Anachroniques

25/09/2011

L’écriture et la transfiguration de soi

Kerisel Françoise, La Poétesse Sei et le samouraï, illustrations d’Emilie Dedieu, L’Harmattan jeunesse, 2011, 48 p. 8€
Tout le monde a connaissance des Notes de chevet de Sei Shônagon, livre paru chez Gallimard en 1985. Sei Shônagon vécut autour de l’an 1000 à la cour de l’empereur du Japon. « A la cour de l'empereur du Japon, en l'an mille, Les femmes écrivent avec de longs pinceaux tout au long des jours. La suivante Sei Shonagon conte en secret, la nuit, l'histoire du palais, et cache son journal dans son oreiller de bois. Qui oserait venir l'y chercher? ». Françoise Kérisel en a tiré un épisode sous forme de conte pacifique d’éloge de l’écriture. Respectueuse de l’histoire réelle, elle a « seulement prêté à Tsunefusa des sentiments amoureux pour un tel ravissement ».
Trois personnages principaux : un samouraï, Minamoto Tsunefusa, redouté de tous, guerrier impitoyable ; un chat, Myobu no Omoto, sauvé d’un incendie d’une ville vaincue, et offert par le samouraï à l’empereur. L’empereur, le Mikado, l’impératrice sa majesté Saduko et enfin, Sei Shônagon, qui vit à la cour calligraphiant des histoires.
Le samouraï cache un désir, celui d’accéder au secret de l’écriture. Pour cela il essaie d’approcher la calligraphe qui ne l’apprécie guère car elle réprouve la violence et le sang. Alors, le samouraï va se lancer dans une quête solitaire : l’écriture doit-elle, pour livrer ses secrets, être approchée dans la solitude et le silence, à distance du monde ? L’écriture, en effet, n’est-elle pas, par excellence, le langage du silence ? Il va, auprès d’un apprenti calligraphe des rues apprendre la patience : l’écriture c’est prendre le temps de la composition du monde en représentation. Auprès d’un moine, il va apprendre à écouter : si l’écriture c’est le pouvoir d’appréhender les choses, les êtres et les lieux, c’est parce qu’à sa source se trouve le dialogue, la présence et les pensées des autres. En lui-même, il va éprouver la blessure, comprendre la faiblesse, parce qu’écrire c’est guérir de soi-même.


Geneste Philippe

18/09/2011

De la Guerre des Boutons à la Grande Guerre

PERGAUD Louis ; illustré par LAPOINTE Claude, La Guerre des Boutons, Gallimard Jeunesse, collection grand format littérature, 2011, 256 p. (1ère édition 2002), 14€90 ; PERGAUD Louis, La Guerre des Boutons, illustré par Lapointe Claude, Gallimard Jeunesse, collection Folio junior, 2011, 357 p., 5€70

Dans une nouvelle présentation confortable et luxueuse, est paru, en 2002 chez Gallimard, un beau livre à couverture cartonnée, avec un cahier iconographique de 8 pages permettant d’aller sur les traces de Pergaud (1882/1915) qui reprend celle parue en 1977 dans la collection Grands Textes illustrés (18 €). La réédition de 2011 s’accompagne de celle en collection Folio Junior pour accompagner le film sorti en salle le 14 septembre 2011.
La Guerre des Boutons, publié en 1912, a occulté l’œuvre de Pergaud (1885 – 1915), mort à la guerre. Pergaud venait d’avoir le Goncourt pour un recueil de contes animaliers, De Goupil à Margot (1910) et avait juste sorti La Revanche du Corbeau (1911). Si le conteur animalier s’est quelque peu évanoui dans nos consciences, le prosateur de l’enfance des petits garçons paysans de la montagne comtoise est resté, et définitivement après le film nationaliste d’Yves Robert (1962). Pergaud y puise l’attachement descriptif dans son métier d’instituteur, et, par cette veine d’authenticité, se trouve placé dans le courant de la littérature prolétarienne, littérature paysanne, (cf. Henry Poulaille, Le Nouvel Age Littéraire, Editions Plein Chant). Le roman est à la fois un exemple de la vieille école républicaine et la preuve littéraire de la sollicitude d'un instituteur à l'égard des écoliers d'un milieu rural de la France. Comme Ludovic Massé un peu plus tard, c'est, par une observation scrupuleuse et insistante des mœurs et par une écoute attentive de la langue parlée populaire, que Louis Pergaud fait vivre l'âme villageoise de ses douze ans ("roman de ma douzième année" est le sous-titre du roman) à Landresse (Longueverne dans La Guerre des boutons) en Franche-Comté.
C'est par la langue, d'abord, que ces enfants sont des enfants terribles. La langue parlée fait irruption dans le roman, dans ses registres familiers et vulgaires. Pergaud s'appuie sur les enfants pour porter le combat linguistique dans le champ littéraire, comme si l'innocence enfantine supposée devait permettre de faire passer l'assaut culturel que représente le roman.
En effet, s’il y a une charge subversive du roman de Pergaud, elle est là (1), dans la langue de ces enfants, langage hors de l'école, refoulé à l'école et qui s'épanouit à l'air libre du plein air, des champs et des bois. Ce langage farouche, aux références rabelaisiennes, cherche à imposer une représentation des motifs triviaux dans la littérature. Ne nous y trompons pas, c'était un vrai combat pour Pergaud qui choisit d'écrire sa correspondance dans le style vert de ses romans. On retrouvera, plus tard, l'usage de l'oralité triviale à des fins littéraires, chez Céline, mais aussi, avant lui, chez Romain Rolland et bien d'autres. Pour bien comprendre l'enjeu, il n'est pas vain de revenir sur Pergaud. Il est fils d'un instituteur du Doubs qui, travaillant à Paris, contractera une nostalgie pour sa province et le terroir de son enfance. Il en vient, alors, à mettre en scène son enfance campagnarde et, pour cela, il va chercher dans la langue des gros mots, dans la langue verte, les ressources d'une reconquête d'identité sociale par l'œuvre littéraire.
Du coup, les enfants pourraient être vus comme des porteurs d'un inédit avenir littéraire qui partirait, certes, du naturalisme d'un Zola en littérature et du réalisme de Courbet et Millet en peinture, mais pour ouvrir des brèches dans la crise du roman que traverse la littérature française à la veille de la première guerre mondiale et qui se poursuivra après la grande boucherie. Les enfants terribles prêtent, donc, leur réalité de papier à un combat plus large. Leur cruauté, les vicissitudes de leurs parcours de vie, les élans de solidarité dont ils font preuve entre eux contre ou à l'insu du monde adulte, permettent à Pergaud de camper non pas des héros mais un groupe social. Ainsi, La Guerre des boutons en vient à jouer sur une identification, non à un héros mais à une réalité de groupe, le groupe des pairs de milieu essentiellement populaire, que favorise la narration à la troisième personne et que suture le langage commun.
C’est par là, nous semble-t-il , que le livre transcende la littérature de terroir pour devenir roman populaire. Qu’il soit passé dans le domaine de la littérature de jeunesse alors que celle-ci peine à trouver des ouvrages à l’écriture travaillée doit nous faire réfléchir sur la fonction assignée à cette littérature, éditorialement foisonnante….
Ceci étant, deux interrogations sont légitimes face à cette œuvre. D’abord, les deux bandes rivales qui s’affrontent ont un terrain neutre : l’école présentée comme le lieu unificateur d’une bataille des mondes. N’est-ce pas le mythe de l’école intégratrice que reproduit ici Pergaud ? Ensuite, le roman est écrit dans un tintamarre de préparatifs guerriers et, si on peut dire qu’il y a objectivité réaliste à décrire la guerre des groupes de jeunes, cette guerre des boutons n’est-elle pas préfiguratrice de l’ardeur guerrière qui sera sollicitée deux ans plus tard ? C’est là une interprétation développée, en son temps, par Liliane Fontan dans la revue La Tache d’encre. La résonance très patriotique du film qui sera tiré du livre ne fait que la conforter.
Laissons ailleurs la parole au livre. Il s’agit des dernières phrases :
« -Tout de même, bon Dieu ! Qu’il y a pitié aux enfants d’avoir des pères et des mères !
Un long silence suivit cette réflexion. Lebrac recachait le trésor jusqu’au jour de la nouvelle déclaration de guerre. Chacun songeait à sa fessée, et, comme on redescendait entre les buissons de la Saute, La Crique, très ému, plein de mélancolie de la neige prochaine et peut-être aussi du pressentiment des illusions perdues, laissa tomber ces mots :
« Dire que, quand nous serons grands, nous serons peut-être aussi bêtes qu’eux ! »

Philippe Geneste

(1) et pas du tout dans le discours sur la guerre qui affiche, plutôt, l'œuvre d'endoctrinement patriotique de l'école républicaine. C'est un autre sujet.

11/09/2011

« Jamais sous Franco »

Goby Valentine, Antonio ou la résistance. De l’Espagne à la région toulousaine, illustrations de Ronan Badel, Autrement, collection Français d’ailleurs, 2011, 80 p. 14€50 9/13 ans
Cet ouvrage a été édité dans le cadre de L’Histoire de l’Emigration en France. A travers l’histoire d’un enfant et de sa famille, sont évoqués les grands événements historiques de notre époque.
Antonio, fils de Jorge Mendoza milicien de la République Espagnole vaincue par Franco, raconte l’histoire de ses parents et de ses deux jeunes sœurs depuis la « Retirada » fin janvier 1939 à Barcelone jusqu’à l’engagement de Jorge dans la Resistance, en France, contre les Allemands en 1943.
Dans le camp de concentration d’Argelès sur Mer où il retrouve son père, artiste dessinateur parti combattre depuis 3 ans, Antonio et sa famille subissent l’enfermement, le froid, la faim et la peur à l’ilot n°1 bis. Plus tard, ils vivront des périodes très éprouvantes dans une ferme près de Toulouse lorsque Jorge devient ouvrier agricole.
Mais ce livre n’est pas qu’une suite d’événements sombres. Certes, Antonio parle des désillusions et des humiliations subies dans un pays, la France, qui les a si mal accueillis mais il raconte aussi les souvenirs heureux de sa vie à Barcelone avant Franco et la solidarité avec les nouveaux compagnons de rencontre, Rosa, Enrique et Pedro, dans la même situation que Jorge.
Antonio parle aussi de l’espoir de toute la famille de revenir au pays mais « jamais sous Franco ». Il évoque également l’importance de l’école, le dynamisme de sa mère, ancienne chanteuse de « zarzuelas » et la détermination de tous pour construire un avenir meilleur, en accord avec leur idéal de liberté.
Ce livre bien documenté et réaliste est aussi illustré pour que le lecteur partage les lieux traversés, le vécu et les sentiments du narrateur. Il se termine par un dossier qui explique l’origine de la Guerre d’Espagne, la victoire du Franquisme et l’émigration en France des réfugiés, leur rôle dans la Résistance et leur enracinement.

Geneviève Muňoz et Germinal Valles

04/09/2011

Contes de Chine, d'Ossétie et du Tchad

Chine
Sauer Isabelle, Gambini Cécile, L'Enfant du bananier. Un conte chinois, Didier jeunesse, coll. contes du monde, 2011, 40p. 14€
Voici un magnifique conte chinois où le merveilleux des situations n’est qu’un voile jeté sur la réalité qui tisse les relations humaines. C’est un conte de sagesse, si le mot sagesse signifie cours de la vie au quotidien dans le respect des autres ; Les dessins et peintures, réalisées au crayon et à l’acrylique sont enrichis de collages. Le vieux bossu travailleur, héros initial du conte trouve une aide dans un enfant né d’un bananier qui vient lui apporter sa solidarité. Contrairement à l’interprétation courante de ce conte, il ne s’agit pas d’une histoire de compassion mais d’entraide entre générations qui débouche sur l’avenir humain. Un beau conte très bien transcrit et magnifiquement illustré.

Chabas Jean-François, Le Bonheur prisonnier, illustrations de David Sala, Casterman, 2011, 32 p. 14€95

On pense bien sûr au Rossignol et l’empereur, bien qu’un grillon ait pris la place du rossignol dans une cage d’or suspendue au plafond. C’est un clin d’œil intertextuel qui n’est pas une refonte du conte d’Andersen. La situation initiale et prometteuse : le petit garçon Liao préfèrera-t-il conserver le bonheur familial en gardant prisonnier le grillon du foyer ou bien le libérera-t-il parce que le bonheur des uns ne peut exister sans la liberté et le bonheur des autres ? Mais l’histoire va vite au dénouement et n’émeut pas autant qu’elle aurait pu. Si nous chroniquons cet ouvrage c’est pour le travail splendide de l’illustration de Sala qui permet de faire pénétrer les jeunes lecteurs dans un univers chinois délicat et plein de finesse. Les clins d’œil de l’histoire aux éléments culturels sont rehaussés par l’illustrateur qui joue entre renforcement de l’histoire et son évasion. La quadrichromie, le foisonnement des couleurs et des motifs, l’histoire dans l’histoire du chat absent du texte mais présent dans l’illustration dans chaque page où paraît l’enfant héros, font de cet album un livre des plus intéressants.

Caucase
Contes populaires ossètes (Caucase central), textes traduits et présentés par Lora Arys-Djanaïeva et Iaroslav Lebedynsky, L’Harmattan, 2010, 254 p. 23€50
Voici un choix de contes oraux traditionnels du peuple ossète qui occupe les terres entre la Mer Noire et la mer Caspienne., c’est l’Ossétie du Nord et l’Ossétie du sud. Au substrat local caucasien s’est adjoint des éléments de langues iraniennes apportées par des nomades venus des steppes ukraino-russes. On connaît en particulier les Alains qui envahirent de nombreux territoires européens dont nous disent les traducteurs au niveau de la Loire moyenne au nord d’Orléans et dans la Beauce vers 4440-450 (d’om Allainville, Allaines…). Relativement isolés, les Ossètes gardèrent leur langue et leurs coutumes jusqu’à la fin du XVIIIème siècle où les russes envahirent leurs terres. La spiritualité des Ossètes est païenne avec un mélange d’influences : byzantine, chrétienne orthodoxe, musulmane sous l’influence kabarde, religion populaire syncrétique avec un vieux fond de paganisme.
La langue ossète n’est écrite que depuis la fin du XVIIIème siècle et la littérature est restée appuyée sur une tradition orale exceptionnellement vivace. Les contes y tiennent une place centrale. Les concepteurs de ce recueil ont préféré ne pas intégrer les contes plus proche des légendes et mythes guerriers qu’ils réservent pour un prochain volume de la collection Voix du Caucase. On y trouve surtout des allégories de la liberté, du courage, de l’honnêteté, de l’amitié, de l’intelligence etc. Il s’agit de contes collectés au début du vingtième siècle.
L’ouvrage est pour moitié composé de textes ossètes et pour moitié de leur traduction. Un livre intéressant pour les CDI et bibliothèques car il permet, aussi, de montrer l’écriture ossète.


Tchad
Dingamtoudji Maïkoubou, Su et Njaamgodo. Contes ngambayes du Tchad, illustrations de Florent Laine, L’Harmattan, collection La Légende des mondes, 2010, 83 p. 11€
Cet ouvrage rassemble dix-sept récits de la tradition orale ngambaye. On y trouve des contes et des fables. Les premiers mènent le lecteur vers un univers merveilleux non sans convoquer, parfois, des éléments du mythe, notamment, ceux issus du rapport humain au cosmos. Les secondes s’enracinent dans la vie sociale pour en faire une satire, s’appuyant sur le récit pour illustrer un principe moral.
Les histoires nous montrent un héros, Su, qui, de péripétie en péripéties, de récit en récits, amène le lecteur à interroger les connaissances du monde mais aussi, ses conceptions des rapports humains. Su nous dit l’auteur du recueil « est le type caricatural du beau parleur, farceur et tricheur, du naïf, du téméraire, de l’imprévoyant et aigrefin tout à la fois. Il est renommé pour ses exploits fantastiques et féeriques. ».
Ce sont les colons qui ont donné le nom péjoratif de ngambaye à cette population animiste, à la riche culture développée au sein d’une société sans Etat. Le peuple ngambaye se trouve dans le Logone (oriental et occidental) et le Mayo-Kebbi.
L’auteur a eu soin de commencer son recueil par la formule traditionnelle ndo kara (un jour) auquel, dans la tradition orale, l’auditoire répond par yéen (oui).

Geneste Philippe