Anachroniques

29/08/2010

Romans historiques


Jamain Philippe, Manco et le vent des Andes, édition Jeunesse L'Harmattan, 2008, 128p. 12€50
10/13 ans
Après qu'un séisme a ravagé sa tribu, Manco doit survivre seul jusqu'au jour où il rencontre un voyageur, Phiram avec lequel il va voyager de ville en ville et découvrir des milieux et des êtres totalement différents. La situation de Manco nous met face à une opposition intéressante :
-D'une part, la société où, vivant au jour le jour, on laisse libre cours aux choses,. Une société de rites, sans classes, où chaque individu compte et où la citation de P. Bouquet pourrait servir de devise : « je ne suis moi que parce que tu es toi, et mes droits face à l'autre ne sont justifiés que par mes devoirs vis-à-vis de lui ».
-D'autre part, l'état développé. Une société dotée d'une avancée certaine, enfermée dans un avenir programmé donc, dans la monotonie du quotidien, une société athée, divisée en classes et reposant sur la consommation ; une société avec des institutions multiples, où l’individualisme va jusqu’à condamner l’individu ; une société où la quête de la mise en place de « l'état parfait » est constante. Cruel dilemme : face à la société de ses racines, celle de son avenir ?
Enzo Godinot
Meyer Caroline, Isabelle de Castille. Journal d’une princesse espagnole 1466-1469,
traduit de l’américain par Bee Formentelli, Gallimard jeunesse, collection Mon Histoire, 2009, 191 p. 9€50
11/15 ans
Ce volume de la collection des faux journaux intimes magnifiquement édité permet au jeune lectorat d’entrer en connaissance avec une partie de l’Histoire de l’Espagne que les élèves des collèges voient assez peu. C’est un premier intérêt, renforcé par le bon traitement historique du sujet par l’autrice. Le récit des événements s’arrête avant qu’Isabelle de Castille (1451- n’épouse Fernando prince d’Aragon). L’inquisition, soutenue par le couple, comme le massacre des juifs, ne sont donc évoqués qu’en épilogue et dans la chronologie qui clôt l’ouvrage.
Annie Mas
Hatano Isoko et Ichirô, L’Enfant d’Hiroshima, traduit du japonais par Seiichi Motono, illustrations de Joan Schatzberg, Gallimard, Folio junior, 2010 (1ère traduction française, les éditions du temps 1959), 189 p. cat.4
à partir de 11 ans
Il s’agit d’un classique de la littérature japonaise. L’éditeur rappelle qu’âgé de 8 ans, Ishirô devait tenir un journal comme le demandait le professeur à sa classe. N’y arrivant pas, la mère peu disponible et l’enfant décidèrent de s’écrire des lettres qui tiendraient lieu de journal. Le récit rassemble, donc, ces deux genres et c’est déjà un élément intéressant de réflexion. Les textes couvrent la période du 10 mai 1944 au milieu de l’année de 1947. Il recouvre donc le récit de la bombe atomique lâchée sur Hiroshima, il évoque celle qui a dévasté Nagasaki. Il décrit, aussi, les menées propagandistes des Alliés pour préparer la population à son extermination atomique.
Commençant en 1944, l’ouvrage peint le régime japonais à travers le père d’Ishiro qui se bat contre la guerre et qui, de ce fait, est sous la menace de toute dénonciation du voisinage.
Le livre vaut, aussi, bien sûr, par la description de la condition féminine dans le Japon de ces années, par le rapport fusionnel qui unit le fils à la mère.

Philippe Geneste

22/08/2010

Gros mots, Vol de mots



Gillot Laurence, Lulu-Grenadine dit des gros mots, illustrations de Lucie Durbiano, Nathan, 2010, 32 p. 6€ 3/7 ans
Dire des gros mots, quel régal, on déroge à la bonne langue, on transgresse un interdit, et puis ces sons vous font rire, sourire ou grincer. Ici ce sont des termes scatologiques, gentiment scatologiques ce qui amoindrit, sérieusement le propos du livre qui tombe dans l’aberration de l’euphémisme, ce que le titre n’annonce pas : prout prout de rhinocéros ! Pipi de Koala, tacaca-troin-troin, crotte de nez à l’épinard, Pissou chantilly, purée d’asticots pourris, screugneugneucaboudinette. On le voit, rien à voir avec la vie réelle et le langage cru des enfants de 4/7 ans auxquels s’adresse ce livre. On est dans une sorte de politiquement correct qui efface les reliefs de la vie. Quant au père, il invente un gros mot : Pipi bleu d’orang-outan. Dans les deux cas -mots d’enfants ou du père- on remarque la référence animalière qui a pour fonction de mettre à distance l’humain, donc l’insolence des mots.
Après avoir affirmé dans son titre une dimension d’impertinence, voici le temps venu de la bonne morale.
Et puis les adultes, le père symbole de la loi, ne se prive pas d’en dire, oh ! Certes, Quand ça lui échappe, mais il faut bien qu’il s’excuse auprès de sa petite fille qu’il vient de gronder pour en avoir proféré un non loin de ses oreilles. Bien sûr, on se cache pour en dire, on se les murmure, et puis on fait l’intéressante avec devant les copains et copines.

Dolto Catherine, Faure Poirée Colline, Les Gros mots, illustrations de Frédérick Mansot, Gallimard, collection Giboulées, 2007, 32 p., 6€
Qu'appelle-t-on les gros mots ? Dans quelles situations ne doit-on pas les prononcer ? Dans quelles situations peut-on s'en servir ? Un ouvrage qui apporte peu sinon une volonté de déculpabilisation au service de la politesse civile conventionnelle. Signe des temps, une comparaison avec l'édition de 1995 voit disparaître de l'image "merde !" et "crotte !" auxquels "Zut" est préféré.

Clément Nathalie et Yves-Marie, Espèce de Cucurbitacée, illustrations de Louis Alloing, Père Castor, 2009, 32 p. 10€ 4/8 ans
Cet ouvrage est paru pour la première fois en 1997 et s’est imposé comme un classique des albums sur les gros mots. Il était, alors, illustré par Corinne Baret-Idatte ce qui va permettre de comparer les travaux sur les couleurs et le dessin. Alloing a œuvré, comme Baret-Idatte avec des couleurs vives en utilisant moins de variantes, toutefois afin d’accentuer les contrastes. Le trait, en revanche n’est pas du tout le même. Alors qu’avec l’édition de 1997, on a un dessin qui tire vers une certaine flottaison des contours, ici, la ligne est claire, les personnages sont soulignés par le trait noir et tout effet de flou est répudié.
Du côté de la mise en page, aussi, les choses changent. En 1997, l’illustration et le texte sont intriqués. Ici, une page est toujours entièrement consacrée à l’illustration, la dernière double page faisant, seule, exception. Seul l’encadré textuel de l’étiquette de la poche de graine est reproduite ce qui n’était pas le cas dans l’édition de 1997 qui reproduisait la pochette mais sans le texte ; c’est une modification intelligente qui souligne le changement de la voix narrative.
Le texte a peu changé, quelques verbes ont été remplacés, quelques phrases modifiées, mais le plus gros changement vient de l’organisation en chapitres qui disparaît en 2009 pour livrer un album sans aucun paratexte à l’intérieur de l’histoire. Un très bon ouvrage.

Minne Nathalie, Le Petit Voleur de mots, Casterman jeunesse, collection Les Albums, 2009, 32 p. 14€95 4/8 ans
Ce chef d’œuvre graphique nous parle-t-il du pouvoir des mots ? Du secret des mots ? De la nécessité pour qu’il y ait langage qu’il y ait récit ? Nous parle-t-il du graphisme des lettres et met-il en narration ces planches de grand format (28,6 x 36,3) ? Nous parle-t-il de l’opération de classement des mots qui revient à un classement différé de la nature et des expériences de la vie ? Nous parle-t-il de la nuit et des chuchotements qui la peuplent ? Nous parle-t-il de la rencontre ? De l’amour et de ses mots à rechercher quand la rencontre vous laisse sans voix ?
L’album parle de tout cela et le donne à lire et à voir. C’est un livre magnifique une ode aux mots et à leur pouvoir. Au fait, le voleur de mots opère le soir, pour ne pas être vu et il les attrape avec un filet à papillons de nuit.
Ph.G.