère porteuse, il a enregistré, selon la doctrine innéiste de strict héréditarisme des théoriciens développant les idées de Galton, l’idéologie nazie. Le dispositif narratif peut ainsi permettre au lecteur d’identifier le travail de l’idéologie.
Quand il naît, il sera appelé Konrad, séparé de sa mère biologique pour être offert par adoption à un haut dignitaire nazi. Mais Konrad est rétif à toute adoption et il grandit sous la discipline de fer du foyer du Lebensborn. Alors qu’il n’a que quatre ans, il est utilisé comme appât dans le programme d’aryanisation des enfants polonais. Il dénonce, il trahit, répondant aux demandes qui lui sont faites.
A six ans il séjourne à Kalish, une école où sont germanisés les enfants kidnappés. Là il rencontre Lukas qui le fascine par sa stature aryenne et sa violence. Mais Lukas est juif, il se joue des allemands. Konrad se prend d’amitié pour lui. C’est la première fois qu’il ressent ce sentiment de lien qui le lie à un pair. On est à peu près à la moitié du roman. C’est le début d’une sorte d’auto-analyse à travers les actions qui font le livre et qui nous mènent en 1945, à la neuvième année de Konrad, l’orphelin. Car ce pourrait être la tension dramatique qui sous-tend la fiction historique de Cohen-Scali : le parcours désinitiatique de Max, de l’éduqué nazie à l’orphelin initié par le lien d’empathie à la rébellion. Le lecteur est ainsi amené, lui-même à déconstruire la rationalité formelle de l’idéologie nazie, raciste, en suivant un destin individuel façonné par les réactions aux événements historiques à l’intérieur desquels se meut le héros.
Cohen-Scali écrit dans un langage brutal, qui suit le développement de Konrad, assurant ainsi un effet de vraisemblable qui donne force au récit. Les scènes de violence sexuelles, décrites par l’enfant qui voit, sont dérangeantes, mais là encore, Cohen-Scali ne déroge pas à la cohérence du vraisemblable porté par la narration. Il n’y a aucun penchant à jouer avec le scabreux comme certains l’ont reproché à l’auteur, mais une juste volonté de réalisme. Pour son premier roman historique, l’auteure s’adresse aux jeunes adultes plutôt qu’aux adolescents. Elle a visiblement accumulé une riche documentation durant plusieurs années avant que ne commence la rédaction à proprement parler qui lui a pris dix mois pleins. Ce récit appartient ainsi à la meilleure catégorie des romans historiques, ceux où l’Histoire présente un matériau consubstantiel à la fiction. De plus, la fin euphorique, dans la rébellion, n’est pas une clôture de l’histoire, mais plutôt un appel à la réflexion pour le temps présent. L’emploi du temps, le présent, utilisé pour la narration y concourt, surtout que le récit suit l’ordre chronologique. Ainsi, le lecteur éprouve autant qu’il épouse la sensation subjective du temps.
Max est un livre rare, car le sujet de l’eugénisme est rarement abordé en fiction. L’auteure apporte une précision et une rigueur narrative, qui élève le roman au dessus des rares autres récits ayant voulu aborder la question. La dextérité du traitement du genre littéraire choisi place Max en décalage par rapport aux romans historiques (1) écrits à destination de la jeunesse. En cela, c’est un chef d’œuvre du genre.
Geneste Philippe
(1) Sur le roman historique voir Geneste Philippe « Le roman historique pour la jeunesse », dans Escarpit Denis, La Littérature de jeunesse, Itinéraires d’hier à aujourd’hui, Paris, Magnard, 2008, pp.416-426

01/12/2012

Au fond des poches percées, vit la littérature

Renaux Lise, La Fabuleuse aventure de Frida Cabot, MØtus, collection Mouchoir de poche, 2012, 32 p. 4€50
Voici une nouvelle auteure en littérature de jeunesse. Son premier livre est réalisé à partir de compositions cousues mains qui servent d’illustrations à un récit humoristique et tendre.
Frida Cabot, n’est pas peintre, c’est une petite chienne qui ne veut pas que sa maîtresse l’habille. Ainsi, est mis à distance l’anthropocentrisme courant en littérature de jeunesse. Alors, Frida va courir les rues et tomber sous le charme de deux voisines qui rapiècent de vieux chiffons. Il est vrai que Frida n’est qu’une illustration en tissu ramené à la surface plane d’un livre. Mais jusqu’au bout, elle refusera d’être autre chose qu’une petite chienne.

LeBlanc Catherine, Le Goût d’être un loup, MØtus, collection Mouchoir de poche, 2012, 32 p. 4€50
Un loup veut devenir autre chose qu’un loup. Alors, au gré des rencontres, il va imaginer des métamorphoses : coq poisson, mouton, oiseau, chevreuil, chat. Mais d’autres rencontres vont le faire changer d’avis et le loup restera loup. L’autrice accompagne graphiquement son texte par des calligrammes, en reproduisant des empreintes d’animaux. Au final, c’est encore un livre sur l’identité animale, cette fois-ci sauvage, écrite blanc sur noir.

Boucher Michel, J’en ai assez, MØtus, collection Mouchoir de poche, 2012, 32 p. 4€50
Un illustrateur aguerri, s’amuse à raconter une histoire selon un procédé quasi oulibapien… on pourrait dire, aussi, oubalipien. En effet, de page en page, c’est le même dessin qui est reproduit, mais avec, à chaque fois, un détail nouveau (oubapo). Ce détail est en lien avec l’introduction d’un mot nouveau à la fin de chacune des pages qui sert de sujet à la page suivante (oulipo). Au fil du livre la structure syntaxique est identique et le sujet de la phrase est indifféremment un être animé ou une réalité non animée. C’est un régal, d’une grande drôlerie assise sur la figure rhétorique de la répétition.

Geneste Philippe