Anachroniques

30/09/2012

La littérature pour la jeunesse face au créationnisme

Perrin Michel, Les Démons du Museum, éditions du chant d’orties, 2011, 154 p.
Si des ouvrages de littérature destinée à la jeunesse prennent pour support de fiction la matière de controverses contemporaines, c’est en général pour faire la propagande de l’humanisme et de l’éloge des droits de l’homme. Très peu d’ouvrages osent affronter des problèmes de société qui ont à leur racine des questions vives de connaissance. C’est pourquoi le livre e Michel Perrin est à marquer d’une pierre blanche. C’est le premier roman abordant la question de l’évolution sous l’angle contemporain, dans ses enjeux politiques et sociaux. A ce seul titre, l’ouvrage devrait se trouver dans toute bibliothèque, centre de documentation tournés vers la jeunesse.
Le livre part très simplement : Thomas, fils du gardien du muséum national d’histoire naturelle est intrigué par des actes de vandalisme perpétués à l’intérieur du musée. Avec une amie, il mène sa propre enquête. On le voit, rien que de très banal comme entrée en matière narrative. Mais ce qui ne l’est pas, c’est que l’auteur introduit sans aucun effet d’hétérogénéité la controverse qui oppose les tenants du créationnisme dont le berceau est aux USA et les scientifiques tenants de la théorie darwinienne de l’évolution. Une visite guidée du Muséum permet d’introduire le lectorat à la connaissance de Buffon, Lamarck, Wallace, Darwin. Bien sûr, on va s’arrêter plus particulièrement sur ce dernier, qui a mis au point la théorie de la descendance modifiée des organismes par le moyen de la sélection naturelle. C’est en effet, cette dernière théorie et l’anthropologie contenue dans La Filiation de l’homme (1871) que les créationnistes prennent à partie. Le roman évoque l’étape de Darwin au Galapagos lors de son voyage en tant que naturaliste à bord du Beagle entre le 15 et le 20 octobre 1835.
Thomas et son amie Chloé vont déjouer un projet des créationnistes organisés pour mettre le feu au muséum. Si le support secondaire de l’histoire, la double enquête policière par le commissaire de police père de Chloé et les enfants eux-mêmes, est un peu cousu de fil blanc, si la présence d’un abbé parmi les détracteurs des créationnistes vient brouiller le message du roman assez inutilement, les apories du créationnisme et l’inconsistance de leur pseudo-théorie sont parfaitement démontrés. En outre, la richesse culturelle du roman permet aux jeunes lecteurs et lectrices de s’initier à la théorie de l’évolution. Le récit est aussi œuvre de vulgarisation scientifique dans le très bon sens du terme manifestant un renouement de la littérature avec ce qui la fonde : un discours général sur le monde, un discours des discours que le nombrilisme littéraire contemporain tend à refouler. Raison de plus pour acquérir, offrir, lire cet ouvrage unique dans le paysage romanesque actuel destiné aux enfants à partir de 11 ans.
Geneste Philippe

23/09/2012

coïncidence

Eric Battut, Broum l’automobile, Autrement, 2012, 32 p. 13€95 ;
Yves Pinguilly, Le Voyage de l’arbre, illustrations de Florence Koenig, Autrement, 2012, 40 p. 13€95
Tout sépare a priori ces deux ouvrages. Celui de Battut est l’histoire d’un objet inanimé, une voiture à travers le vingtième siècle. L’histoire dure cent ans au moins. Celui de Pinguilly et Koenig conte les pérégrinations d’un arbre qui veut voir du pays et qui part en vagabondage à travers l’Afrique. La durée de l’histoire est longue, aussi, au moins cinquante ans.
Les illustrations de Battut sont des peintures au style faussement naïf, qui emprunte à la bande dessinée et qui présente presque toujours l’horizon. Les illustrations sont d’autre part mises en vis-à-vis du texte, sans jamais le doubler, mais en en élargissant le propos. A l’inverse, les peintures de Koenig sont aussi des peintures qui introduisent l’insolite dans le réel, et qui englobent le texte, le redoublant et lui apportant une volonté de projeter ce qui est écrit dans un espace imaginaire.
Mais ce qui rapproche ces deux albums, magnifiques, c’est le schéma du récit : l’objet (voiture) pour l’un, la plante (arbre) pour l’autre sont les héros. Les humains sont des personnages secondaires qui servent à faire avancer le récit mais qui n’en sont pas le moteur. Dans les deux cas, le personnage non humain voyage et trouve dans le voyage du bonheur autant que l’assouvissement d’un désir de connaître le monde. Dans les deux cas, des enfants viennent égayer la vie du personnage et redonnent à l’objet une vie qui semblait perdue. Dans les deux cas, le personnage renaît : en une nouvelle voiture pour l’une, en des instruments à percussions pour l’autre.
Que faut-il penser de cette coïncidence de parution éditoriale ? L’objet, dans une société de consommation généralisé, n’est en général présent que comme bien ou satisfaction d’un besoin, y compris dans la littérature destinée aux enfants. Ensuite, il subit une personnification, ce qui n’est le cas qu’à la fin du livre de Pinguilly, mais il faut nuancer cela car c’est pour épouser l’animisme des civilisations africaines premières et non pas pour rendre l’objet proche de l’enfant lecteur pour le conquérir. Dans les deux albums, ici chroniqués, l’objet et l’arbre retournent à leur élément premier : la voiture est devenu une Broum 1900 de collection, l’arbre mort revit dans son matériau propre, le bois. Le personnage n’est pas jeté, il continue à vivre à travers la vie des autres et sans rien de mystique, sans aucune métempschychose, l’enfant est appelé à comprendre que nous ne sommes existant qu’à travers les relations sociales dans lesquelles nous sommes pris et que nous provoquons.
Philippe Geneste

16/09/2012

Robert Desnos (1900 – 1945)

Maricourt, Thierry, Robert Desnos, éditions Oskar, collection Culture et société, 2011, 63 p.
L’auteur a porté au fronton de sa biographie romancée du poète cette citation « Vous mettrez sur ma tombe / une bouée de sauvetage. / Parce qu’on ne sait jamais ». La biographie est agencée autour de la narration d’un élève dont l’enseignant de français, bossu, pose à la classe une énigme : chaque jour il donne aux élèves des indications sur la vie du personnage, dont il a dit qu’il s’agissait d’un écrivain, charge aux élèves de trouver de qui il s’agit. Cette structure ressemble à celle adoptée par Jostein Gaarder avec Le Monde de Sophie traduit et adapté du norvégien par Hervieu et Laffon (Le seuil 1995). Sauf qu’ici, tout le récit se déroule sous l’égide du dialogue et de la narration de la fiction alors que dans l’ouvrage de Gaarder, le narratif n’était que l’entracte de lourds exposés philosophiques. Cette structure permet à Maricourt d’inclure des extraits de poèmes, de les situer, parfois, historiquement.
Au final, Robert Desnos apparaît comme un écrivain inclassable. Desnos est engagé mais il refuse toute discipline organisationnelle si celle-ci devait contredire sa pensée sur le monde. Il est critique et ne met pas tout sur le même plan, refuse l’humanisme plat pour qui tout se vaut dans l’expression, et les formes et leurs contenus : non nous dit-il, la poésie vaut d’être écrite comme la vie d’être vécue, mais en conscience. S’il nous parle de lui tout en défaisant les stéréotypes langagiers, Desnos ne s’enferme pas dans le nombrilisme égoïsant des poètes qui, durant la guerre, ne trouvaient qu’à méditer sur l’abandon du langage et l’inhumanité du monde. Pour Desnos, le monde reste humain tant qu’il existe des humains pour le rendre humain, pour se battre contre les tendances inhumaines que traduisent toujours les pouvoirs.
Car, en effet, Desnos fut le poète du refus : anti-clérical, anti-militariste, anti-raciste, anti-capitaliste, anti-nationaliste. Il fut cela, avant toute autre chose et on peut lire sa poésie comme une poésie porteuse de l’éloge du négatif. L’univers poétique, pour autant, n’en devient pas sous sa plume un anti-monde : il aime trop les humains pour cela. Desnos reste inclassable, parce qu’il refuse la hiérarchie, toutes les hiérarchies.
Il fut journaliste, romancier, essayiste, poète, combattant, prisonnier, parce que « au-delà de la poésie libre, il y a le poète libre » c’est-à-dire impliqué dans la vie du monde, s’y engageant au risque de sa personne. Et c’est dans sa poésie, dans la littérature, donc, qu’il cherche à inscrire cet engagement pour lui donner toute son ampleur. On connaît ses écrits durant la guerre de 39/45, sa déportation et sa mort du typhus au camp de Terezin en 1945. Sa poésie vise la simplicité et la drôlerie, on pense à Prévert parce que Desnos est irrévérencieux. C’est un poète c’est-à-dire « quelqu’un qui vit et tient à le dire et qui une fois mort vit encore car ses mots vivent sans lui » (p.21/22).
L’entretien donné par Thierry Maricourt dans l’appendice du livre et l’anthologie de poèmes qui forment à eux deux un dossier documentaire intéressant, permettent au lectorat de poser les connaissances acquises durant la fiction.

Poèmes de Robert Desnos choisis et présentés par Camille Weil, Gallimard jeunesse collection folio junior poésie, 201095 p. cat.2
Les textes sont extraits des recueils Prospectus où Desnos use de sa science de publiciste, l’irrévérencieux Corps et biens où, précédant Prévert, Desnos introduit le langage populaire dans le surréalisme, l’hilarant Fortunes, le très approprié recueil pour l’enfance Destinée arbitraire, l’imposant Contrée, le recueil léger La Ménagerie de Tristan puis Le parterre d’Hyacinthe et La géométrie de Daniel. Ces trois derniers titres étaient explicitement destinés aux enfants, car Desnos a fait une œuvre en littérature de jeunesse spécifique, ce qui est fort rare : « Ce que j’écris ici ou ailleurs n’intéressera sans doute dans l’avenir que quelques curieux espacés au long des années. Tous les vingt-cinq ou trente ans on exhumera dans des publications confidentielles mon nom et quelques extraits, toujours les mêmes. Les poèmes pour enfants auront survécu un peu plus longtemps que le reste. J’appartiendrai au chapitre de la curiosité limitée » (extrait du Journal de Robert Desnos cité par Maricourt page 37).
Cette anthologie –dont on regrettera qu’elle ne livre pas avec plus de précision la date des textes choisis et le contexte littéraire qui les a vus naître- croise le poète surréaliste (il est exclu du mouvement en 1929), le poète fabulateur, l’amoureux des mots et de la déconstruction lexicale, le poète lyrique qui pose certains poèmes dans le cadre classique de l’interlocution. Desnos s’approche de la glossolalie, joue du phonétisme, mais il refuse de casser le langage comme il refuse le lâcher rhétorique des images : il refuse de faire littérature. Et c’est là, probablement, que se trouve la contrainte de la simplicité imposée à sa poésie, comme on la trouve aussi chez Prévert.
Desnos refuse le monde comme il va, mais il refuse de ne pas agir dans ce monde. C’est pourquoi il dénonce par les vers, mais en même temps, sa poésie réenchante le monde, à travers l’affirmation du disparate, de l’incongru, du surréel. L’œuvre de Desnos y apparaît se nouer autour de trois enjeux majeurs : l’action, la liberté, la révolte. Surtout, c’est une œuvre qui dit que pour se plonger dans le combat contre un monde, il faut prendre ses distances avec celui-ci. Et, pour Desnos, la poésie, l’humour, la dérision voire le non-sens, sont des modalités pour s’émanciper d’un quotidien qui aliène. Le réenchantement du monde, cette part de rêve et de désir libérée par la déconstruction poétique n’a, au fond, pas d’autre but. Le regard poétique de Desnos est l’affirmation de la liberté du regard : celle de se détourner de ce qu’on veut vous faire voir pour y voir autre chose
Geneste Philippe

09/09/2012

Blessures algériennes, la littérature face à l’histoire

Virginie Buisson, L’Algérie ou la mort des autres, édition Gallimard, collection Scripto, 2011, 105 pages, 7€ (1ère éd. Collection folio junior 1981)
C’est avec une grande sensibilité que Virginie Buisson raconte, dans son roman L’Algérie ou la mort des autres son adolescence meurtrie dans une Algérie française mourante. L’héroïne qu’elle met en scène est la narratrice de l’histoire et son prénom n’apparaît jamais.
C’est âgée de 11 ans, dans le milieu des années 1950, que la toute jeune fille quitte sa Lorraine tranquille pour, accompagnée de sa mère et ses petits frères, rejoindre le père, gendarme, récemment muté en Algérie. La traversée de la Méditerranée sur le paquebot, passage obligé entre deux terres, marque déjà la séparation entre son enfance libre et paisible et son adolescence tourmentée en Algérie.
A l’arrivée, la jeune fille est attirée par ce pays qui l’accueille, mais c’est une mitrailleuse de l’armée qui les escorte jusqu’à la garnison de Bir Rabalou où la famille s’installe.
La narratrice décrit sa rencontre à l’école avec les jeunes filles berbères, Fatima, Salirha, Khedidja, qui deviennent ses amies, l’accueil des femmes algériennes, les parfums, les couleurs de ce pays. Seulement, fille de gendarme, elle habite une maison « européenne », que se partagent trois familles d’agents de l’état français.
Petit à petit, insidieusement, le racisme, la terreur s’infiltrent. la jeune fille ne comprend pas, mais des tueries répondent à des tueries, attentats et emprisonnements se multiplient. Des caves de la caserne proviennent des bruits de plus en plus insoutenables dont on tait le nom ; ce sont pourtant des cris de torture.
La narratrice ressent « la mort des autres » dans sa chair et de cette souffrance nait une révolte violente contre l’autorité de sa famille et contre toute forme de pouvoir. Dans cette tourmente, sa sensualité s’affirme auprès de jeunes appelés venus de l’Etat français tuer et se faire tuer. Bien qu’on l’enferme, lui fasse subir maintes brimades et humiliations-, elle s’échappe pour des rencontres amoureuses.
Dernière scène, scène de drame, huit années ont passé, l’été 1962 approche.
L’héroïne et Jacques, son jeune amant, courent dans les rues d’Alger en émeute. Un tir, venu d’une voiture, les arrête : devant eux, un petit garçon d’une dizaine d’années au teint mat et aux cheveux sombres, vient d’être abattu. Malgré la somation du tireur : « Laisse le crever, c’est un raton », Jacques s’approche de l’enfant pour le secourir. Il reçoit alors une balle mortelle. Et dans les bras de l’héroïne aux ballerines maculées, à la robe tachée de sang, s’échappe la vie d’un petit garçon et celle d’un jeune homme, tous deux nés en Algérie.
Ce roman est dédié à l’Algérie, à l’amour et la révolte. Son écriture est émouvante et belle, à l’image de ce pays qui en a fait naître la poésie.
Annie Mas

Lucien Touati, …Et puis je suis parti d’Oran , éditions G.P., collection Grand Angle, 1976, 222 p.
Autre roman d’une grande richesse, … Et puis je suis parti d’Oran offre là de belles pages sur le désarroi d’un adolescent face au racisme et à la violence.
En mars 1962, le narrateur de l’histoire, le jeune Lucien, a 14 ans. Avec ses parents, ses frères et sœurs, il quitte sa ville natale d’Oran pour celle de Marseille. Seul, sans ami dans ce nouveau lycée, il se souvient des évènements passés depuis le début de l’année scolaire en septembre 1961, à Oran.
Lucien est d’origine juive berbère, sa famille est ancrée depuis très longtemps en Algérie. Son père, employé à la mairie d’Oran, est adhérent à la SFIO. Ce n’est pas un homme raciste. Sa mère, femme au foyer, est généreuse et pleine de bon sens. L’adolescent est très attaché à sa famille. La ville d’Oran est un vaste refuge, et ses pérégrinations, de l’appartement de ses parents au quartier mauresque, de son lycée à la mer, dessinent un espace de découvertes et de réflexions. Les attentats meurtriers qui, jusque là, parvenaient en lointains échos se rapprochent. Certains de ses amis vont partir. Lucien se sent impuissant, étranger à toute cette violence. Lorsque Claude, son père, est gravement blessé par une arme à feu, le semblant d’insouciance préservé par sa mère est bouleversé.
Lucien est sollicité par un jeune sympathisant de l’OAS qui l’incite à prendre une arme « pour venger son père ». Indigné, Lucien refuse. La famille doit quitter l’Algérie afin que Claude, qui pourtant refusait ce départ, puisse guérir. Seul reste à Oran le grand frère de Lucien, Maurice, son modèle aussi, qui déteste tant les pratiques de l’OAS.
Perdu et seul dans nouveau lycée, à Marseille, Lucien peine maintenant à trouver sa place, à effacer ses angoisses, à retisser son histoire.

Le roman de Touati débute avec le froid ressenti par Lucien à son arrivée à Marseille, celui de Virginie Buisson se clôt par le froid qui accueille l’héroïne à son retour en France.
Ils ont froid pour leurs jeunesses bafouées, froid pour toutes les morts dont ils furent témoins pour une guerre qu’ils ne comprenaient ni ne voulaient.
Ils ressentent le froid des rescapés que le futur effraie, le froid de ceux qui ne trouvent leur place nulle part… Comment survivre et se construire après voir frôlé, pleuré, après avoir connu la mort des autres ?
Annie Mas

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Nozière Jean-Paul, Un été algérien, Gallimard jeunesse, collection Scripto, 2012 (1ère publication en jeunesse 1993)135 p. 8€
Voici un texte accessible pour les divers appétits de lectures des préadolescents, qui raconte l’Algérie de 1958. C’est un roman documenté et respectueux.
De Gaulle vient d’arriver au pouvoir. Aux environs de Sétif, une ferme, deux familles : celle d’un petit colon, Barine, aux idées vaguement libérales et celle de ses ouvriers arabes, les Bellilita, dont le fils Salim allait –jusqu’à cette date et avec ferveur- au lycée avec son copain Paul Barine, comme lui âgé de quinze ans. Parce que la situation se durcit, que la guerre s’amplifie, le colon met fin à ce privilège. Ceci provoque chez Salim la prise de conscience de sa situation réelle et l’amène à choisir son camp, celui du FLN et de l’ALN dans les rangs de laquelle il s’engage en même temps qu’il voit mourir son amitié pour Paul. La narration est censée être faite par Salim.
Le livre permet d’exhumer les ambigüités du statut des colonisés (algériens, alors que l’on parle pour les colons de français d’Algérie), d’élucider les liens entre oppression économique, dépossession de la langue, dépossession de la terre ce qui ouvre à la thématique du déni d’identité.
Tout le récit est un récit rétrospectif placé sous l’éclairage d’un premier chapitre désenchanté, « Ma guerre, je l’avais gagnée et perdue durant l’été 1958 » narre Salim page 11. Par la construction narrative, J.P. Nozière donne à son roman respectueux des sensibilités et de la vérité historique, une signification tragique. La colonisation détruit tout, surtout l’avenir et les valeurs de la guerre ne sont jamais le vecteur d’un accomplissement de la liberté humaine.
Texte repris de l’analyse de Liliane Fontan
« Parce que nous avons mal à l’Algérie », La Tache d’encre, n°63/64, mars 1998, pp.49-52

02/09/2012

Victor Hugo et Paul Eluard, deux figures de l’écrivain engagé

Victor Hugo, La Légende d’un siècle, textes présentés par Danielle Martinigol, Flammarion jeunesse, 2012, 312 p. 5€60
Le livre est une très bonne introduction à la lecture de Victor Hugo (1802-1885). La première partie propose des textes où le poète parle de son enfance, des joies et des douleurs du père, du grand-père et de l’amour. On y trouve des extraits de poèmes, de proses, des lettres avec chaque fois une introduction qui permet au lecteur ou à la lectrice de situer le texte et ainsi de la mieux comprendre. Une transition empruntée à Ruy Blas évoque l’amour idéalisé. La seconde partie, procède comme la première avec pour thème l’écriture : la fonction du poète, la préface de Cromwell, la bataille d’Hernani, La Légende des siècles où Hugo représente la genèse de la conscience. Après une transition assurée par des extraits de Notre Dame de Paris, on entre dans la troisième partie où l’homme politique se met en scène contre Napoléon le petit, contre l’esclavage, contre la pauvreté, contre la peine de mort, pour la paix en Europe. Il est l’heure, alors, de conclure par 60 pages d’extraits des Misérables. Une bibliographie chronologique termine ce fort volume véritable propédeutique à une œuvre incontournable.

Eluard Paul, Liberté, illustrations Anouck Boirobert et Louis Rigaud, Père Castor – Flammarion, 2012, 42 p., 15€
L’interprétation graphique du poème d’Eluard a été imaginée par Anouck Boirobert et Louis Rigaud. Elle succède à l’interprétation picturale de Claude Goiran, parue dans la même collection en 1997. Boirobert  et Rigaud ont conçu un livre accordéon. Page après page, s’enchaînent ainsi, par de délicats jeux de découpes, les strophes. Peu à peu l’horizon du poème s’élargit comme un écho au présent de la liberté chantée. Les illustrateurs mettent ainsi leur pas dans ceux des travaux typographiques fabuleux de Guy-Lévis Mano (édition de 1945), du dépliant illustré de Léger chez Seghers (1953).
Le poème d’Eluard est un poème de circonstance. Il parut en mai 1942, dans Poésie et vérité, aux éditions de la Main bleue de Noël Arnaud. Plus tard, il fut largué par la R.A.F. sur toute la France. Il fut interprété comme un poème contre la soumission (rôle majeur des épithètes sur le nu, le fade etc.) contre l’oppression de l’occupant et un manifeste pour le retour à la liberté d’expression comme « Raison d’écrire » y revient dans Le Rendez-vous allemand.
Eluard disait que c’est par les circonstances que « l’homme fait un pas vers la vie » (1), que « la poésie aime mieux montrer le but que les moyens » (2). Il pensait que la poésie de circonstance pouvait le mieux tendre « un miroir  fidèle aux autres hommes. Elle répond alors à ce que Maïakovski nommait “la commande sociale” par opposition à la commande de hasard non avenue, non transmissible » (3). Mais pour que la poésie opère, il faut que « la circonstance extérieure [coïncide] avec la circonstance intérieure comme si le poète lui-même l’avait produite » (4). Et c’est bien ce que Liberté offre et qui en assuré en partie le succès pour la postérité.
En effet, au départ, ce poème exprime l’amour intérieur. Il chante la femme aimée et porte pour titre initial Une seule pensée. Mais, « le poids du monde dans l’homme » (5) a fait substituer le mot Liberté à celui de la femme en clôture pour revenir en titre nouveau du poème. Le texte est alors devenu le poème de l’amour de la Liberté en tant que nom propre, en tant que figure amante de tous les hommes, de toutes les femmes. Le poème est né de l’alliance de la sensibilité du poète et de la pesanteur du monde. Il en est résulté un appel quelque peu messianique à la transformation du monde. : « Parce que [le] sentiment révolutionnaire se fonde sur la solidarité humaine, il peut et doit avoir un contenu poétique aussi dense que le sentiment amoureux, autre expression de la lutte pour la vie » (6).
Geneste Philippe
(1) Paul Eluard Œuvres complètes, tome 2, édition établie par Marcelle Dumas et Lucien Scheler, Paris, Gallimard, bibliothèque de La Pléiade, 1968, p.940 / (2) Ibid. p.941 / (3) Ibid. p.942 / (4) Ibid. p.942 / (5) Ibid. p.936 / (6) Ibid. p.937